Retour sur la flambée d’antisémitisme à Montréal

PAR Eta Yudin 

Eta Yudin

 

 

 

 

 

Le contexte au Proche-Orient 1

Prenons un peu de recul… Mai 2021, la situation est tendue au sein de la société palestinienne. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne depuis 2004, sent que le pouvoir va lui échapper si les élections tant attendues voient le jour. Le Hamas, seule voix politique organisée, est le seul parti à le menacer, les autres voix d’opposition étant durement muselées. Mahmoud Abbas décide donc de repousser sine die les élections. Au même moment, un conflit de type locatif lié à la transmission de propriété entre la Guerre d’Indépendance et la guerre des Six Jours éclate. Cette affaire complexe porte sur des revendications de propriété entre des locataires arabes et des propriétaires juifs dont l’origine remonte à l’occupation de Jérusalem par la Jordanie et qui s’est poursuivie après la libération de Jérusalem. La Cour suprême israélienne annonce le report du jugement à une date ultérieure pour tenter d’endiguer la tension croissante, car le conflit juridique s’étend au domaine politique. À la dernière minute, la Marche de Jérusalem organisée par diverses organisations chaque année pour marquer la libération de la ville est redirigée pour éviter les frictions et calmer le jeu. Les dirigeants palestiniens montent en épingle la marche marquant
la réunification de Jérusalem en 1967 pour attiser la haine. Rapidement, la situation dérape et le Hamas
en profite pour se présenter comme seul représentant
de la rue palestinienne. Des émeutes éclatent aux abords de la Mosquée d’Al Aqsa, la police intervient
et le Hamas tire des roquettes sur Jérusalem.
C’est le début de 11 jours de guerre du 10 au
21 mai 2021 pendant lesquels les Israéliens seront cloitrés dans les abris, car pris pour cible par l’organisation terroriste, maître de Gaza, qui fait tomber une pluie de roquettes sur la population.

Des manifestations anti-Israël violentes à Montréal

À Montréal, une manifestation est organisée le samedi 15 mai en soutien aux Palestiniens par plusieurs associations et organisations palestiniennes
et musulmanes. Il s’agit tout à la fois de marquer
la Nakba (appellation arabe signifiant catastrophe pour qualifier la création de l’État d’Israël) et de condamner la riposte israélienne aux tirs de roquettes du Hamas, lesquels ne font l’objet d’aucune critique de la part des manifestants qui légitiment son agression contre les civils israéliens. Très vite cette manifestation prend une tournure inquiétante : le consulat d’Israël est ciblé, une vitre est fracassée par des tirs de pierres, on brûle un drapeau israélien, des bombes fumigènes sont tirées au-dessus de la foule, des pancartes assimilent Israël au nazisme et l’accusent de génocide à l’endroit des Palestiniens, et d’autres affichent des slogans de haine envers les Juifs.
Le SPVM doit disperser la manifestation et procéder à des arrestations pour vandalisme.
Alors que beaucoup d’entre nous sont choqués par cette manifestation violente et haineuse, la plupart des médias parlent d’une démonstration « pacifique » et « civique ». L’équipe du CIJA, l’agence de représentation de la Fédération CJA, se mobilise pour informer les leaders politiques de la situation et répondre aux médias. La Fédération CJA et ses responsables de la sécurité communautaire sont par ailleurs en contact étroit et continu avec le SPVM.
Lorsqu’il est décidé qu’un rallye en soutien à la population israélienne aura lieu le 16 mai, le SPVM est prévenu afin que la sécurité soit assurée.
Mais tandis que ce rassemblement se tient dans une ambiance bon enfant, avec quelques personnalités de la communauté prenant la parole, des contre-manifestants venus pour en découdre font irruption. Ils s’en prennent aux manifestants, tentent d’arracher à certains leurs drapeaux israéliens, leur jettent des roches, les aspergent de poivre de cayenne, et poursuivent certains dans les rues avoisinantes aux cris de « Allah Akbar ». L’escouade antiémeute charge les agresseurs à plusieurs reprises et tente de les disperser en tirant plusieurs bombes lacrymogènes dans leur direction. Grâce au cordon de sécurité mis en place par la police, les dommages physiques sont limités et des contre-manifestants sont arrêtés, certains en possession d’armes. Bilan : 15 arrestations et 76 constats d’infractions.
Cette émeute antisémite a laissé la communauté en choc, atterrée d’avoir été attaquée en plein Montréal.

Ce sentiment nouveau, inédit pour les Juifs québécois, rappelle de douloureux souvenirs aux Juifs français venus s’installer au Québec. Le tout dans un silence assourdissant des médias qui parlent pudiquement de « tensions communautaires », « d’importation du conflit », sans rapporter la violence des propos et des attaques des individus hostiles à Israël et aux Juifs. Cependant, un journaliste du Journal de Montréal, venu interviewer les personnes présentes au rallye, assiste, sidéré, à ces débordements de haine de la part des contre-manifestants.
Après que le CIJA eut alerté le gouvernement provincial et fédéral ainsi que la mairie de Montréal, les condamnations publiques se font unanimes. Le premier ministre Trudeau, le ministre québécois responsable de la Lutte contre le racisme, Benoit Charette, la cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade, et la Mairesse de Montréal, Valérie Plante, condamnent sans réserve l’antisémitisme dans les rues de Montréal.

