Les Juifs de Belgique face à l’hydre antisémite
par Elias Levy
Depuis le 7 octobre 2023, la communauté juive de Belgique est confrontée à une montée terrifiante de l’antisémitisme. La Belgique est-elle aujourd’hui le laboratoire de l’antisémitisme européen? Une situation très alarmante.
Rencontre avec Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA).
Le niveau d’antisémitisme en Belgique est effarant.
L’attaque meurtrière contre Israël du 7 octobre 2023 a déclenché une libération de la parole et une recrudescence des actes antisémites. Depuis le 11 octobre 2023, trois jours après la riposte d’Israël à ces pogroms effroyables, il y a eu à Bruxelles sept grandes manifestations propalestiniennes qui ont rassemblé chacune entre 20 000 et 70 000 personnes. Par ailleurs, depuis cette date, il y a des manifestations plus petites tous les jours dans le cœur de la capitale, devant la Gare Centrale. Par idéologie, électoralisme, couardise ou antisémitisme, la plupart des formations politiques belges se sont alignées sur le narratif du Hamas concernant les pogroms du 7 octobre et la guerre qui s’en est suivie à Gaza. Les actes antisémites ont explosé. La tension n’a cessé de croître.
La communauté juive a-t-elle des alliés sur la scène politique belge ?
La démographie est une partie du problème puisque le principe d’une démocratie est : « One people, one vote. » Les quelque 30 000 Belges juifs – répartis équitablement entre Bruxelles et Anvers –, sur une population d’environ 11,5 millions, n’ont aucun poids sur le plan électoral. De plus en plus de politiques belges ont sacrifié l’éthique pour l’arithmétique. Désormais, les Juifs ne peuvent compter que sur les hommes et les femmes politiques qui ont le sens des responsabilités et ne sont pas prêts à sacrifier leur petite communauté juive sur l’autel de l’électoralisme : deux ou trois partis sur la douzaine qui forment l’échiquier politique belge. L’extrême gauche, la gauche et même le centre droit néerlandophone ont abandonné les Juifs. Ils ont sacrifié la lutte contre l’antisémitisme et sont devenus des idiots utiles enfourchant le cheval de Troie qu’est l’islamisme.
À combien est estimée la population musulmane de Belgique ?
Il n’y a pas de statistiques ethniques en Belgique. Cependant, on estime la population musulmane entre 800 000 et 1 million. D’après une étude réalisée en 2008 par le professeur Servais de l’Université catholique de Louvain (UCL), les musulmans constituaient 33,5 % de la population bruxelloise, soit un tiers. Toujours selon lui, les musulmans représenteront 50 % de la population bruxelloise en 2030.
Ce qui m’intéresse, c’est avoir des faits et des éléments concrets, des approches statistiques académiques plutôt que des ressentis. Les résultats d’une étude sur les préjugés antisémites des jeunes Bruxellois menée en 2011 par le professeur Mark Elchardus de l’Université libre de Bruxelles (VUB) sont à ce titre éloquents et préoccupants : 10 % des jeunes non-musulmans et 50% des jeunes musulmans bruxellois sont antisémites.
Il y a donc un problème très prégnant d’antisémitisme au sein de la communauté musulmane de Belgique.
Oui, mais, en même temps, les personnes les plus courageuses qui mènent aux côtés des Juifs le combat contre l’antisémitisme en Belgique et en France sont elles-mêmes musulmanes (ou d’origine) : l’écrivain Mohamed Sifaoui, l’anthropologue Fadila Maaroufi, l’imam Hassan Chalgoumi, l’humoriste Sophia Aram, le réalisateur Ismaël Saidi, le comédien Sam Touzani, la journaliste Sonia Mabrouk, etc. L’engagement admirable de ces personnalités dans la lutte contre l’antisémitisme nous renvoie à un principe immuable : en chacun de nous sommeille le bien et le mal, un Zola ou un Drumont, un résistant ou un collabo.
L’éducation et les médias ont une responsabilité énorme à assumer dans ce combat contre l’antisémitisme. Or, regrettablement, deux des médias belges francophones les plus influents, le quotidien Le Soir et la chaîne publique RTBF, militent plus qu’ils n’informent en la matière.
Les pouvoirs publics et les politiques belges sont-ils en première ligne dans le combat contre l’antisémitisme ?
Plusieurs partis politiques belges sont en première ligne, non pour lutter contre l’antisémitisme, mais pour servir de courroie de transmission à ce fléau. La majorité des formations politiques, le Parti socialiste (PS), le Parti du travail belge (PTB) –formation communiste de tendance maoïste –, les Écolos, le nouveau parti islamiste Team Fouad Ahidar… courtisent ardemment l’électorat musulman.
