Monique Polak

Vois tout ce qu’il te reste, Septentrion, Montréal, 2022.

Quel livre passionnant! Il paraît sous le titre «roman», mais son auteure, écrivaine montréalaise anglophone des plus reconnues, qui a déjà publié une dizaine d’ouvrages pour jeunes adultes, s’est inspirée principalement de la vie de sa mère Celien, survivante de l’Holocauste, et d’un livre de son grand-père. Elle nous narre ainsi, dans un style des plus enlevés, l’histoire d’une famille – des parents et leurs deux jeunes adolescents, Théo et Anneke – déportée de Hollande au camp de Theresienstadt (ou Terezin), en Tchécoslovaquie.

Dans ce camp qui comptait beaucoup d’artistes, les familles restaient entre elles avant d’être entassées dans des wagons à bestiaux vers les camps d’extermination. Theresienstadt est également resté tristement célèbre pour la « supercherie cynique », comme l’écrit en introduction l’auteure, qu’ont réussie les nazis en y faisant des « travaux d’embellissement » avant la visite de la Croix-Rouge en 1943. Les délégués de cette association internationale n’ont pas eu le discernement de voir la famine, les maladies et la déshumanisation qu’y subissaient les Juifs. Dans ce récit romancé, tout est vu au travers du regard d’une jeune adolescente, ses amitiés, ses amours, ses conflits avec ses parents, en particulier avec son père, sa résistance physique et psychologique afin de pouvoir survivre. L’on pense parfois, et souvent à tort, avoir déjà pas mal lu sur le sujet de la Shoah, mais chaque lecture, et notamment celle-ci, nous montre à quel point il y a encore et toujours des aspects qui, bien sûr, nous échappent, comme par exemple la présence permanente des poux et des punaises dans la vie quotidienne, en soi déjà un véritable enfer.

Soulignons l’initiative des Éditions du Septentrion de publier un texte paru initialement en anglais en 2008 et ici présenté dans une excellente traduction. Ce livre qui peut compter parmi les classiques québécois sur le sujet est à mettre sans hésitation entre toutes les mains de l’adolescence au crépuscule de la vie.

Nadine Shenkar

Une peuple d’élite, Éditions Maïa, France, 2022.

L’auteure, enseignante de philosophie juive à l’Académie des beaux-arts Bezalel de Jérusalem, nous avait déjà gratifiés en 1996 d’un petit bijou avec L’art juif et la kabbale, l’un de ses nombreux livres en français et en hébreu. Là, elle nous propose un ouvrage court, mais très éclairant sur ce que l’on nomme parfois « le mystère d’Israël ». Quel est, en effet, le secret de la pérennité du peuple juif? Elle nous suggère plusieurs pistes principalement puisées aux modes singuliers de la pensée hébraïque parmi lesquels une conception particulière de l’espace-temps. « La faculté qu’ont les Juifs de se sentir contemporains d’un évènement passé est assez étonnante. Ils revivent par exemple la fête de Pessah, la sortie d’Égypte comme une véritable libération, une sortie de l’être présent alors que l’évènement a eu lieu il y a trois mille quatre cents ans. »

Elle souligne aussi une cohabitation intime de l’onirique, voire du fantastique et de la logique, présente aussi bien dans le Talmud que dans le Zohar où des discussions sur la loi côtoient des histoires parfois surréalistes. « Le côté droit du cerveau et celui de gauche y sont sollicités au point de créer un univers (….) d’une élévation peu commune. » Bien sûr, toutes ces modalités s’inscrivent dans la centralité de l’étude et de l’éducation au sein du peuple juif depuis des millénaires. Elles soulignent aussi un souci permanent de sacraliser la vie et de privilégier la connaissance. Rarement on aura réussi, en si peu de pages, à mettre en exergue la somme de ces singularités cognitives se déployant dans des rites ou le quotidien d’une vie. Singularités souvent méconnues du grand public et dont les Juifs eux-mêmes ne sont pas toujours conscients. Le souci de Nadine Shenkar est de pallier à cette ignorance en montrant comment grâce à cet héritage lié à la tradition juive, les Juifs ont contribué dans de nombreux domaines à l’avancée du progrès et de l’humanité. Le livre se termine d’ailleurs par une liste non exhaustive de ces apports dont l’auteur espère qu’ils susciteront le respect (et pas seulement la jalousie) comme un antidote à l’antisémitisme. Souhaitons-le!

Signalons que les frais de port sont entièrement pris en charge et gratuits si l’on achète ce précieux ouvrage directement auprès de la maison d’édition en France (editions-maia.com).

Ariel Toledano

Le livre de l’Harmonie. Introduction à la Kabbale, Éditions In Press, Paris, 2022.

La production toutes ces dernières années de cet auteur, médecin, est impressionnante et nous avons déjà eu l’occasion de rendre compte dans cette rubrique de ses ouvrages en pensée juive. Dans ce livre, il tente de mettre en évidence cette aspiration à l’harmonie à laquelle les humains devraient adhérer : harmonie du ciel et de la terre, du corps, de l’esprit, du langage et du temps, etc. Cette harmonie passerait par la compréhension « du sens profond des textes légendaires, les Derachot », ces récits et interprétations allégoriques que l’on trouve dans les différents corpus du Midrach et de la Kabbale. C’est d’ailleurs cette dernière discipline ésotérique qu’il choisit de privilégier dans cet ouvrage, en nous initiant dans un langage des plus accessibles à quelques-uns de ses fondamentaux parmi lesquels les sephirot (les sphères par lesquelles l’univers fut créé), les lettres de l’alphabet hébraïque, les noms de Dieu, la rétraction du Créateur pour laisser le monde être. Comme il le rappelle encore ici : « L’humilité de Dieu, c’est d’accepter l’imperfection de la création dans le seul but de laisser le soin à l’homme de la réparer. » Maïmonide est présent tout le long de cet ouvrage, ce qui peut paraître paradoxal, car il n’était apparemment pas connu pour être un kabbaliste. Mais il prônait cette harmonie au travers de son souci permanent du juste milieu et par sa reconnaissance aux côtés des discussions sur la loi juive de « l’influence du récit sur les hommes » et donc de l’importance de les comprendre au travers de tous les aspects de la tradition orale.