Les défis du plan stratégique de la CSUQ : entrevue avec l’Honorable Jacques Saada et Nathalie Bertalmio

Elias Levy

Elias Levy

 

 

 

 

 

Jacques Saada, président de la Communauté sépharade unifiée du Québec (CSUQ), et Nathalie Bertalmio sont les coprésidents du comité de planification stratégique. Ce plan est le fruit d’un grand travail de fond effectué par une remarquable équipe composée de bénévoles. Une étape cruciale pour préparer l’avenir de la CSUQ. 

Quels sont les principaux objectifs de ce plan stratégique? 

Jacques Saada : Ce plan quinquennal (2021-2026) est la troisième étape d’un large processus que j’ai mis en branle dès le début de ma présidence.
La première étape a été les états généraux. Leur but : faire le point sur l’état de la situation dans notre communau-té, se questionner sur la pertinence de la CSUQ, cerner la perception que les Sépharades ont de la CSUQ, éva-luer les programmes offerts par rapport aux attentes de notre communauté. Le second volet a été la réforme de nos règlements, en prenant en considération les éléments les plus saillants de la consultation que nous avons menée dans le cadre des états géné-raux. Le troisième volet est ce plan stratégique, qui fait écho aux attentes de notre communauté. J’ai coprésidé cet immense chantier avec une bénévole formidable, Nathalie Bertalmio. Nous vons bénéficié du précieux concours de dix bénévoles qui composent le comité directeur de ce plan. Je tiens à les remercier. Ce plan repose sur une réflexion prospective, mais pave aussi la voie à un plan d’action. Nous avons consacré plus de neuf mois à son élaboration, soit quelque 1000 heures de travail.

Nathalie Bertalmio : Notre objectif était d’élaborer un plan digne de n’importe quelle firme de services-conseils capable de fournir un travail de haute volée. Nous nous sommes basés sur le plan de match que Jacques Saada a défini initialement dans le cadre des états généraux. Nous avons identifié cinq axes prioritaires : éducation, identité et culture, vie communautaire (représentation, inclusion et rapprochements), préparation de la relève et finance-ment.  Des objectifs et des stratégies ont été déterminés par rapport à chacun de ces axes.

Quels sont les éléments fondamentaux de ce plan?

J. Saada : Nous en avons retenu trois. 1-Nos partenariats avec d’autres or-ganisations. Ceux-ci ne sont pas une faiblesse, mais au contraire une force qui peut aider la CSUQ à s’affirmer davantage. 2-Repenser nos stratégies de financement en favorisant une autonomisation de nos ressources financières. 3-Accorder une importance particulière au caractère inclusif de nos approches envers les nouvelles générations, le monde juif et la société québécoise au sein de laquelle nous vivons. Parallèlement à ces trois éléments majeurs, nous devons trouver des moyens  réalistes pour transmettre et valoriser notre iden-tité sépharade. Toutes nos stratégies reposeront sur un pilier essentiel : la communication.

N. Bertalmio : Nous voulons que le facteur « communication » soit transversal, qu’il regroupe l’intégralité de notre démarche. Nous comptons implanter une stratégie de  communication qui mettra en lumière notre communauté et ses nombreuses réalisations. Une stratégie qui aura aussi comme objectif d’attirer les jeunes qui ne sont pas actifs dans le cadre communautaire. Particulièrement, les immigrants récents de pays européens, francophones ou allophones, qui ne connaissent pas la CSUQ, ou qui la connaissent seulement par quelques-unes de ses activités phares, notamment le Festival Sefarad de Montréal. 

Quels sont les grands défis de cet exercice ambitieux? 

N. Bertalmio : Le premier défi était d’avoir une méthodologie structurée. En l’absence de celle-ci, on aurait pu confondre les objectifs et les démarches. Nous avons identifié des facteurs clés de succès et adopté des indices de performance pour mesurer le degré d’avancement de la mise en application du plan. Dès le début, nous nous sommes posé une question fondamentale : comment mettre en œuvre ce plan en fonction des moyens dont nous dispo-sons? Le deuxième défi était de faire un bilan de tout ce que la CSUQ a été capable d’accomplir dans le passé. Il y a des choses que nous devons garder et d’autres que nous devrons repenser par rapport à la situation actuelle et à l’avenir. Les membres du comité ont été capables de conjuguer le passé et le présent, en conférant une place importante aux jeunes.

La relève est une de vos grandes priorités.

J. Saada : Absolument. La participation des jeunes à l’élaboration de ce plan a été exemplaire. Je les en remercie vivement. La planification de la relève nous l’avons entièrement confiée à un comité permanent composé d’une dizaine de jeunes adultes très concernés par l’avenir de la communauté sépharade. Ils ont accompli un travail remarquable. Nous avons intégré leurs recommandations dans le plan stratégique. Parmi celles-ci : de nouvelles approches pour motiver les jeunes à s’engager communautairement. Il y a des domaines dans lesquels nous ne sommes jamais intervenus qui pourraient être des facteurs favorisant le rassemblement et l’intégration des jeunes. Par exemple, organiser conjointement avec d’autres organisations des activités valorisant des questions d’intérêt pour les jeunes : l’environnement, la lutte contre l’anti-sémitisme et le racisme. Il y a des questions importantes, qui suscitent l’intérêt naturel des jeunes générations, qui peuvent être des facteurs d’intégration. Le comité chargé de la relève poursuivra son travail.

