L’arc-en-ciel du Cantique des cantiques de David Bensoussan
par Dr Marc-Alain Wolf, médecin psychiatre
Scientifique de profession, mais passionné depuis longtemps de lectures bibliques, « nourri par une culture dans laquelle la Bible était omniprésente et sa chanson envoûtante et émouvante », David Bensoussan nous livre cette année une exégèse savante et en même temps très personnelle du plus mystérieux des livres de la Bible hébraïque, le Cantique des cantiques.
Son nouveau livre, L’arc-en-ciel du Cantique des cantiques, est paru récemment aux Éditions du Lys, Montréal.
Comment, se demande l’auteur, un ouvrage qui évoque des paysages pastoraux, des odeurs, des gazelles, des discours poétiques sur la passion amoureuse et qui, en même temps, ne mentionne ni le nom de Dieu, ni des lois ou des événements bibliques, en est-il venu à représenter un livre saint et canonisé, sous l’influence de Rabbi Aquiva, dans les Écritures hébraïques?
Rappelant le commentaire de Saadia Gaon comparant le Cantique des cantiques à une « serrure dont on a perdu la clef », David Bensoussan nous présente un « bouquet d’extraits choisis », un florilège d’interprétations variées qui cherchent, certes, à nous instruire, mais qui tiennent en même temps à respecter la liberté du lecteur, encouragé à cueillir, à sa manière, « la floraison et la fragrance » qui lui conviendront.
Si, pour le théologien JF Jacobi (et, à sa suite, des commentateurs aussi sérieux qu’Ewald, Hitzig ou Renan), le Cantique des cantiques est l’histoire d’une femme mariée contre son gré au roi et qui, résistant à toutes les sollicitations, finira par rejoindre le berger qui est son premier et véritable amour, l’auteur nous convie à une exégèse moins simpliste de ce texte, rappelant d’emblée que la lecture juive traditionnelle identifie l’amoureux à YHWH, la belle à Israël et l’amour à la Torah.
Rejetant l’hypothèse, « difficilement acceptable », que le Cantique des cantiques ne serait qu’une collection de chants populaires, David Bensoussan nous rappelle néanmoins que ce texte « sacré » contient des expressions courantes de l’Orient ancien (égyptiennes, ougaritiques, mésopotamiennes, sumériennes entre autres).
Il nous initie à la polysémie des termes hébraïques, aux multiples allégories disponibles selon qu’on lit le texte en référence à la sortie d’Égypte ou à la révélation du Sinaï par exemple. Il nous donne accès au riche vocabulaire amoureux du Cantique des cantiques, à ses dimensions charnelles, oniriques et mystiques. Il nous décrit le langage des Écritures comme une « palette de couleurs » à la disposition des poètes et des artistes. Il nous montre comment renverser l’ordre des lettres pour y trouver un ou des sens nouveaux peut relever d’une virtuosité littéraire rare.
Ode à la beauté (de la nature, mais avant tout de la femme), le Cantique des cantiques se distingue du reste de la Bible, si « avare de descriptions physiques de la beauté féminine ». L’auteur nous rappelle également qu’une œuvre de cette nature ne doit pas seulement être lue pour ce qu’elle dit, mais aussi pour ce qu’elle inspire à chacun. Il s’étonne, encore et encore, de la profusion, proprement sidérante, des interprétations auxquelles elle a donné naissance.
Relisant le texte, chapitre après chapitre, David Bensoussan utilise les outils traditionnels de l’exégèse biblique. Il se réfère aux quatre niveaux de l’interprétation rabbinique résumés par l’acronyme PARDES : le sens littéral ou Pshat, le sens allusif ou Réméz, l’interprétation symbolique, parabolique et allégorique ou Drash, et enfin la dimension ésotérique ou Sod.
En annexe, et comme s’il voulait illustrer l’étonnante richesse des contributions à l’interprétation juive du Cantique des cantiques, il nous offre la liste des principaux auteurs qui ont participé à ce monument d’exégèse : pour le Pshat, de Rabbi Shlomoh Yitshaki (1040-1105) à Heinrich Graetz (1817-1891); pour le Drash, du Midrach Taanit (IIIe siècle) au Rav de Gour Yehouda Arieh Leib (1847-1905); pour le Réméz, du Midrach Sifrei du Deutéronome et des poètes des Xe et XIe siècles au Rav Joseph B. Soloveitchik (1903-1993); pour le Sod enfin, de Rabbi Akiva (50-136) au Magid Yisrael de Kozhnitz (1710-1784).
Auteur, entre autres, d’un commentaire détaillé de la Bible et du Livre d’Isaïe, David Bensoussan poursuit ici son travail d’éclaireur et de guide, communiquant à son lecteur sa curiosité et son enthousiasme pour ce livre mystérieux. Un texte essentiel selon Rabbi Aquiva pour qui, « le monde n’a jamais justifié son existence comme le jour où le « Cantique des cantiques » fut donné à Israël, car si les Écritures sont saintes, le « Cantique des cantiques » est le Saint des saints ».
Rappelons pour conclure, avec l’auteur, que si dans l’Antiquité, les sages ont interdit de chanter le Cantique des cantiques dans les cabarets, « ce cantique érotique a trouvé sa place d’honneur dans la liturgie et qu’il est chanté à l’entrée du Shabbat dans les communautés sépharades ».
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