Elles et ils ont publié – mars 2022
Anne Élaine Cliche,
Le danseur de la Macaza, Le Quartanier, Montréal 2021.
Vertigineux. L’auteure plonge les lecteurs dans une sarabande de lettres liées entre elles comme une incantation… Qui est cet homme qui vit sur un banc dans l’une des rues principales de Val-d’Or en Abitibi et que l’on consulte comme un sage? Il porte un nom, oui, Bar Abbas, peut-être, mais est-ce suffisant pour décliner voire étouffer toutes ses autres identités? Il y a tellement de communautés qui ont tissé ce coin de pays. Pour l’un, il s’agirait de Lucien Grégoire disparu à l’âge de 13 ou 14 ans et dont on n’avait plus retrouvé la moindre trace. À moins que ce ne fût Roman Roudenko, un Ukrainien. Et si c’était le fils de Sem, danseur, bûcheron ici et étudiant là-bas à Montréal auprès du « Rabbi Menachem Zeev Greenglass de mémoire bénie qui arrivait de l’autre monde par le Japon et la Chine où il s’était réfugié ? » Ou peut-être était-il Anoki, un Métis, un Algonquin du lac Simon ou un Cri de la baie James? Ou même et plus probablement, le prophète Elie… Il est tout à la fois et surtout lui-même.
Odyssée au cœur de la vérité de chacun… Y compris de l’auteur qui mène l’enquête pour tisser un livre qui raconte… un livre… « Il parlait, on arrivait et il était déjà en train de parler, j’allais dire tout seul, mais ça ne convient pas; il parlait, on arrivait et la parole était pour nous, pas bonjour ni rien, pas de manières, comme un livre qu’on ouvre à une page quelconque et voilà on est dans le livre (…) un livre qu’on ouvre au hasard pour tomber sur la phrase qui fait signe ou destin ». Un authentique acte de bibliomancie… Savoir qui l’on est vraiment en ouvrant un livre, ici bien sûr incarné par un être humain portant au paroxysme la confusion entre l’un et l’autre. Anne Elaine Cliche dans une écriture sublime, orale, intime et littéraire, allie ici une connaissance de la judéité, de ses textes, de son âme à une épopée québécoise. Bravo. Assurément, un livre en attente d’un prix, le premier, celui de l’éblouissement.
Sonia Sarah Lipsyc
Joseph Erol Russo,
La vie absurde d’une chaussure, Montréal, 2021 1.
C’est l’histoire d’une chaussure nommée Oscar, « né un lundi matin dans une fabrique de chaussures ». Bébé Oscar est au début une bottine molle, qui grandit vite et devient bottine de marche. Après quelques années, Oscar s’habille de peau de vache bien cirée, mais aussi de tennis – surtout pour aller à l’école. Une école où se retrouvent baskets, chaussures à talon haut, sabots… Des amitiés se nouent, les souliers se querellent, intellos contre sportifs, ils apprennent les mathématiques et la philosophie. Oscar rencontre Kiki, chaussure à talon haut, une histoire d’amour commence, ils ont un bébé, une toute petite bottine qui portera le nom de Bof. En grandissant, Bof sera un soulier – passant du féminin au masculin – mais tous les personnages du récit sont chaussures ou souliers, souliers ou chaussures, changeant à la convenance de l’écriture… Au hasard de ses promenades, Oscar rencontre une chaussure trouée, Zéro Gelt (sans argent), mendiant éclairé, qui philosophe avec brio. Il l’engage comme précepteur pour Bof. Zéro Gelt a des valeurs humanistes et lutte pour plus de justice et de paix. Il cite avec constance Platon et Socrate. Grâce à lui, Bof est exposé à tous les sujets qui agitent la société des souliers – travail, salaire, écologie, pollution… Il l’initie à la musique : Shoe-Bert, Shoe-Mann, Shoe-Pin, Pet-Hoven…
J. Erol Russo s’amuse tout au long de ces pages à mettre en miroir la société des hommes et la société des chaussures, jonglant avec les analogies et les jeux linguistiques. Dans son introduction, il avoue avoir « laissé vaguer son imagination dans un monde fantasmagorique, plein de contradictions, d’absurdités ». L’avant-dernier chapitre porte sur le virus qui terrorise la planète des humains, une « Cornasse nommée diz-neuf ». Les chaussures débattent, elles aussi, de distanciation, de restrictions… L’histoire s’achève par la rencontre entre Bof et une chaussure élégante, qui donne naissance à une nouvelle petite bottine. « Fin (peut-être) » : Russo n’exclut pas de donner une suite à l’aventure de ses chaussures. Joliment illustré par Irvin Mandel, ce « petit roman pour grands enfants » est assurément destiné aux adultes. Une manière légère de tout aborder, dans la fantaisie et sur le mode humoristique. Un agréable moment de lecture.
