Premiers Juifs de Nouvelle-France
PAR DAVID BENSOUSSAN
David Bensoussan est ingénieur, écrivain et blogueur sur Huffingtonpost et Times of Israel, en version française. Ancien Président de la CSUQ, il est notamment récipiendaire du prix Haïm Zafrani (2012).
Un peu d’Histoire
La Nouvelle France était interdite aux non-catholiques. L’histoire d’Esther Brandeau qui se déguisa en mousse pour venir s’y établir en 1738 est bien connue : son identité juive fut démasquée ; elle refusa la conversion au catholicisme et fut rapatriée à Bordeaux en France un an plus tard. Malgré leurs relations commerciales importantes avec la nouvelle France, les armateurs juifs de Bordeaux tout comme les Gradis ne pouvaient légalement y débarquer.
Les premiers Juifs arrivèrent au Canada avec l’armée anglaise en 1760. Il faut savoir que l’Angleterre avait expulsé les Juifs en 1290. Ce fut le rabbin Manassé Ben Israël de Hollande qui, en 1656, convainquit Cromwell d’autoriser la présence des Juifs, argumentant que le retour du messie qui devrait s’accompagner du retour des Juifs de tous les pays en Terre promise serait retardé tant qu’il n’y aurait pas de Juifs en Angleterre… Les Juifs de Hollande étaient essentiellement des Juifs portugais dont la plupart avaient fui l’Espagne pour le Portugal ou ils vécurent en marranes 1 avant de s’enfuir en Hollande.
Ce furent ces Juifs qui constituèrent le judaïsme britannique depuis le XVIIe siècle et qui fondèrent par la suite plusieurs congrégations hispano-portugaises dans le monde, y compris au Bas-Canada 2 . La première synagogue, la Congrégation hispano-portugaise, fut fondée en 1768 à Montréal et continue d’exister de nos jours. On y fit des sermons en langue portugaise jusqu’au milieu du XIXe siècle. Elle était située à la rue Chénier avant d’être transférée à la rue Stanley puis à la rue St-Kevin 3.
Malgré leur faible importance numérique, un bon nombre de Juifs s’illustrèrent au Bas-Canada. De nombreux documents historiques se trouvent aux archives juives canadiennes Alex Dworkin (anciennement Archives du Congrès juif canadien), au musée McCord ainsi que dans les archives familiales d’Ann Joseph que je tiens à remercier de même que Janice Rosen, directrice des archives Alex Dworkin. Nous citerons ci-dessous des Juifs qui se sont illustrés principalement au Québec.
Quelques figures célèbres
AARON HART (1724-1800) fut à l’origine de la communauté juive au Canada. Arrivé avec l’armée du général Amherst, il s’installa à Trois-Rivières où il devint marchand et ministre ou responsable des Postes (Postmaster).
Son fils ÉZÉCHIEL HART (1770-1843) fut élu à la Chambre du Bas-Canada (l’Assemblée législative du Bas-Canada) en 1807, mais n’y put siéger, car il refusait de prêter serment sur le Nouveau Testament ce qui était alors obligatoire. Il fut néanmoins réélu et c’est ainsi qu’en 1831, on permit aux Juifs du Bas-Canada d’être légalement éligibles à l’Assemblée législative, une première dans l’histoire de l’Empire britannique. Ce même droit ne sera accordé aux Juifs d’Angleterre que vingt-cinq ans plus tard !
L’entrepreneur JACOB FRANKS (1768-1840) fut marchand de fourrure. Il établit la première scierie industrielle au Canada en 1805.
HENRY JOSEPH (1774/75-1832), neveu d’Aaron Hart, fut un armateur prospère des liaisons transatlantiques et du trafic maritime sur le Saint-Laurent.
Abraham Joseph (1815-1886) fut capitaine dans la marine canadienne. Installé dans la ville de Québec, il y développa le trafic maritime. Il fut président de la banque Stadacona, du Debating Club de Québec, membre fondateur de la Bibliothèque de Québec et vice-consul de Belgique au Québec. Il fut également président de la Chambre de commerce de Québec et membre actif dans de nombreuses associations.
AARON HART DAVID (1812-1882) fut le premier médecin juif au Canada. Il fut le doyen de la faculté de médecine du collège Bishop à Montréal et secrétaire de l’Association médicale canadienne. Il fut président de la congrégation Shéérith Israël et membre de la société d’histoire et de littérature de Québec.
JESSÉ JOSEPH (1865-1904) fut un industriel et un philanthrope. Il fut président de la Compagnie de télégraphie, de la Compagnie de gaz de Montréal, du tramway de Montréal. Il développa le commerce avec la Belgique et fut nommé Chevalier et médaillé de la Décoration civique par le roi de Belgique. À sa mort, il était président de la congrégation Spanish & Portuguese.
Abraham De Sola (1825-1882), rabbin de la congrégation Shéérith Israël, se maria avec Esther, la fille de Henry Joseph. Responsable de l’École juive et fondateur de la société philanthropique juive, il fut professeur de littérature hébraïque et d’espagnol à l’université McGill qui lui décerna un doctorat honorifique. Il est l’auteur de nombreux livres en langue anglaise : Inscriptions sinaïques, Numismatique hébraïque, La vie de Shabetai Tsvi, Histoire des Juifs de France, Histoire des Juifs de Pologne et Cosmogonie mosaïque. Il fit imprimer un recueil de prières bilingue (anglais et hébreu) en 6 volumes. Sa renommée fut grande et il fut appelé à dire des mots de sagesse lors de l’inauguration de la Chambre des représentants américaine après la guerre de Sécession en 1872.
La présence de Juifs originaires du Maroc dans les Amériques remonte au règne tumultueux de Moulay Yazid en 1790. Bien des Juifs allèrent s’établir dans les Caraïbes et en Floride. Trois familles originaires du Maroc vinrent s’établir au Canada au XIXe siècle.
Une partie de la branche des SABAG-MONTEFIORE s’installa à Montréal (le philanthrope Moses Montefiore n’ayant pas eu d’enfant, légua sa fortune à sa nièce Sarah qui avait épousé Joseph Sabag, natif d’Agadir). Lorsque la majorité des Sépharades perdirent leur fortune durant le krach boursier de 1929, ce fut cette famille qui subvint aux besoins de la congrégation Spanish & Portuguese de Montréal.
Annette Pinto (1856-1921) fut la première membre de la branche des Pinto de Mogador qui avait auparavant vécu à La Havane avant de s’installer à Montréal; les descendants de cette famille ont conservé des liens épistolaires et un arbre généalogique impressionnant.
Le rabbin DAVID CORCOS (1872-1926) fut cinéaste et historien. Il fut rabbin de la congrégation Spanish & Portuguese en Jamaïque pendant 10 ans, chantre à la congrégation Shéérith Israel pendant 10 ans à New York avant d’arriver à Montréal. Il fut poète, cinéaste et historien de l’inquisition. On lui attribue la composition de la chanson Bendigamos, chanson fort populaire auprès des Sépharades d’expression judéo-espagnole.
Notes:
- Marrane : Juif converti au catholicisme professant le judaïsme en secret. ↩
- Après la bataille de Québec en 1763, la Nouvelle-France est incorporée à l’Empire britannique sous le nom de Province du Québec. En 1791, cette dernière devient colonie du Bas-Canada, le Haut-Canada correspondant à l’Ontario actuel. ↩
- Voir article de Sharon Gubbay-Helfer, « A la découverte de la plus ancienne synagogue au Canada », LVS Sept.2016 https://lvsmagazine.com/2016/09/a-la-decouverte-de-la-plus-vieille-synagogue-au-canada/ ↩
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