Elles et ils ont publié – septembre 2022

Eliette Abécassis

La Transmission, Éditions Robert Laffont, 2022.
Romancière à succès, l’une des rares à vivre de sa plume en France, l’auteure consacre ce livre à ses parents Armand et Janine, et plus particulièrement à son père, philosophe et penseur juif que notre public montréalais connaît bien, notamment au travers de conférences données et d’articles rédigés pour notre communauté. Elle nous fait ainsi découvrir différents aspects de l’œuvre et de la personnalité de l’un des penseurs juifs francophones contemporains comptant le plus dans le paysage de notre époque. Au travers d’un parcours exceptionnel, on saisit encore mieux les singularités de l’héritage d’un judaïsme sépharade d’origine marocaine.
Armand, Amram en hébreu porte le nom du tsaddik (le juste ou le saint) Amram Ben Diwan (18e siècle) sur la tombe de qui sa grand-mère paternelle avait pèleriné et prié pour avoir un enfant. Le garçon s’initia dès son plus jeune âge aux textes de base du judaïsme avec des maîtres, avant de rejoindre une école de l’Alliance israélite universelle (AIU). Il devint scout aussi, arpenta le pays et fera une rencontre majeure à la fin de son cursus scolaire avec le rabbin Léon Askénazi, dit Manitou de son nom de totem. Après la Shoah, il a été l’un des fondateurs du renouveau du judaïsme en France au travers de l’École d’Orsay qu’il dirigeait et où Armand (Cèdre de son totem) ira étudier. « On y apprenait à rester fidèle à la tradition juive et à la fois parfaitement intégré à la culture française qui enrichit le judaïsme et se trouve enrichie par lui » rappelle l’auteure en parlant de ce lieu où de surcroît n’était pas actée une rupture avec une tradition sépharade, mais un enseignement en accord avec la richesse de ce patrimoine.
Polyglotte, maîtrisant l’hébreu, l’araméen et l’arabe, talmudiste, docteur en philosophie, Armand Abécassis fut enseignant à l’École Aquiba. Il parcourut de nombreux pays et sillonna aussi la France à partir de son foyer à Strasbourg – où il donnait chaque chabbat un cours de Torah après l’office qu’il dirigeait à la synagogue du Mercaz ou de l’ORT – avant de trouver un ancrage professionnel comme professeur à l’université de Bordeaux. Enseignant et écrivain toujours actif et prolifique, il a en charge aujourd’hui l’enseignement du judaïsme au sein de l’AIU.
Une vignette ne suffirait pas à dire toute la richesse de son œuvre que sa fille nous relate. Il y a les livres d’exégèse et de pensée juives pour tout public, en particulier la transcription rédigée de ses nombreuses émissions de télévision avec le rabbin Josy Eisenberg ; la mystique juive et ses ouvrages œuvrant au dialogue judéo-chrétien, dont Armand Abécassis est sans conteste l’un des meilleurs spécialistes actuels.
Toute cette érudition habite un homme à qui l’on doit cette formule éclairante : « Les Juifs ne sont pas le peuple du Livre, mais le peuple de l’interprétation du Livre » (p. 26). Un homme avenant qui, comme le rappelle sa fille est « capable de parler philo avec son coiffeur et son gardien tout autant qu’avec un prof d’université. »
Dans cet ouvrage mené aussi comme une enquête, genre qu’affectionne l’auteure, Eliette Abécassis exprime tout l’amour, la gratitude pour ses parents et l’admiration qu’elle a pour son père … dont la transmission, au cœur de son existence, s’effectue de père en fils et en filles, et ainsi de suite. C’est l’essence et l’existence même du judaïsme depuis le mont Sinaï. Un guide pour elle et pour nous car il incarne ce judaïsme instruit, humain et modéré, tous les ingrédients que l’on aime et qu’on est en droit d’attendre de nos contemporains.

Sonia Sarah Lipsyc

 