Annie Ousset-Krief
Evelyne Abitbol,
Rilke. L’Andalou, Illustrations Salvador Chica Jimenez, Éditions NordSud, Montréal, 2021.
L’auteure, bien connue dans notre communauté, notamment pour ses engagements pour le Québec, nous offre ici une ballade géographique, culturelle et philosophique dans Ronda en Andalousie. Dans ce premier, mais certainement pas dernier roman, elle nous raconte la visite d’un jeune poète, écrivant une thèse sur Rilke, le maître, dans l’une de ces cités d’Espagne qu’il visita un siècle plus tôt. Tout se passe en une journée, sa rencontre avec le peintre espagnol Jimenez – celui-là même dont les belles peintures illustrent l’ouvrage – et Hannah, cette femme qui fait immanquablement penser à l’auteure. Ils devisent le long des pages et des rues sur tout, l’amour, l’amitié, les anges, André Lou Salomé, les Juifs. Evelyne Abitbol déploie ici quelques-unes de ses passions et son érudition nous charme. « Croyez-vous en Dieu? » – « Je crois en son absence » est l’un des dialogues qu’elle partage avec nous. Le livre est publié dans une édition dirigée par Karim Akouche qui, en tant qu’auteur, a participé à des activités d’Aleph au sein de la Communauté sépharade unifiée du Québec, notamment dans le cadre de notre dialogue avec les Kabyles.
Sonia Sarah Lipsyc
Hind Lahmami,
La parole aux écrivains judéo-marocains contemporains, édition de L’Harmattan, 2021.
La présence des Juifs au Maroc remonte à des millénaires, pourtant il faut attendre jusqu’à 2011 pour qu’un monarque éclairé, Sa Majesté le roi Mohammed VI, exige qu’ils soient reconnus dans la Constitution marocaine comme citoyens à part entière de la nation marocaine avec la liberté de culte et l’obligation d’inclure dans l’enseignement marocain leur histoire et culture. Enchantée par ces mesures prises par le Roi du Maroc et convaincue que le patrimoine judéomarocain devrait être préservé et enseigné dans l’école marocaine, Madame Hind Lahmami, docteur en Lettres modernes et enseignante à l’Université Moulay Ismaël de Meknès, a eu l’idée de réaliser cet ouvrage. Dans ce livre, elle présente des écrivain(e)s marocain(e)s qui se sont expatriés depuis plus de 40 ans, mais qui continuent, dans leur pays d’accueil, à préserver leur marocanité dans leurs écrits. Tout en reconnaissant les épisodes de persécution à différentes époques, ces écrivains évoquent aussi les moments de convivialité entre Juifs et musulmans. Leur attachement au Maroc est manifeste dans leurs romans, pièces de théâtre, poésie, films et autres. Les us et coutumes sont évoqués avec beaucoup de nostalgie ce qui fait dire à Hind Lahmami qu’ils sont de véritables ambassadeurs de leur pays natal. Huit écrivain(e)s ont été retenu(e)s. Ils sont présentés dans le livre avec photos à l’appui, de brefs curriculum vitae, des textes inédits, des extraits de leurs œuvres où il est question de marocanité et du vivre ensemble. Avec ces chantres de la marocanité Hind Lahmami « aspire à présenter pour les générations montantes, la communauté juive marocaine dans toute sa splendeur, ses traditions, ses rituels religieux, son amour du pays et le respect mutuel avec ses compatriotes musulmans ».
Trois des écrivains retenus sont de Montréal : Georges Amsellem, Sylvia Assouline, David Bensoussan. Et les autres, principalement d’Israël : Gabriel Bensimhon, Ami Bouganim, Asher Knafo, Nessim Sibony et Thérèse Zrihen-Dvir.
Ce livre est dédié À Sa Majesté, le roi Mohammed VI, émir de tous les croyants. Homme de paix et de dialogue.
Sylvia Ayelet Assouline
Sylvia Ayelet Assouline, Et le jasmin refleurit, éditions Balzac, Montréal, 2021.
Nous en profitons pour rappeler le dernier ouvrage de notre collaboratrice Sylvia Assouline.
Notes:
- Édité par l’auteur, disponible dans les librairies québécoises ou sur Amazon ↩