N. Bertalmio : En tant que nouvelle venue dans la communauté juive de Montréal, je considère que je fais aussi partie de la « relève ». Il y a une certaine confusion autour de ce mot. La relève ne doit pas se limiter à intégrer des jeunes âgés de 18 à 35 ans, c’est aussi accueillir des personnes provenant de nouveaux milieux, dont de jeunes professionnels qui ont le goût de s’impli-quer au sein de notre communauté. Comment les attirer et les intéresser avec les réseaux dont nous disposons actuellement? C’est l’un de nos grands défis. Nous devons leur proposer de nouveaux programmes au niveau du leadership communautaire en utilisant la force de la CSUQ, c’est-à-dire un milieu culturel stimulant dans lequel sont organisés des événements d’envergure, comme le Festival Sefarad de Montréal. Il est impératif de démocratiser la CSUQ en conférant une place plus importante à la relève et en lui confiant des responsabilités communautaires significatives.

Aujourd’hui, encourager les jeunes à s’impliquer au sein de la CSUQ n’est-ce pas une gageure? 

J. Saada : C’est un grand défi. Au début des années 60, la communauté sépharade du Québec a été bâtie par de jeunes adultes qui venaient d’arri-ver dans un nouveau pays et qui avaient à cœur de préserver leur identité. Cette ambition les a mobilisés avec enthousiasme. Ils se sont serré les coudes et entraidés. Aujourd’hui, les défis de la jeunesse ne sont plus les mêmes. Nos jeunes sont épanouis. Il réussissent dans tous les domaines professionnels, de même que dans la vie sociale, économique et culturelle du Québec. La dynamique n’est plus du tout la même que celle qui prévalait dans les années 60. Les champs d’intérêt communs de nos jeunes sont différents de ceux des générations qui les ont précédés. C’est pourquoi il était important de tenir des états généraux et de mettre sur pied un comité chargé de préparer la relève. Aujourd’hui, il n’y a pas une identité sépharade exclusive, mais plusieurs identités sépharades. En effet, ce qui distingue l’identité sépharade en 2021, c’est son riche pluralisme. Quand on parle de relève, il s’agit avant tout d’une ouverture, d’une diversification, d’une sensibilisation à la réalité d’aujourd’hui qui est bien différente de celle d’hier.

Le financement est l’un des volets majeurs de ce plan stratégique.

J. Saada : Certainement. Nous avons pris des mesures concrètes pour anticiper des éléments majeurs du plan stratégique de la Fédération CJA. À partir de 2022, cette institution changera sensiblement sa manière d’opérer et redéfinira sa relation avec ses agences et ses principaux partenaires. Après avoir établi ses besoins dans divers do-maines, elle lancera des appels d’offres à ses partenaires pour déterminer lesquels combleront les besoins en ques-tion en contrepartie d’un financement. Cette approche est fondamentalement et philosophiquement différente de celle qui prévaut actuellement. Nous avons anticipé ce changement de dynamique en procédant à une évaluation des parallèles entre les objectifs définis par la Fédération CJA et les services que nous offrons, ou pouvons offrir. Prochainement, au lieu d’être deman-deuse de subven-tions auprès de la Fédération CJA, la CSUQ lui offrira ses services dans un cadre concurrentiel avantageux pour les deux.

N. Bertalmio : L’un des grands objectifs de ce plan stratégique est de consolider et diversifier les sources et les modes de financement pour permettre à la CSUQ d’accomplir pleinement sa mission. Nous envisageons plusieurs stratégies pour atteindre cet objectif : position-ner les programmes et activités de la CSUQ par rapport aux objectifs de la Fédération CJA, développer les sources et les modes de financement, favoriser les moyens de financement non traditionnels.

J. Saada : Au cours des années, la contribution de la Fédération CJA au financement de la CSUQ et de ses autres agences a diminué, pour des raisons justifiables. Nous comprenons cette réalité inéluctable. Nous avons deux choix : subir ce changement important sans rien faire ou utiliser efficacement les moyens à notre disposition pour compenser ces réductions de transferts et nous affir-mer. C’est de là qu’émane l’un des éléments clés de notre plan stratégique : l’adéquation entre les programmes et les services que nous offrons par rapport aux besoins de la Fédération CJA.

Comment comptez-vous mettre en œuvre ce plan?

J. Saada : Le comité de planification stratégique n’a pas terminé son travail, celui-ci ne fait que commencer. Il aura la haute main sur le contrôle de la mise en œuvre de ce plan très ambitieux.  Je ne suis pas sûr que nous réussirons à tout faire. Nous avons placé la barre très haute pour nous stimuler et essayer d’atteindre nos ob-jectifs. Ce comité devra, à fréquences régulières, proposer des ajustements stratégiques à ce plan. Chose certaine, celui-ci ne sera pas gelé dans le béton pendant cinq ans. Des évaluations et des révisions seront faites au fur et à mesure.

Top