L’affaire Halimi : un scandale judiciaire

Annie Ousset-Krief

 

Annie Ousset-Krief

Annie Ousset-Krief

 

 

 

 

 

 

C’était il y a presque cinq ans, le 4 avril 2017, en pleine nuit, Sarah Halimi, 65 ans, médecin, directrice de crèche à la retraite, mourait assassinée. Assassinée parce que juive. Le meurtrier était l’un de ses voisins, Kobili Traoré, un Franco-Malien musulman. Il la massacra à coups de poing, puis la défenestra, en hurlant « Allah auhkbar! J’ai tué le sheitan (le diable) ». La police, alertée par des voisins, arriva sur les lieux de la tragédie une vingtaine de minutes avant que la malheureuse victime ne soit jetée par la fenêtre, mais attendit une heure pour lancer une intervention. Sarah Halimi était déjà morte, victime de la barbarie islamiste. Son assassin se laissa interpeller sans résistance. Son état mental étant jugé incompatible avec une garde à vue, il fut placé à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris.
Kobili Traoré fut mis en examen trois mois après son crime. La juge Anne Lhuellou instruisit l’affaire pendant deux ans. Le 12 juillet 2019, elle conclut à l’irresponsabilité pénale de Traoré sur la foi d’expertises psychiatriques : son discernement aurait été aboli par la consommation de cannabis qui aurait provoqué « une bouffée délirante aiguë ». La chambre d’instruction confirma sa décision le 19 décembre 2019. Entretemps, le caractère antisémite de l’assassinat fut retenu sur décision du Parquet de Paris. Mais il fallut huit mois (février 2018) pour que cette requalification soit entérinée – sans que cela change le verdict d’irresponsabilité et ne permette un procès.
La famille de Sarah Halimi se pourvut en appel, mais la Cour de cassation maintint la décision première de la juge Lhuellou, le 14 avril 2021. Kobili Traoré ne sera donc jamais jugé. Placé après son interpellation dans l’unité pour malades difficiles de Villejuif, il en est sorti il y a quelques mois, et se trouve dans le service psychiatrique d’un hôpital de la région parisienne. Il peut sortir tous les jours, et ne suit apparemment aucun traitement, comme en témoignait le journaliste de France 24, Christophe Dansette 1 : « Il n’est pas malade, c’est un simulateur », lui avait dit une infirmière de l’hôpital.
Depuis le début, la famille de Sarah Halimi – ses trois enfants, son frère William Attal et sa sœur – appuyée par des associations, se bat pour obtenir justice 2 .

Qu’a relevé la commission parlementaire sur les dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire Halimi?

