Le destin singulier d’Eliezer Sherbatov, joueur de hockey d’élite
Ancien capitaine de l’équipe nationale de hockey d’Israël
par Yvan Cliche
Ce n’est pas un destin commun que celui d’Eliezer Sherbatov, hockeyeur de nationalités canadienne et israélienne jouant présentement dans une ligue de hockey sénior du Québec.
Le jeune homme né en octobre 1991 à Rehovot, en Israël, de parents russes juifs, a joué dans des clubs de hockey dans sept pays : Canada, France, Kazakhstan, Pologne, Slovaquie, Ukraine et Israël.
Un destin si singulier que ce père de deux enfants en bas âge a déjà fait l’objet d’une biographie, Sherbatov : le garçon qui voulait jouer au hockey (Éditions Hurtubise), et il a sa propre page sur Wikipédia.
Eliezer Sherbatov évolue présentement avec la formation des Maroons de Waterloo, petite bourgade de 5 000 habitants en Estrie, à environ une heure de Montréal.
La Voix sépharade l’a rencontré au Club d’arts martiaux Sherbatov, à Laval, fondé par ses deux frères, Boris et Yoni.
Eliezer connaît présentement une excellente année avec son club estrien, qui trône au premier rang de cette ligue composée de 11 équipes compétitionnant sur le territoire québécois.
Patineur d’exception, rapide, excellent manieur de bâton, Eliezer aurait probablement pu aspirer, malgré sa petite taille, au rang de la Ligue nationale de hockey (LNH) n’eût été d’une fâcheuse blessure subie à un bien mauvais moment pour la progression d’un jeune rêvant à une carrière de hockeyeur au plus haut niveau.
Peu après son arrivée avec sa famille au Québec, avec ses deux frères, Boris et Yoni, nés en Russie, Eliezer commence à jouer au hockey à l’âge de 7 ans.
Son père est un grand admirateur de Guy Lafleur, le célébrissime hockeyeur des Canadiens de Montréal (décédé en 2022 à 70 ans), et sa mère est championne de patinage artistique.
Au Québec, Eliezer commence à jouer au hockey dès l’âge de 7 ans.
Quelques années plus tard, il remporte, dans la catégorie des 12-13 ans, le championnat des meilleurs marqueurs du Québec. Une progression fulgurante, qui lui permet d’aspirer sérieusement à une carrière professionnelle.
Mais, peu après, un grave malheur frappe : un accident de patins à roulettes l’oblige à subir trois lourdes opérations, au genou gauche.
Il ne pourra jouer au hockey pendant plus de deux ans, entre 14 et 16 ans : en plein dans le groupe d’âge où les recruteurs des équipes professionnelles commencent à dépister les champions de demain. Il disparaît donc du radar au plus mauvais moment.
N’empêche, avec l’appui de ses parents à qui il voue une grande reconnaissance, Eliezer, qui a depuis besoin d’une attelle pour marcher, toujours obsédé par le hockey, refait brillamment surface. Il atteint la Ligue de hockey junior majeur du Québec, pépinière de jeunes joueurs très talentueux âgés de 16 à 20 ans.
À partir de 2010-2011, à l’aube de la vingtaine, il entreprend son long périple de grand voyageur du hockey. Il joue en France durant deux belles années, puis au Kazakhstan. Bien conscient et fier de son héritage juif, il se lie d’amitié sur place avec un rabbin, qui l’invite lors de fêtes juives dans sa communauté.
En 2017-2018, il atteint la ligue eurasienne Kontinental Hockey League (KHL), considérée comme la meilleure après la Ligue nationale de hockey.
Celui qui devient le premier Israélien à jouer dans cette ligue expérimente, comme ce fut le cas au Kazakhstan, « l’antisémitisme tranquille » de plusieurs joueurs russes de cette ligue.
Depuis 2005, Israël mise grandement sur lui pour représenter le pays dans différentes compétitions internationales.
Ce lien avec Israël est initié par l’ancien entraîneur du Canadien de Montréal Jean Perron, qui a gagné la coupe Stanley en 1986. Ce dernier a accepté une offre d’entraîner l’équipe nationale de hockey d’Israël. Il a entendu parler de ce petit Sherbatov, 13 ans seulement, déjà surnommé dans le hockey québécois le « Rocket russe ». Il demande aux parents d’Eliezer la permission de le faire jouer pour l’équipe nationale israélienne lors des Championnats mondiaux de hockey des moins de 18 ans, à Sofia, en Bulgarie. Il sera le plus jeune joueur du tournoi.
Quatre langues se parlent dans le vestiaire israélien, l’anglais, le français, le russe et l’hébreu.
Eliezer brille et aide grandement son équipe à remporter sa première médaille au hockey, celle de bronze.
Il représente Israël huit autres fois dans des compétitions internationales, et aide même l’équipe nationale israélienne à remporter deux médailles d’or dans sa catégorie, en 2011 et en 2019, au moment où Eliezer a l’honneur d’être nommé capitaine de la formation.
Son nom fait le tour du monde en 2020 quand il accepte une offre de l’équipe Unia Oswiecim, de la ville Oswiecim, en Pologne, où fut édifié le sinistre site qui abrita le camp d’Auschwitz. Des membres de la famille de son père y furent exterminés par les nazis. L’arrivée d’un joueur de hockey de confession juive ne passe pas inaperçue : elle est saluée publiquement par le maire de la ville.
Mais l’affaire crée aussi la controverse, notamment en Israël, et vaut à Eliezer des centaines de demandes d’entrevues de tous les médias importants de la planète. Il souligne sa fierté à l’égard de son héritage juif et déclare qu’il joue pour un club de hockey polonais pour démontrer la résilience de la culture juive.
Comme l’affaire fait grand bruit, il est contacté par l’autrice canadienne juive, Anna Rosner. Elle est si intriguée par le riche vécu d’Eliezer, ses nombreux accomplissements et péripéties comme hockeyeur, au surplus de confession juive, une rareté dans le monde du hockey, qu’elle lui propose de raconter sa vie dans un livre.
La carrière professionnelle d’Eliezer prend subitement fin en 2021-2022. Il évolue en Ukraine, mais, avec l’aide de diplomates israéliens, il doit quitter subitement le pays bombardé par la Russie. Il est contraint pour ce faire de parcourir un trajet de quelque 1 200 km, réparti sur quatre longues journées de stress intense. Il a craint pour sa vie : l’affaire lui cause un bon traumatisme, ce qui l’incite à revenir définitivement au Québec.
Il y fait depuis sa niche dans cette province qu’il décrit comme la « Mecque du hockey ». Il se sert de sa vaste connaissance de ce sport, de sa réputation établie d’hockeyeur de pointe et des apprentissages tirés des entraînements rigoureux qu’il s’est imposés au fil des années pour conseiller l’organisme Hockey Québec dans le développement des habiletés des joueurs.
Avec l’Académie Sherbatov, il organise, avec le concours de sa mère, des camps spécialisés pour des joueurs d’élite.
Le garçon qui voulait jouer au hockey a encore beaucoup à offrir sur la glace. Son club de Waterloo vise les grands honneurs cette année. Dans la jeune trentaine, Eliezer devrait donc donner encore longtemps aux spectateurs québécois le bonheur d’apprécier son coup de patin exceptionnellement fluide et son panache.