Quatre mois avant les élections fédérales du 9 juin 2024, le député ex-socialiste Fouad Ahidar a créé le parti Team Fouad Ahidar, qui a décroché à la surprise générale 3 des 17 sièges impartis aux Bruxellois néerlandophones. Ce parti nouveau-né est ainsi devenu la deuxième force politique flamande à Bruxelles. Son leader, Fouad Ahidar, est un islamiste antisémite pro-Hamas. En 2023, interviewé par la Web TV communautaire Zinneke, il a déclaré sans la moindre gêne :
« Les Juifs sont de vrais psychopathes, ce sont des tueurs en série. »
Ce qui m’inquiète beaucoup, c’est que des habitants des communes bruxelloises votent pour des personnages aussi dangereux que Fouad Ahidar, pour qui l’antisémitisme est un argument électoral. Ça illustre le déclin de ces communes. Cette tendance fâcheuse pourrait préfigurer de l’avenir dans les grandes métropoles de l’Europe occidentale. On n’est plus dans les symptômes, on est dans les stigmates d’une évolution sociétale qui porte des antisémites au pouvoir.
L’effet connexe : en réaction à ce nouveau totalitarisme qu’est l’islamo-gauchisme, l’extrême droite progresse et se rapproche des portes du pouvoir. Aux élections communales du 13 octobre dernier, un parti d’extrême droite flamand, le Vlaams Belang, a décroché la majorité absolue dans une ville belge pour la première fois depuis la Libération. Ce n’est pas une solution que de guérir la peste par le choléra, on meurt des deux! Les partis démocratiques ont une responsabilité écrasante dans cette affaire. Malheureusement, leur principal souci est la prochaine élection et non la prochaine génération.
La Belgique s’est-elle dotée d’un arsenal juridique robuste pour combattre l’antisémitisme ?
Oui, mais il est trop rarement appliqué. Plusieurs incidents antisémites se sont produits ces dix dernières années, provoquant des scandales éphémères, dont le pouvoir belge n’a pas tiré les leçons. En 2014, un restaurateur belgo-turc à Saint-Nicolas, ville wallonne proche de Liège, a affiché sur la vitrine de son établissement qu’il acceptait les chiens, mais pas les Juifs. La Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA) a porté plainte auprès des instances judiciaires de Liège en documentant solidement celle-ci. Le tribunal a proposé une médiation avec le restaurateur. Nous l’avons refusée pour des raisons évidentes. Deux ans plus tard, le parquet de Liège a classé ce dossier sans suite. En 2020, au carnaval d’Alost, des chars ont transporté d’immenses caricatures antisémites qui reprenaient tous les codes de l’iconographie nazie. Les organisations juives de Belgique ont protesté. L’organisme fédéral de lutte contre la discrimination, l’UNIA, n’a jamais déposé plainte contre les organisateurs du festival…
Les Belges juifs vivent-ils dans la peur? Le nombre de départs est-il important ?
L’atmosphère est très lourde au sein de la communauté juive de Belgique, particulièrement depuis le 7 octobre 2023. Aujourd’hui, beaucoup de Belges juifs se demandent s’ils ont encore leur place dans leur pays. Une vague de départs a été amorcée après 2000, lorsque la seconde Intifada a éclaté. La Belgique a été alors le théâtre d’un regain brutal de l’antisémitisme. Dans les années qui ont suivi, les chiffres de l’Agence juive de l’Alya des Juifs de Belgique ont explosé, ils ont été multipliés par 3, 4, voire 5.
Ma mère est née au Maroc, à une époque où quelque 300 000 Juifs vivaient dans ce pays. Il ne reste aujourd’hui au Maroc qu’environ 2 000 Juifs. J’ai l’impression que la communauté juive de Belgique se dirige vers un schéma marocain. Il y a 25 ans, celle-ci était estimée à 40 000 personnes. Dans 20 ou 30 ans, je crains qu’il ne restera que 4 000 ou 5 000 Juifs en Belgique. J’espère me tromper! Aujourd’hui, nombre de jeunes Belges juifs partent étudier à l’étranger et, pour certains d’entre eux, ne reviennent pas une fois leurs études terminées. C’est un phénomène irréversible. Je pense qu’on n’a pas encore pris la mesure de ce que j’appelle
« l’exode silencieux ».
Comment envisagez-vous l’avenir des Juifs en Belgique ?
En bon résilient, j’essaie toujours de voir le verre à moitié plein. Je suis triste, voire en colère, du fait de la situation que nous vivons aujourd’hui, mais pas désespéré. Mon père est né en Autriche, il a dû fuir sa terre natale parce qu’il était juif, il trouva refuge en Belgique. David Rubinfeld, mon grand-père, né en Pologne, a dû quitter sa contrée natale à la suite des persécutions antisémites, il a trouvé refuge en Autriche. Mon arrière-grand-père est né en Russie, il a fui les pogroms tsaristes et trouva refuge en Pologne… Chez les Rubinfeld, comme pour tant d’autres de mes coreligionnaires, cette histoire d’exils forcés s’inscrit dans une tradition familiale. Mais il y a une grande différence entre moi et mes ancêtres, qui me permet de voir le verre à moitié plein : depuis 1948, chaque Juif de la planète a un plan B : l’État d’Israël qui leur ouvrira les bras et les accueillera quoi qu’il arrive. C’est notre terre de refuge, notre position de repli. Pendant 2000 ans, le sort des Juifs dépendait du fait du prince. Aujourd’hui, une terre, la nôtre ancestrale, est prête à nous accueillir du jour au lendemain. Là est le verre à moitié plein. Lé’haïm!
Crédit photo : © J. Rubinfeld