 

Haine antisémite sur les médias sociaux et dans nos rues

Mais nous n’étions malheureusement pas au bout de nos surprises.
La haine sur les réseaux sociaux se propage tel un feu de paille donnant libre cours à des insultes et à des menaces à l’endroit de la communauté juive. Le CIJA soutient alors plusieurs personnes, y compris des étudiants, qui reçoivent des menaces pour avoir témoigné leur soutien à Israël, et doit intervenir également auprès d’écoles secondaires où des élèves juifs sont intimidés.
Le lendemain du rallye, deux individus se filment sur Snapchat en annonçant : « on s’en va à Côte-Saint-Luc où sont tous les Juifs ». Et alors que les habitants de Côte-Saint-Luc se préparent paisiblement à célébrer la fête de Shavouot, ils font irruption en voiture en criant des menaces et des insultes à l’endroit des Juifs et d’Israël, « Fuck Israel bande de Juifs! ».
Fort heureusement la police, informée des menaces sur les réseaux sociaux et en état d’alerte, a tôt fait de les appréhender sur le vif. Les deux suspects ont été traduits en justice.
Mais la haine sur les réseaux sociaux ne tarit pas et les auteurs de ces messages semblent croire qu’ils jouissent d’une certaine impunité, car ils n’hésitent pas à le faire à visage découvert ou même publiquement.
C’est ainsi qu’un président d’une association de jeunes de Montréal-Nord, financée par la municipalité, est démis de ses fonctions sur le champ par le conseil municipal pour avoir publié des propos ouvertement antisémites. Un autre individu, par l’entremise des réseaux sociaux, a par ailleurs été appréhendé pour avoir menacé de poignarder quiconque brandirait des drapeaux israéliens.
Dans la foulée de ces évènements, la page Facebook officielle d’un groupe ayant souvent des positions radicales publie la vidéo inquiétante d’un prédicateur islamiste bien connu qui accuse les personnes pro-Israël présentes au rallye du 16 mai d’avoir « insulté le prophète ». Cette accusation farfelue nous inquiète puisque ce type d’accusation n’est rien de moins qu’une fatwa rendant passible de la peine de mort les accusés selon le droit islamique. Il poursuit et accuse le « lobby sioniste » de dépenser beaucoup d’argent pour « radicaliser la société » afin qu’elle se détourne de la cause palestinienne.
Après que le CIJA eut dénoncé publiquement cette vidéo, le prédicateur en question récidive en publiant sur sa page Facebook, une autre vidéo où il s’en prend nommément au CIJA. Les menaces à peine voilées de ces deux vidéos sont prises très au sérieux et nous en informons immédiatement le SPVM et les autorités municipales et provinciales.
C’est d’ailleurs parce que les autorités sont informées de tous ces faits inquiétants et susceptibles de porter une atteinte sérieuse à l’ordre public que la manifestation du 22 mai en soutien à la cause palestinienne est d’abord autorisée, puis déclarée illégale par crainte de violences.

Dans la foulée, Le Devoir publie une caricature assimilant Derek Chauvin à Israël et George Floyd aux Palestiniens. Dans un tel contexte, CIJA rencontre la direction du journal qui accepte de publier une pleine page de réponses exprimant l’inquiétude que suscite cette comparaison déplacée et foncièrement fausse.
Ces évènements font prendre conscience à de nombreux concitoyens que la dénonciation permanente d’Israël, même lorsque le pays est attaqué par une organisation terroriste comme le Hamas, n’est en fait que le paravent d’un violent antisémitisme.
Après avoir fait état auprès des députés de l’Assemblée nationale du Québec de ces menaces réelles et du sentiment d’inquiétude qui étreint la communauté juive, la classe politique québécoise répond avec force en votant à l’unanimité une motion condamnant la forte hausse des incidents antisémites le 26 mai. De nombreux acteurs communautaires, journalistes, chroniqueurs et politiciens ajoutent leurs voix à cette dénonciation.
Forts de cet acte majeur, et de l’ensemble des condamnations publiques, le CIJA lance une campagne appelée « Agissons » 2 destinée à combattre l’antisémitisme en outillant les utilisateurs de la plateforme avec des modèles de lettre aux députés, des messages pour les réseaux sociaux…
Nous sommes également fiers de la décision du gouvernement du Québec, par la voix de son ministre responsable de la Lutte contre le racisme, Benoit Charette, d’adopter la définition de l’antisémitisme de l’IHRA, permettant ainsi de lutter de façon plus concrète contre ce fléau dans toutes ses formes et assurant des formations et des campagnes de sensibilisation à la haine des Juifs.
Malgré l’extraordinaire solidarité témoignée par la classe politique, des personnalités publiques et de nombreux concitoyens, nous demeurons vigilants et déterminés à poursuivre la lutte contre ce fléau 3.

Notes:

  1. Cet article a été rédigé le 18 juin 2021 (note de la rédaction)
  2. https://www.fightit.ca/?lang=fr
  3. https://www.cija.ca/fr/about-us/
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