La CSUQ à l’heure du dialogue interculturel

Elias Levy

Elias Levy

 

 

 

 

 

Le programme de dialogue interculturel « Pour une citoyenneté réussie au Québec entre Juifs, Musulmans, Arabes et Berbères originaires d’Afrique du Nord », lancé par la Communauté sépharade unifiée du Québec (CSUQ) en 2016, a connu un grand succès. Celui-ci s’inscrit dans le cadre des partenariats forgés ces dernières années par la CSUQ avec des communautés culturelles et des organismes de la société civile québécoise.
L’Honorable Jacques Saada, président de la CSUQ , et les deux principaux concepteurs de ce programme, Sonia Sarah Lipsyc, directrice du Centre d’études juives contemporaines ALEPH et rédactrice en chef du magazine La Voix sépharade, et Raphaël Assor, responsable des relations gouvernementales, nous ont livré au cours d’une entrevue leurs vues sur ce projet interculturel qui favorise le vivre-ensemble. 

Relatez-nous la genèse de ce programme interculturel. 

Raphaël Assor : Il est né en 2015, à la suite d’une rencontre entre  Jason Kenney, alors ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration dans le gouvernement conservateur de Stephen Harper, et les membres du Corps des gouverneurs de la CSUQ, qui regroupe les anciens présidents de cette institution. C’était la première fois que ces derniers relataient avec une vive émotion devant une personnalité politique canadienne leurs parcours respectifs d’immigrants. Ils ont confié au ministre à quel point ils étaient redevables au Canada et fiers d’être citoyens de ce grand et merveilleux pays.  Jason Kenney est sorti de cette rencontre galvanisé. Il m’a dit alors : « Vous avez une expérience globale extraordinaire. Seriez-vous prêt à la partager avec vos autres frères et sœurs maghrébins? » La CSUQ a embarqué dans cette belle et atypique aventure avec enthousiasme. Nous avons soumis un premier projet. Il fut accepté par le ministère fédéral du Multiculturalisme quelques jours avant que le gouvernement Harper quitte le pouvoir. Le gouvernement libéral qui lui a succédé nous a confirmé l’octroi de cette première subvention. Il a respecté à la lettre l’engagement pris à l’égard de la CSUQ par le gouvernement Harper. Ce programme n’aurait jamais connu un tel succès sans la contribution notoire à celui-ci de Sonia Sarah Lipsyc. Maître d’œuvre de ce projet, elle a concocté un programme diversifié et de grande qualité.

Présentez-nous les grandes lignes de ce programme.

Sonia Sarah Lipsyc : L’objectif de ce programme est de resserrer les liens entre les communautés d’origine nord-africaine y participant afin de favoriser un vivre-ensemble serein et une citoyenneté active et engagée.
La phase 1 de ce programme, qui a bénéficié de l’appui du programme Citoyenneté et Immigration Canada du ministère fédéral du Multiculturalisme, s’est déroulée de 2016 à 2018. Treize événements ont été organisés : panels, conférences, spectacle de musique… Au regard de l’enthousiasme que cette première phase suscita, la CSUQ, sous la présidence de l’Honorable Jacques Saada et la direction de Benjamin Bitton, proposa une seconde phase qui fut agréée par Patrimoine Canada. Ce programme conçu par Raphaël Assor et moi-même, et réalisé par l’équipe de professionnels de la CSUQ, a proposé sept événements de novembre 2019 à mars 2021. Ces événements culturels, intellectuels (panels, conférences) et artistiques (concert, pièce de théâtre) mirent principalement l’accent sur la créativité des femmes et des problématiques les concernant au sein de leurs communautés respectives. Ils ont réuni de nombreux intervenants : universitaires (UdeM, UQAM, McGill, Concordia), membres d’associations, experts, artistes… Presque un millier de personnes ont assisté à ces activités. Après ces deux phases qui ont connu un franc succès, la CSUQ travaille actuellement sur un troisième volet qui sera centré sur la jeunesse et se déroulera, si nous obtenons les subsides nécessaires, de 2022 à 2024.

Ce type de programme est-il prioritaire pour la CSUQ?

Jacques Saada : Oui, pour deux raisons majeures. Tout d’abord, cet exercice nous a permis de démystifier des relations que l’on considérait jusque-là difficiles et même impossibles. Ce processus nous a permis d’évoluer. Deuxièmement, ces programmes d’échanges interculturels ont un autre grand objectif : la lutte contre l’antisémitisme. Notre rapprochement avec d’autres communautés est une occasion pour sensibiliser celles-ci à la question grave de l’antisémitisme et aux conséquences délétères des stéréotypes antijuifs.

