La nouvelle Association des médecins juifs du Québec se mobilise contre l’antisémitisme
par Elias Levy
Regroupant plus de 700 membres, la nouvelle Association des médecins juifs du Québec (AMJQ) souhaite s’engager à devenir une force essentielle dans la lutte contre l’antisémitisme au sein des milieux hospitaliers québécois.
Nous nous sommes entretenus avec sa présidente, la radio-oncologue Dre Guila Delouya, et son vice-président, le cardiologue Dr Lior Bibas.
Comment l’idée de créer cette association a-t-elle germée?
Dre Guila Delouya : Cette idée a émergé après les événements du 7 octobre dernier et le sentiment d’absence de condamnation dans mon université d’attache, l’Université de Montréal (UdeM). Cela a été déclenché par une lettre du recteur de l’UdeM, Daniel Jutras, qui n’a pas condamné les actes terroristes du Hamas. Une étudiante résidente a pris l’initiative de lui écrire une lettre, dont j’ai été informée le soir même étant donné qu’elle est la fille d’une amie. J’ai alors proposé de former un groupe pour soutenir cette démarche, estimant qu’il était nécessaire de ne pas laisser une étudiante agir seule. Une trentaine de médecins affiliés à l’UdeM ont ainsi été sollicités pour cosigner cette lettre. En peu de temps, la liste des signataires s’est agrandie.
Quelques jours après, j’ai écouté sur la chaîne de télévision LCN une entrevue du Dr Lior Bibas sur l’antisémitisme. Inspirée par ses propos, je l’ai rencontré. Nous avons discuté et avons pensé que nous pouvions étendre cette initiative contre l’antisémitisme à l’ensemble des milieux hospitaliers et des campus québécois.
En seulement dix jours, plus de 700 médecins se sont montrés intéressés, parmi lesquels nos membres fondateurs : les Drs Jason Agulnick, Yves Benabu, Michael Bensoussan, Élie Haddad, Jacques Kadoch, Jaclyn Madar, Corey Miller et Karl Weiss.
Devant un tel succès, nous avons créé l’AMJQ. Nous avons consulté une avocate, Maître Eva Derhy, qui avait elle-même envisagé de créer une association similaire pour les avocats. L’AMJQ a été officiellement incorporée le 4 décembre dernier.
Quels sont les principaux objectifs de l’AMJQ?
Dr Lior Bibas : Nous nous concentrons sur la lutte contre l’antisémitisme. Malheureusement, il devient de plus en plus difficile pour les Juifs d’afficher leur fierté dans les universités et certains hôpitaux. En 2024, aucun Juif ne devrait avoir honte de son identité au Canada.
Le parcours en médecine est long et exigeant. Avant de devenir médecin, un résident est soumis à une évaluation constante. C’est donc un moment délicat pour s’engager dans des luttes sociales. En tant que médecins, nous sommes prêts à nous battre pour améliorer la situation dans les universités, surtout pour nos étudiants et résidents. C’est une lutte à long terme, car ces derniers seront les médecins de demain.
Dre G. Delouya : Un résident travaille en clinique et est évalué en permanence par des médecins. Imaginons un résident confronté à un patron antisémite. Il pourrait hésiter à réagir de peur que cela n’affecte son évaluation, son choix de carrière ou sa profession future. Si des résidents se sentent harcelés et intimidés, ils n’oseront pas réagir de peur de compromettre leur carrière. C’est là que notre association intervient. Nous travaillons avec des organisations comme le CIJA et le B’nai B’rith pour trouver des moyens d’aider anonymement les résidents sans compromettre leur position. Nous aimerions également collaborer avec les universités pour sensibiliser à long terme sur l’antisémitisme dans ces environnements.
Y a-t-il eu une augmentation des cas d’antisémitisme dans les hôpitaux dans lesquels vous travaillez?
Dre G. Delouya : Certains résidents m’ont informée de manière anonyme de situations qu’ils ont rencontrées, telles que l’exclusion de groupes de travail et des remarques désobligeantes, diffusées sur les réseaux sociaux par leurs pairs. Ces récits décrivent des situations déplorables.
Dr L. Bibas : Nous avons demandé à nos résidents de nous signaler tout incident d’antisémitisme ou de discrimination de manière confidentielle.
Malheureusement, nous avons recueilli plusieurs témoignages faisant état de propos, d’images, de messages et de tweets inappropriés, partagés sur les réseaux sociaux, provenant de résidents ou de médecins occupant des postes hiérarchiques supérieurs. Ces situations violent le code déontologique de notre profession et placent nos résidents dans des situations délicates. Nous avons fondé l’AMJQ afin de soutenir et accompagner les résidents et les stagiaires, sachant que leur position les rend souvent incapables d’affronter seuls ces situations difficiles.
Quelles sont les réalisations de votre association depuis sa création?
Dr L. Bibas : Face à la montée de l’antisémitisme dans les facultés de médecine, nous avons adressé une lettre à leurs doyens respectifs. Nous avons également organisé notre premier événement social à Hanoukah, qui a été un succès, quelque 200 personnes étaient présentes. Nous collaborons aussi étroitement avec des partenaires essentiels comme la Fédération CJA, le CIJA, ainsi qu’avec la nouvelle Alliance des avocats juifs du Québec.
Nous sommes la première Association de médecins juifs au Canada. Nous avons inspiré d’autres associations à se créer. En discutant avec des collègues en Ontario, ils se sont regroupés sous l’égide de l’Association médicale juive de l’Ontario (JMAO). Nous sommes également en contact avec des médecins juifs de la Colombie-Britannique qui souhaitent eux aussi suivre notre exemple pour aborder les mêmes enjeux. Nous souhaitons travailler de façon conjointe avec les autres associations de médecins juifs au Canada.
Quels sont vos objectifs futurs?
Dre G. Delouya : Nous aspirons à établir des relations de confiance et de collaboration avec les quatre facultés de médecine du Québec. Idéalement, nous souhaitons intégrer l’éducation contre l’antisémitisme dans différents programmes. Pourquoi ne pas envisager des modules d’apprentissage, qu’ils soient obligatoires ou facultatifs, dans les universités, les hôpitaux et les lieux de travail?
Dr L. Bibas : À court terme, notre principal problème est l’antisémitisme. Je doute que nous puissions l’éradiquer complètement. À long terme, notre objectif est de créer une communauté de médecins juifs. Nous sommes ouverts à accueillir des membres non juifs partageant nos valeurs et nos intérêts. Nous souhaiterions former une communauté active impliquée dans le parrainage d’étudiants, le réseautage, des activités sociales et éducatives et la mise en branle d’actions bénéfiques pour la communauté juive dans son ensemble.
Avec environ 90 000 Juifs au Québec, principalement à Montréal, nous envisageons des collectes de fonds et des activités éducatives. Nous comptons dans notre association des experts nationaux et internationaux dans divers domaines, prêts à contribuer à nos initiatives.
Nous avons tous travaillé très fort pour devenir médecins. Maintenant nous souhaitons redonner à notre communauté. Notre engagement actuel contre l’antisémitisme est notre priorité. Nous aspirons à devenir une force ancrée dans la communauté juive de Montréal.