Hommage à Naïm Kattan, le passeur de cultures
PAR Elias Levy
L’écrivain Naïm Kattan est décédé le 2 juillet dernier, à Paris, à l’âge de 92 ans.
Auteur d’une cinquantaine d’ouvrages — romans, nouvelles, essais et pièces de théâtre —, traduits dans plusieurs langues, il a été une figure marquante de la littérature québécoise, canadienne et de la francophonie.
Ce Sépharade invétéré, né à Bagdad, dont la langue maternelle était l’arabe, éduqué dans les écoles de l’Alliance israélite universelle, était viscéralement attaché à ses racines identitaires juives et irakiennes. C’est ce qu’il nous avait confié lors d’une entrevue accordée à La Voix sépharade en 2017.
« Quand je suis arrivé au Canada en 1954, je ne connaissais personne. J’ai trouvé mon chemin parce que je n’ai jamais caché que j’étais un Juif de Bagdad. C’est ce qui m’a permis d’être un homme libre. S’ils ne voulaient pas de moi, ou s’ils voulaient de moi, ils savaient qui j’étais. On me suggéra de changer de nom pour mieux m’intégrer socialement. J’ai refusé catégoriquement. On m’a ensuite encouragé à me convertir au catholicisme. J’ai refusé aussi obstinément. Je me suis intéressé à la culture canadienne-française sans rien demander en contrepartie. Ma démarche était sincère et sans aucun a priori. Mes interlocuteurs québécois ont apprécié ma sincérité. C’est ainsi que je suis devenu le proche ami d’intellectuels et de personnalités religieuses très influents dans le Québec des années 50 et 60. Le père Georges-Henri Lévesque, directeur de l’ordre des Dominicains, m’invita un week-end dans son séminaire pour parler du judaïsme. C’était un fait rarissime dans le Québec de l’ère Duplessis. »
En 2019, les membres de sa synagogue depuis plus de soixante-ans, la Spanish & Portuguese, lui rendirent un vibrant hommage à l’occasion du vernissage de son portrait, œuvre de l’artiste peintre Sandra Koukou, qui trône désormais dans l’un des corridors de cette congrégation.
« Notre communauté a perdu un de ses grands piliers de lettres, de noblesse d’âme et de sagesse. Naïm Kattan était attaché avec fierté à la Congrégation Spanish & Portuguese. Il était notre sage érudit, auquel nous faisions appel pour illuminer de ses pensées nos périodes d’études. Il était le digne héritier de la longue lignée des sages de Babylone, tant il pouvait à la fois commenter un passage obscur du Talmud ou siéger à une table ronde pour glorifier le multiculturalisme québécois. Après le service religieux du Shabbat, il était entouré et adulé par chacun. Aimable, souriant et courtois, il avait la modestie des grands hommes qui n’ont guère besoin d’afficher leurs succès pour se faire admirer. L’euphémisme courant pour l’annonce d’un décès est « la disparition ». Rien n’est plus vrai pour notre ami Naïm. Il a juste disparu pour un temps, le temps pour chacun de nous de relire une de ses œuvres, pour le retrouver proche de nous », nous a dit ému Edmond Elbaz, président sortant de la Congrégation Spanish & Portuguese.
Naïm Kattan a été l’une des figures emblématiques de la culture sépharade qu’il a représentée avec fierté aux quatre coins du monde. Chef du Service des Lettres et de l’édition, puis directeur associé du Conseil des arts du Canada pendant un quart de siècle, professeur associé au département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et critique littéraire au journal Le Devoir, Naïm Kattan a occupé une place de premier plan dans les milieux littéraires et intellectuels québécois et canadiens.
Il a été toute sa vie un passeur de cultures et un bâtisseur infatigable de ponts entre les communautés. Il a contribué notoirement au rapprochement entre la communauté juive et la communauté francophone du Québec.
Au début des années 50, il fonda le « Bulletin du Cercle juif », journal du Cercle juif de langue française, le premier groupe culturel francophone au Canada créé par le Congrès juif canadien. Il invita régulièrement des personnalités majeures de l’intelligentsia et du monde politique québécois, le futur maire de Montréal, Jean Drapeau, les directeurs du journal Le Devoir, André Laurendeau et Gérard Filion, l’écrivain Yves Thériault, les journalistes René Lévesque et Judith Jasmin… à s’adresser aux dirigeants de la communauté juive.
Au cours de sa prolifique carrière, il a reçu plusieurs distinctions honorifiques fort prestigieuses : l’Ordre du Canada; l’Ordre national du Québec; officier de l’Ordre des Arts et Lettres de France; chevalier de la Légion d’honneur; le prix Athanase-David, la plus haute distinction décernée par le gouvernement du Québec dans le domaine culturel; plusieurs Doctorats honorifiques; il a été le premier récipiendaire du prix Hervé-Deluen, institué par décision de l’Académie française pour récompenser un créateur culturel pour sa défense du français comme langue internationale.
Il a transmis à son fils, Emmanuel Kattan, écrivain aussi, sa grande passion pour l’écriture.
« Mon père occupait une place immense dans ma vie. Son amour me soutenait, m’a donné confiance dans le monde », nous a confié Emmanuel Kattan.
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