Amoz Oz avec Shira Hadad

Conversations sur l’écriture, l’amour, la culpabilité et autres menus plaisirs, (traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen), Éditions Gallimard, 2022.
L’auteur, décédé en 2018, compte parmi les écrivains majeurs de la littérature israélienne. Il a d’ailleurs été pressenti plus d’une fois pour le prix Nobel de littérature qui jusqu’à présent n’a été décerné qu’à un seul auteur hébraïque, le grand S.Y. Agnon, en 1966. Dans ce livre d’entretiens avec sa jeune éditrice, publié en français à titre posthume, Amos Oz parle de sa vie d’homme, d’écrivain et de citoyen aux idéaux de gauche. Né à Jérusalem en 1939 dans une famille d’intellectuels, héritière d’un sionisme ancré à droite ; après le suicide de sa mère, il ira vivre dès son adolescence au kibboutz, structure où il passera une large partie de sa vie. Il se penche sur ses écrits (essais et fictions), parmi lesquels Seule la mer, à propos duquel il écrit : « Je ne sais pas d’où il sort. À croire qu’il m’a traversé de part en part pour ressortir de l’autre côté ». Étrange paradoxe alors même qu’il raconte le dur et solitaire labeur de l’écrivain. Il en éprouve même une culpabilité lui qui avait réussi à obtenir du kibboutz qu’on lui accorde deux jours par semaine pour écrire lorsque, se rendant à la salle à manger collective, au milieu d’autres qui avaient déjà labouré les champs ou trait les vaches, il confesse : « Je m’installais devant eux en louant dieu que personne ne sache que j’avais passé la matinée à écrire six lignes et à en effacer trois. »
Il y a des fulgurances dans ce livre parfois inégal – qui relate toutefois ce que peut être la qualité d’une authentique conversation humaine –, comme sur les rapports des hommes aux femmes : « J’étais comme tous ces hommes qui adorent le sexe et détestent les femmes » et le long chemin pour apprendre à les connaitre et les respecter.
La fin est magnifique, lorsqu’il raconte pourquoi il a écrit son chef-d’œuvre Une histoire d’amour et de ténèbres et je n’en dévoile ici qu’un court passage: « (…) pour inviter les morts à revenir à la maison afin de les présenter à Nili (sa femme ndlr), à mes enfants et petits-enfants, afin de leur parler, de les interroger, de leur ménager quelques surprises, puis de les renvoyer (…). Ils n’ont qu’à nous attendre, car après tout, nous avons encore deux ou trois choses à régler ici. Et la lumière est encore si douce à nos yeux. »

Sonia Sarah Lipsyc

 

Irvin D. Yalom et Marilyn Yalom

Une question de mort et de vie, Éditions Albin Michel, 2021.
Psychiatre et thérapeute célèbre, et romancier à succès, Irvin Yalom a eu une vie bien riche et surtout il a vécu une grande histoire d’amour avec sa femme Marilyn durant 65 années, avec qui il eut quatre enfants. Son épouse était, elle-même universitaire, francophile, historienne et auteure de nombreux ouvrages, principalement sur la condition des femmes. Leur couple rayonna dans leur vie familiale, amicale et professionnelle à partir de leur résidence en Californie et de par le monde.
Ce livre est écrit à deux mains, car lorsque Marilyn fut confrontée à la maladie, elle lui propose qu’ils rédigent ensemble un chapitre à tour de rôle et lui dit : « Peut-être que nos épreuves serviront à d’autres couples dont l’un des deux membres est confronté à une maladie incurable. » Et ainsi fut-il fait ! Ils souhaitaient au-delà et au travers de leurs témoignages, de l’une luttant contre un cancer et de l’autre cheminant à ses côtés, aborder des questions essentielles et parfois trop souvent taboues. « Que sommes-nous prêts à supporter pour rester en vie ? (…) Comment nous entraider et vivre avec plaisir les jours, les mois ou les années qu’il nous reste à vivre ? (…) Comment pouvons-nous abandonner ce monde à la génération suivante sans récrimination ? (…) Que prévoyons-nous pour celui qui survivra à l’autre ? (…) Comment pourrons nous finir nos jours en souffrant le moins possible ? » Car ils insistent que « le premier objectif du livre est (…) de nous aider à traverser cette fin de vie ». Et ce d’autant plus qu’au bout de quelques mois, Marilyn, souffrant le martyre demandera l’aide à mourir dans la dignité. Et Irvin, resté seul, mais entouré de ses enfants, reprend la plume pour dire le deuil et le veuvage. « Comment vivre dans un monde où elle n’est plus ? », s’exclame-t-il. Lui qui a profondément aimé sa femme, osant même écrire : « J’ai la certitude qu’aucun homme n’a jamais aimé une femme d’avantage .» Il est touchant d’ailleurs, lorsque plus d’une fois sous une forme ou une autre, il demande : « Comment la plus intelligente, la plus belle et la plus appréciée des filles de la Roosevelt High School, a-t-elle pu choisir de passer sa vie avec moi ? Moi le binoclard de la classe (…).»  
Irvin Yalom, qui en tant que thérapeute pour aider des gens dans le deuil, dit cette douleur qu’aucune théorie ou pratique professionnelle ne vient consoler. Il continue à écrire encore quelques mois après le décès de son épouse jusqu’à la lettre finale qu’il lui adresse. Il se surprend alors qu’il se dit loin de ces considérations spirituelles, à s’abandonner « sans honte à l’idée totalement fantasque que si nous partagions le même cercueil nous serions ensemble pour l’éternité ».

Sonia Sarah Lipsyc

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