Un émissaire du Chabad en plein cœur de l’Afrique
Rencontre avec le Rabbin Shlomo Bentolila
par Elias Levy
De passage à Montréal quelques jours pour visiter sa famille, le Rabbin Shlomo Bentolila nous donna rendez-vous au Centre Chabad de Côte Saint-Luc, dirigé par le Rabbin Mendel Raskin.
Le Rabbin Bentolila est né à Kenitra, au Maroc, au sein d’une famille sépharade qui émigra à Montréal en 1975.
Affable, courtois et charismatique, le Chaliah (émissaire) du mouvement Chabad-Loubavitch en Afrique centrale nous relata ses expériences marquantes sur les terroirs africains au cours des trente dernières années.
En 1991, le Rabbi Loubavitch, Menachem Mendel Schneerson, l’envoya avec sa défunte épouse, la Rabbanit Myriam Bentolila Hadad, décédée en 2021, comme Chlouhim à Kinshasa, en République démocratique du Congo (connue alors sous le nom de République du Zaïre). Leur mission : faire renaître le judaïsme dans cette contrée africaine et dans les pays limitrophes.
« Quand j’ai dit à ma très regrettée épouse Myriam que le Rabbi nous proposait d’être des Chlouhim au Congo, elle me répondit posément : « Parfait, l’Afrique semble être un endroit très intéressant, allons-y. » Elle n’hésita pas un instant, n’imposa aucune condition, ni demanda de visiter le pays avant », raconte très ému le Rabbin Bentolila.
L’Afrique n’était pas un continent étranger pour ce dernier.
Peu avant son mariage, à l’été 1988, le siège central mondial du Chabad, établi à New York, le dépêcha en République du Zaïre et en Côte d’Ivoire pour des missions spécifiques.
Il retourna en décembre 1988 pour mettre sur pied une colonie de vacances pour des enfants juifs. Tout en participant à des activités récréatives, on dispensait à ces derniers des cours de base de judaïsme. Ce camp connut un grand succès. Les parents étaient heureux et très reconnaissants à l’égard du Chabad.
Trois ans plus tard, le Rabbi décida d’établir le quartier général du Chabad-Loubavitch en Afrique centrale à Kinshasa et de confier la direction de celui-ci au Rabbin Bentolila et à son épouse, la Rabbanit Myriam.
Quelque 500 Juifs résidaient alors à Kinshasa. Il y avait une communauté juive, mais aucun émissaire Chabad.
« Nous avons commencé nos activités avec la construction d’un Mikvé – il a fallu auparavant contourner plusieurs entraves bureaucratiques –, organisé des offices le Chabbat et les grands jours de fête, donné des cours de Torah aux jeunes et des cours de préparation à la Bar Mitzvah, mis en place un système d’approvisionnement de viande casher congelée importée d’Afrique du Sud, d’Israël ou de Belgique, aidé nos coreligionnaires aux prises avec des difficultés. Je me déplaçais régulièrement dans les pays voisins pour célébrer Hanouka ou d’autres fêtes juives. Des étudiants Bahourim (représentants du Chabad) venaient parfois nous prêter main-forte. Le Centre Chabad de Kinshasa est ainsi devenu l’Ambassade des Juifs vivant en Afrique centrale », relate le Rabbin Bentolila.
Le Chabad-Loubavitch d’Afrique centrale a transformé le paysage du judaïsme en Afrique. Il est établi aujourd’hui dans 13 pays africains : République démocratique du Congo, République du Congo (Congo-Brazaville), Nigéria, Ghana, Angola, Rwanda, Gabon, Côte d’Ivoire, Kenya, Ouganda, Éthiopie, Tanzanie et Sénégal.
L’antisémitisme sévit-il aussi dans ces pays africains?
« Il n’y a pas d’antisémitisme. Les Juifs sont respectés. Ils se sentent bien accueillis par les populations locales. Un grand nombre d’Africains sont de grands admirateurs d’Israël. Ces dernières années, la majorité des pays africains ont rétabli ou renforcé leurs relations diplomatiques avec Israël. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises israéliennes, œuvrant notamment dans les créneaux du high-tech et de la sécurité, font des affaires dans les pays africains. Des centaines d’Israéliens résident en Afrique centrale. Bon nombre d’entre eux fréquentent assidûment les Centres Chabad. »
La présence des Juifs en Afrique centrale n’est pas récente, rappelle le Rabin Bentolila.
