Justice pour Sarah Halimi : les communautés juives d’Amérique du Nord solidaires

Par Annie Ousset-Krief

Annie Ousset-Krief

Annie Ousset-Krief

 

 

 

 

 

Dimanche 25 avril 2021, partout dans le monde se rassemblaient des dizaines de milliers de personnes, avec un seul slogan : « justice pour Sarah Halimi ». De Paris à Jérusalem, en passant par New York, Miami, Los Angeles et Montréal, Juifs et non-Juifs dénonçaient l’antisémitisme et les défaillances de la justice française. Ces rassemblements se sont poursuivis toute la semaine en Amérique du Nord, organisés notamment par l’American Jewish Committee, et le 27 avril, à Montréal, un rassemblement virtuel fut organisé par la Fédération CJA, le CIJA et la CSUQ.

Sarah Halimi, 65 ans, médecin à la retraite, résidant dans un quartier po-pulaire du 11e arrondissement de Paris, fut assassinée le 4 avril 2017 par son voisin, Kobili Traoré, un Franco-Malien musulman, qui la massacra à coups de poing avant de la défenestrer, en hurlant « Allahou Akbar, j’ai tué le sheitan (le diable) ». En première instance, le 12 juillet 2019, la Cour de justice décla-ra que l’assassin n’était pas responsable de ses actes, car son discerne-ment avait été aboli par la consommation d’une grande quantité de can-nabis qui aurait provoqué « une bouffée délirante » : il ne savait pas ce qu’il faisait. La famille fit appel, mais l’irresponsabilité fut à nouveau retenue par la Cour d’appel de Paris, le 19 décembre 2019, qui reconnaissait tout de même le caractère antisémite du meurtre. Sur la base de rapports d’experts-psychiatres mandatés par la juge, la Cour de cassation entérinait cette décision le 14 avril 2021 : le procès n’aurait donc pas lieu. Le criminel a été interné en hôpital psychiatrique.

Depuis 4 ans la famille se bat pour obtenir justice, appuyée par de nom-breuses organisations. Ainsi le groupe « Pas Silencieux », dont fait par-tie Monique Betito, organisatrice du rassemblement de Montréal le 25 avril. Ce groupe humaniste (c’est ainsi qu’elle le définit) est né de l’affaire Sarah Halimi et a pour objectif d’obtenir justice et de combattre l’antisémitisme. Monique Betito dénonce « une décision ignoble qui a tué Sarah Halimi une deuxième fois ». Colère et indignation sont partagées par le Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, qui, dans une tribune du quotidien français Le Figaro, s’insurge contre ce « scandale judiciaire ». Dans une longue intervention lors du rassemblement virtuel de Montréal le 27 avril, Haïm Korsia souligne les manquements à la justice et les incohérences de l’affaire : pas de reconstitution du meurtre, pas d’auditions de témoins, et une décision basée sur les rapports de la majorité des experts psychiatriques. Le meurtrier avait-il eu son juge-ment altéré, comme le disait un psychiatre, ou bien totalement aboli, comme le concluait un autre?) 1 Mais comme le soulignait Haïm Korsia, est-il possible de reconnaître le caractère antisémite du meurtre – donc un acte pensé – et en même temps plaider l’irresponsabilité? 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Montréal – Manifestation du 25 avril 2021

Lors de ce même rassemblement, Gail Adelson, présidente de la Fédération CJA, exprimait sa solidarité avec la fa-mille de Sarah Halimi et toute la communauté juive française, qui, dit-elle, avait été « patiente trop longtemps ».  Son appel à la justice rejoignait le message de tous les intervenants. Jacques Saada, président de la CSUQ, partageait sa douleur et son indignation face à l’antisémitisme, « ce mal qui ronge », et dénonçait la faillite de la justice. Le cousin de Sarah Halimi, Eric Allouch, qui vit à Mon-tréal, allumait une bougie à la mémoire de Sarah. Il rappelait la promesse de la maire de Paris de donner le nom de Sarah Halimi à une rue de la capitale française.

Devant l’émoi suscité par la décision de justice, le président français, Emmanuel Macron, avait très vite réagi, appelant de ses vœux un changement de législation. Une proposition de loi était présentée au Sénat le 25 mai 2021. Elle « exclut l’irresponsabilité lorsque l’abolition du discernement est due à la faute de l’auteur » 2. Le Sénat l’adoptait en première lecture. Cette loi, si elle est promulguée, devrait porter le nom de Sarah Halimi. Le combat pour ouvrir un procès continue. Le 9 juin 2021, à l’initiative des députés Meyer Habib (UDI) et Constance Le Grip (Les Républicains), 80 députés ont demandé la constitution d’une commission d’enquête pour rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la police et de la justice. Les enfants de Sarah Halimi ont porté plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Et pour perpétuer sa mémoire, et promouvoir ses valeurs, son fils, Yonathan Halimi, a décidé de créer à Haïfa un centre communautaire destiné aux francophones, qui s’appelle-ra Ohel Sarah 3.

Sa sœur, citoyenne israélienne, a saisi la justice en Israël. Ses deux avocats, Gilles-William Goldnadel et Francis Szpiner déclaraient agir « littéralement en désespoir de cause, aux fins de voir la justice israélienne, compétente hors de ses frontières lorsqu’un juif est assassiné en tant que juif, réparer ce qu’ils considèrent comme un déni de justice » 4, Défaite judiciaire et morale, comme l’écrivait Bernard-Henri Lévy 5, l’affaire Sarah Halimi ne sera close que lorsque justice sera enfin rendue. 

Notes:

  1. En effet, il y a une différence fondamentale entre abolition et altération du discernement : si le discernement est seulement « altéré », la personne mise en cause n’est pas reconnue irresponsable pénalement, ce qui ouvre la voie à un procès et une condam-nation. Dans le cas d’un discernement « aboli », la personne n’est pas consciente de ses actes et ne peut être jugée.
  2. https://www.vie-publique.fr/loi/280052-proposition-loi-causes-irresponsabilite-penale-conditions-dexpertise.
  3.  https://www.vie-publique.fr/loi/280052-proposition-loi-causes-irresponsabilite-penale-conditions-dexpertise.
  4.  https://www.lefigaro.fr/vox/societe/attentat-a-rambouillet-meurtre-de-sarah-halimi-les-symptomes-de-l-impuissance-pub-lique-20210426.
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