 l’initiative de Meyer Habib, député UDI de la 8e circonscription des Français établis hors de France et de la députée des Hauts-de-Seine, Constance Le Grip (Les Républicains), soixante-seize députés issus de différents groupes ont demandé dès le 9 juin 2021 la constitution d’une commission parlementaire chargée de faire la lumière sur ce drame. Le 22 juillet 2021 se mettait en place la Commission d’enquête sur les éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement 3. Composée de vingt-neuf membres, présidée par Meyer Habib, cette commission a commencé ses travaux le lundi 13 septembre 2021 et a clos les auditions le 20 décembre 2021. Le 6 janvier 2022, elle se réunissait une dernière fois pour examiner à huis clos le rapport final, rendu public le 10 janvier. Vingt séances, des centaines d’heures d’auditions. La commission a entendu plus de quarante personnes : les avocats des parties civiles, la juge d’instruction Anne Lhuellou, des procureurs, des magistrats, les experts psychiatres intervenus dans la procédure, la famille de Sarah Halimi, des voisins et collègues de travail de Sarah Halimi, des ministres et des responsables de la communauté juive.
Dans sa présentation du 13 septembre, Meyer Habib affirme le caractère trans-partisan de la commission et l’absence d’intention politique. Il ne s’agissait pas non plus de refaire un procès, car, dit-il, « la justice a tranché en première instance, en appel, en cassation et elle nous oblige ». La commission s’était donnée pour tâche de travailler sur les différents témoignages afin d’éclairer les nombreuses zones d’ombre qui marquent l’affaire Halimi.
L’une des incohérences les plus flagrantes est l’absence de reconstitution, et ce, malgré la demande de toutes les parties impliquées. Comme l’indique Jean-Alex Buchinger, avocat des enfants de Sarah Halimi jusqu’en juillet 2018, « une reconstitution est presque systématiquement ordonnée en matière criminelle. Il est exceptionnel de ne pas l’ordonner 4. ». Même affirmation de Maître Gilles-William Goldnadel 5, avocat de la sœur de Sarah Halimi. Pourtant la juge d’instruction Anne Lhuellou s’y est opposée. Lors de son audition le 24 novembre, elle réplique qu’organiser une reconstitution est difficile, demande un énorme travail.
« Ce dossier était prioritaire, mais ce n’était pas le seul, on a fait au mieux en fonction de nos moyens ». La députée Aurore Bergé (LREM) lui rétorque que « le fait que M.Traoré ait été pressenti dès le départ comme pénalement irresponsable vous a conduit à vous dispenser de certains actes, que vous auriez sans doute faits dans d’autres affaires du même type ». Précipitation? Incompétence? La juge ne s’est même pas rendue sur les lieux du crime : « cet acte ne nous a pas été demandé et ne nous a pas semblé utile à la manifestation de la vérité, les faits étant reconnus ». Or trois membres du bureau de la commission parlementaire, accompagnés d’un expert judiciaire, sont allés le 16 décembre dans l’appartement de Sarah Halimi afin de reconstituer partiellement la séquence des événements 6. Ils ont notamment pu constater les incohérences des témoignages des policiers, qui avaient affirmé sous serment ne pas avoir entendu Sarah Halimi crier. La vidéo réalisée sur les lieux montre les députés postés dans le hall de l’immeuble, et dans la cour, afin de vérifier si les cris depuis l’appartement et le balcon étaient audibles. Pour les députés présents, il est impossible que la dizaine de policiers présents n’aient pas entendu la victime crier. Pourquoi ont-ils menti? Pourquoi ne sont-ils pas intervenus? Y aura-t-il enquête pour non-assistance à personne en danger?
À la lecture de tous les témoignages, la préméditation du meurtre semble claire. Sarah Halimi avait confié à des proches sa crainte de Traoré, qui l’insultait et la menaçait. La préméditation n’a pourtant pas été retenue. Pas plus que la radicalisation de Traoré, qui fréquentait une mosquée salafiste – qui n’a d’ailleurs pas fait l’objet d’une enquête, malgré la demande des avocats de la famille de Sarah Halimi. De même, pourquoi la juge a-t-elle ordonné une contre-expertise psychiatrique qui concluait à l’irresponsabilité de Traoré, alors qu’une première expertise, réalisée par le Dr Daniel Zagury, avait conclu à une altération partielle du discernement, ce qui permettait de renvoyer le meurtrier en cour d’assises?
Les incohérences multiples laissent soupçonner un dossier vite expédié – sans que l’on puisse en comprendre la raison. Certaines rumeurs avancent une explication politique : à vingt jours de l’élection présidentielle, le gouvernement craignait-il de voir le vote pour la candidate du Rassemblement National se renforcer? Chacun avait à l’esprit l’élection de 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen, leader du Front National, était arrivé au deuxième tour après l’affaire dite « Papy Voise 7 ».