« Des Juifs ont trouvé refuge dans des pays d’Afrique centrale pendant la Seconde Guerre mondiale. En République démocratique du Congo, il y a des tombes juives datant des années 1800. Force est de constater que la population juive en Afrique est très petite dans un vaste continent comptant plusieurs centaines de millions d’habitants : la République démocratique du Congo a quelque 100 millions d’habitants, sa capitale, Kinshasa, quelque 17 millions; le Nigéria plus de 200 millions; la Côte d’Ivoire près de 30 millions; le Ghana plus de 30 millions; l’Ouganda plus de 40 millions… »
Quel est le plus grand défi que doivent relever les Chlouhim du Chabad en Afrique?
« Savoir dans quelle langue ils doivent parler, répond le Rabbin Bentolila en arborant un sourire en coin. À Kinshasa, le Beth Chabad est fréquenté par des Juifs israéliens, américains, anglais, français, belges… On y parle toutes les langues du monde! Les pays africains où le Chabad est établi se distinguent par leur pluralisme linguistique. En République démocratique du Congo, on parle français; au Nigéria, anglais; en Côte d’Ivoire, français; en Angola, portugais et anglais; en Guinée équatoriale, espagnol; au Kenya, anglais; en Éthiopie, anglais… J’ai appris et je comprends honorablement un des deux principaux dialectes parlés en République démocratique du Congo, le lingala. »
Pour une famille étrangère, vivre dans un pays miné régulièrement par des guerres et des coups d’État militaires, n’est-ce pas un choix de vie risqué?
« En effet, les pays d’Afrique centrale étaient très instables politiquement. Les coups d’État et les renversements de régime politique étaient récurrents. De 1991 à 1995, il y a eu cinq révolutions. En septembre 1991, neuf mois après notre arrivée, le premier jour de Soukot, une révolte orchestrée par les militaires plongea Kinshasa dans un grand chaos. La ville était éventrée. Des tirs de balles fusaient de toutes parts. Des balles perdues ont criblé le bas de la fenêtre de notre maison. Notre fille n’avait que trois mois. Des membres du service de sécurité de l’Ambassade d’Israël nous ont escortés et mis à l’abri dans celle-ci jusqu’à ce que l’accalmie revienne. À l’instar des populations locales, les Chlouhim du Chabad ont appris à vivre dans des contextes politiques parfois très tendus. »
Trois décennies plus tard, qu’est-ce qui motive le Rabbin Bentolila à poursuivre sa mission sur le continent africain?
« Les Chlouhim du Chabad accomplissent une mission très noble. Ils mettent en œuvre la philosophie du Rabbi : « Chaque Juif est une âme divine précieuse. Il ne ne faut pas laisser un seul Juif se perdre, il faut lui amener la Torah et ses magnifiques valeurs là où il se trouve. » C’est indéniablement un grand défi à relever sur des terres où le judaïsme est une religion très minoritaire, mais c’est un labeur des plus gratifiants spirituellement et humainement. »
Chez les Bentolila, la lignée de Chlouhim du Chabad se perpétue.
La fille aînée, Debbie Bentolila Bensaïd, et son époux sont aujourd’hui Chlouhim à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Le fils cadet, Binyamin Avraham Bentolila, et son épouse sont Chlouhim à Paris, en France. La deuxième fille, Haya Mouchka Nemni, et son époux sont Chlouhim à Milan, en Italie. La plus jeune fille, Sosha Bentolila, 22 ans, pas encore mariée, est très active dans la diffusion du judaïsme.
Comment expliquer l’engouement des Juifs marocains pour cette branche du hassidisme?
« Le mouvement Chabad Loubavitch et le séphardisme marocain sont étroitement liés. Le premier émissaire du Chabad fut envoyé en 1950 au Maroc, à Meknès, selon la volonté exprimée avant sa mort par le beau-père du Rabbi, Rabbi Yossef Yitzhak Schneerson. Les Loubavitch vouent une grande admiration aux Tsadikim juifs marocains. Le peuple d’Israël est forcément une seule âme. »