La communauté juive de la ville de Québec
PAR Éric Yaakov Debroise
À l’initiative de Pierre Anctil et Simon Jacobs, un ouvrage intitulé Les Juifs de Québec, quatre cents ans d’histoire paru en 2015 remédie à une lacune de l’histoire juive québécoise. Cet article tire notamment ses sources d’information de cet ouvrage et a pour but de mieux faire connaître les Juifs de la capitale, l’une des plus anciennes communautés juives du Québec.
Les débuts de la vie juive à Québec : du caractère, des figures marquantes
En 1738, Esther Brandeau à bord d’un navire en provenance de Bordeaux débarque au port de Québec. Elle est rapidement démasquée. Dans une Nouvelle-France qui interdit officiellement l’installation de non-catholiques dans la colonie, Esther Brandeau est sommée par l’intendant Gilles Hocquart de se convertir au catholicisme et d’abjurer sa judéité. Elle tient tête à l’intendant de Nouvelle-France et refuse à de multiples reprises son injonction. En conséquence, elle est expulsée du pays aux frais de l’État français.
Esther Brandeau est la première personne juive à Québec dont l’histoire nous est parvenue. Son caractère bien trempé et surtout son courage sont à l’image d’autres membres de la communauté juive qui rayonneront au Québec.
Samuel Jacobs est le premier Juif à s’installer de manière permanente à Québec. Il participe à la guerre de Sept Ans (1756-1763) pour le compte des Britanniques. En 1759, il est aux côtés des hommes qui assiègent la ville de Québec. Une fois la ville conquise, son bateau, le Betsey, est réquisitionné par le général Murray, le forçant en quelque sorte à s’établir dans la ville et à y tenter fortune. Rapidement, il tisse des relations commerciales durables avec Aaron Hart établi à Trois-Rivières. En 1769, il devient l’un des trois propriétaires de la première distillerie de rhum à Québec.
Au 19e siècle, les Juifs d’Europe de l’Est émigrent de plus en plus en Amérique du Nord. Un petit nombre s’installe à Québec. Travaillant dur, les Juifs de la capitale nationale réussissent économiquement, mais leur présence est indésirable. En 1910, c’est l’« affaire Plamondon ». Le notaire canadien-français Jacques-Édouard Plamondon déchaîne les passions à Québec. Dans le quartier Saint-Roch, il prononce une conférence contre les Juifs et le Talmud. Les accusations de meurtres rituels sont reprises, il invite son public à ne plus acheter chez les commerçants juifs de la ville, ni louer ou leur vendre une résidence1.
La communauté juive de Québec réplique par voie judiciaire, c’est l’occasion de combattre un discours malveillant à l’égard des croyances juives et des membres de la communauté. C’est en 1914 que le juge Cross condamne Plamondon pour attaque diffamatoire envers les familles juives de Québec. C’est la première fois au Canada qu’une sanction est appliquée contre les tenants d’un discours haineux. Le tribunal considère l’attaque inacceptable et passible de sanctions.
Les injustices, Léa Roback les a combattues. Née à Montréal (1903), elle a grandi à Beauport, près de la ville de Québec, de 1906 à 1918. Syndicaliste, elle a défendu les droits des travailleuses et travailleurs du textile, milieu où de nombreux Juifs évoluaient. Et elle a œuvré pour l’amélioration de leurs conditions de travail. Figure remarquable, elle a également milité pour le droit de votes des femmes ou encore à la promotion de l’éducation pour les femmes. À cette même époque, Annette Pinto, une séfarade aux origines marocaines, est reconnue à Québec pour sa grande philanthropie. Elle prend une part active aux festivités du tricentenaire de la ville de Québec, elle favorise l’implantation de l’organisation sioniste Hadassah-WIZO à Québec et s’engage dans de multiples actions caritatives, notamment pour les femmes juives vivant dans la pauvreté2. Très attachée aux valeurs du judaïsme, son intégrité et son dévouement sont tels que son décès est annoncé dans un article du Quebec Chronicle.
Sur le plan religieux, il est une figure marquante de la communauté juive de Québec au 20e siècle. La mémoire est encore fraîche, certains membres l’ont connu : le rabbin Samuel Prager. Pendant plus de 30 ans, il a été le dirigeant de la communauté juive de Québec en jouant les fonctions de rabbin, de chantre et de professeur. Orthodoxe, il informait régulièrement sa communauté de l’actualité israélienne dont il était friand3. D’ailleurs, il a terminé sa vie à Jérusalem.
Outre les personnes mentionnées ci-dessus, il y a eu d’autres figures marquantes, comme Maurice Pollack, un homme d’affaires reconnu pour sa philanthropie. Ou encore, Marcel Adams, rescapé des camps de concentration, qui a été le promoteur des Galeries de la capitale et de nombreux projets de développement commerciaux au Québec.
La vie juive d’aujourd’hui
Aujourd’hui encore, des personnes maintiennent la flamme d’une vie juive à Québec. Sur le plan religieux, le rabbin Lewin et sa famille tiennent depuis plus de 10 ans la Maison Chabad, affiliée au courant hassidique du même nom, pour accueillir les touristes de passage à Québec, pour offrir aux étudiants un milieu de vie familial et aux membres de la communauté juive de la capitale un lieu de recueillement.
Sur le plan culturel, Simon Jacobs est le concepteur de l’exposition Shalom Québec intitulée Plusieurs fibres, une même étoffe : les Juifs de Québec, 1608-2008. L’exposition a été présentée en 2008 à la gare du Palais. Le succès a été tel que, six mois plus tard, elle se retrouvait au Musée des religions du monde à Nicolet, puis au Centre communautaire juif Ben Weider à Montréal4.
Sur le plan associatif, après l’attentat de la Mosquée de Québec le 29 janvier 2017, David Weiser, à l’époque président de la synagogue Beth Israël Ohev Sholem, a fondé Unité Québec5, une association visant à faire rayonner le vivre-ensemble à Québec.
D’autres membres de la communauté juive de la capitale travaillent de leur propre initiative ou de concert avec les institutions locales pour contribuer au maintien de la vie juive. Ainsi, Néhemyah Julien, né à Québec, ou encore Bernard Nakache, Français immigré de Lyon, offrent des cours et des conférences.
Dans les années 1950 et 1960, la communauté juive de Québec atteint son apogée démographique et amorce son déclin. À l’instar des autres communautés juives rurales ou urbaines du Québec, les jeunes juifs quittent la capitale pour s’intégrer aux grands centres urbains6.
Aujourd’hui, les Juifs de la cité de Québec ce sont près de 200 personnes, principalement des étudiants et des professionnels. D’une majorité historiquement ashkénaze, celle-ci a changé au profit d’une communauté de membres principalement originaires de la France ou du Maghreb.
Dépositaire d’une grande histoire
De nombreux citoyens parlent encore avec fierté de Maurice Pollack connu pour sa grande générosité, de Marcel Adams ou encore avec nostalgie de l’ancienne synagogue où se trouve maintenant le Théâtre Périscope.
Les Juifs de Québec ont marqué l’imaginaire collectif de la ville. Malgré sa petite taille, cette communauté est dépositaire d’une grande histoire, et le capital de sympathie qu’elle obtient en retour de la population y est important.
Au-delà du déclin démographique des années 1950 et 1960, la communauté juive de Québec est aujourd’hui la seule communauté à ce jour disposant d’une synagogue, d’un mikve (bain rituel) et d’un service de cacheroute permettant aux Juifs observants d’y vivre en dehors du Grand Montréal et des Laurentides7.
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