Des membres de la commission d’enquête refusent de signer le rapport final

Désaccord et dissensions ont marqué la commission. Ils se sont cristallisés lors de l’examen du rapport, le 6 janvier. Sur les douze membres présents, sept l’ont validé (tous membres de la majorité présidentielle LREM), et cinq ont refusé de le signer. La rapporteure Florence Morlighem (LREM) avait conclu à l’absence de « dysfonctionnement grave », tout en identifiant des failles dans l’intervention de la police et dans l’instruction. Dans son introduction, elle affirme que « les éclaircissements apportés par le rapport n’ignorent pas un certain nombre de difficultés, mais ils démontrent également que dans cette affaire les règles que suivent nos forces de sécurité et celles de notre état de droit ont été respectées. ». Elle ajoute que « l’absence de dysfonctionnement grave n’exclut toutefois pas que de meilleures décisions auraient pu être prises, ni que certaines de ces règles ne devraient pas évoluer pour mieux répondre à des situations similaires à celles-ci. Un premier pas a déjà été fait en ce sens avec l’adoption du projet de loi sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure 8 . ».
Les conclusions du rapport ont été rejetées par Meyer Habib et Constance Le Grip, les deux initiateurs de la commission. Constance Le Grip souligne le fait que les députés républicains jugent le rapport « extrêmement décevant, extrêmement frustrant, extrêmement troublant 9. ». Elle parle « d’omissions 10, de manquements, de présentations biaisées ». Quant à Meyer Habib, il avait rédigé un avant-propos au rapport dans lequel il soulignait les « dysfonctionnements abyssaux de l’instruction » et insistait sur « l’incapacité du rapport à mettre en avant de manière évidente et assumée le constat de dysfonctionnements graves, de manquements et de failles ». Mis en cause directement par Florence Merlighem qui dénonçait des « dysfonctionnements internes » et sa manière de présider la commission parlementaire, M. Habib accusait les députés LREM membres de la commission : « En réalité, depuis le premier jour et jusqu’au dernier, tout laisse penser que l’objectif de certains a été de faire de cette commission un pur exercice de forme, donnant l’impression de vouloir préserver à tout prix l’irresponsabilité des services de l’État, et ce, malgré les éléments flagrants de dysfonctionnements révélés par la commission », écrit-il. Le 12 janvier, accompagné de Constance Le Grip et de François Pupponi (député MoDem), il tenait une conférence de presse à l’Assemblée nationale, afin d’expliquer pourquoi ils avaient refusé de voter le rapport. Meyer Habib a affirmé une nouvelle fois que « Sarah Halimi aurait dû et aurait pu être sauvée ». Interviewé sur Radio J le lendemain de la conférence de presse, il déclarait : « L’affaire n’est pas terminée. Moi je ne lâcherai pas tant que justice ne sera pas faite . ». Et la famille de Sarah Halimi a demandé à Me Goldnadel de porter plainte contre les policiers pour non-assistance à personne en danger. L’affaire Sarah Halimi n’est en effet pas finie.

Notes:

  1.  Commission parlementaire, audition du 1er décembre
  2. Voir aussi les 4 articles sur l’Affaire Halimi dans le numéro du LVS de septembre 2021 : https://lvsmagazine.com/category/septembre-2021/monde-juif-septembre-2021/
  3. . https://www2.assemblee-nationale.fr/15/autres-commissions/commissions-d-enquete/commission-d-enquete-sur-les-eventuels-dysfonctionnements-de-la-justice-et-de-la-police-dans-l-affaire-dite-sarah-halimi/(block)/96312
  4. Commission parlementaire, audition du 13 septembre.
  5.  Id.
  6. https://www.tribunejuive.info/2021/12/21/meyer-habib-et-quelques-membres-de-la-commission-sarah-halimi-obstinement-ils-gardent-le-cap-ii/
  7. Trois jours avant l’élection présidentielle, un fait divers fait la une des journaux télévisés : Paul Voise, 72 ans, vivant dans un quartier difficile d’Orléans, est agressé chez lui. Après l’avoir tabassé, les deux voyous mettent le feu à sa maison. Il devient malgré lui, le symbole de l’insécurité en France. De nombreux commentateurs attribuent à cette triste affaire le vote pour Jean-Marie Le Pen.
  8. Loi adoptée le 16 décembre 2021.
  9. Interview sur i24news. https://www.youtube.com/watch?v=stn1orF4MGo
  10. Par exemple, le rapport ne mentionne pas la reconstitution sur les lieux effectuée par les trois députés – reconstitution à laquelle la rapporteure ne s’était pas rendue.
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