Ce programme n’est-il pas né aussi du désir de revisiter une histoire commune?

S. Lipsyc : Oui. Ce programme est la résultante d’une volonté de dialogue et de partage d’une histoire commune, comportant son lot de blessures, commencée, il y a plusieurs siècles, dans le pourtour méditerranéen et qui se poursuit sous de nouveaux cieux, dans un État de droit et démocratique, le Canada. Notre souhait le plus ardent est de réussir au Québec un dialogue qui est quasi inexistant dans d’autres pays. Par exemple, en France, à cause du passé colonial, ce dialogue est très ardu. Notre ambition est de nous retrouver afin de faire le point sur cet héritage que nous avons en commun et d’être exemplaires au niveau de la citoyenneté. C’est pourquoi ce projet s’appelle : « Pour une citoyenneté réussie au Québec entre Juifs, Musulmans, Arabes et Berbères originaires d’Afrique du Nord ». Mais nous ne nous sommes pas limités qu’aux Maghrébins. Nous avons aussi invité à nos activités un citoyen canadien d’origine syrienne et un réfugié kurde. Notre invité syrien, un ingénieur de formation, a participé à un panel qui s’est tenu à la Congrégation Or Hahayim, à Côte-Saint-Luc. Cette rencontre a certainement été utile pour déboulonner des préjugés tenaces sur les difficultés, voire l’impossibilité, de dialogue entre les différentes communautés.

Y a-t-il eu des réticences au sein de la CSUQ  par rapport à ce programme?

R. Assor : Au début, nous marchions sur des œufs. Nous craignions qu’une question qui fâche, le conflit entre Israël et les Palestiniens, ne fasse dérailler ce projet. Mais nous avons vite surmonté ces appréhensions. Entre-temps, la conjoncture politique a évolué positivement. Ce programme favorisant le dialogue et le rapprochement avec les communautés maghrébines musulmanes a contribué à faire reculer les frontières de la méfiance mutuelle. Par ailleurs, la récente normalisation politique entre Israël et le Maroc conférera certes plus de vigueur à nos partenariats avec des organismes marocains qui s’annoncent très prometteurs.

La sulfureuse question du conflit israélo-palestinien a-t-elle été esquivée?

S. Lipsyc : J’ai suivi la philosophie des accords israélo-palestiniens d’Oslo. C’est-à-dire, on ne parle pas pour l’instant des sujets qui fâchent, en l’occurrence le conflit du Proche-Orient, mais on essaye de voir ce qui nous rassemble et d’aborder des thématiques qui interpellent fortement les deux communautés. Nos interlocuteurs maghrébins ne nous ont jamais demandé d’aborder la question sensible du conflit israélo-palestinien. En ce qui a trait au départ massif des Juifs des pays arabes après la création d’Israël, en 1948, cette question a été parfois effleurée lors de nos échanges. Mais l’essentiel, c’était notre rencontre dans un pays où nous avons un statut légal de citoyen et où nous pouvons renouer avec un dialogue éteint pendant plusieurs décennies.

Établir de nouveaux partenariats est un des objectifs majeurs énoncés dans le plan stratégique de la CSUQ.

J. Saada : Absolument. La CSUQ table sur une ouverture large, aussi bien à l’égard de nos frères et sœurs ashkénazes qu’à l’égard des autres groupes de la société québécoise. Des événéments phares comme le Festival Séfarad (FSM) et le Festival du cinéma israélien de Montréal (FCIM) rassemblent des Montréalais de diverses origines culturelles. Nos programmes culturels et artistiques favorisent le rapprochement avec d’autres communautés. C’est vraiment le fil conducteur de tout ce que nous faisons. Nous œuvrons aussi à rapprocher les diverses communautés sépharades. Nous avons une conception très large de ce qu’est le sépharadisme en 2021. Il y a 50 ans, la communauté sépharade était une entité monolithique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Celle-ci est plus diversifiée et beaucoup plus éparse. Nous ne prônons pas seulement une ouverture à l’égard des autres, mais aussi une ouverture par rapport à nous-mêmes. Cette approche est fondamentale parce que quand nous nous ouvrons à d’autres, nous réfléchissons sur nous-mêmes.

R. Assor : Ces partenariats sont essentiels. Nous venons de signer un protocole de partenariat avec Houda Zemmouri, la nouvelle directrice de Dar Al Maghrib, le Centre culturel marocain à Montréal.  Nous allons organiser dans les prochains mois plusieurs activités conjointes. Nous avons aussi établi des partenariats avec la Bibliothèque publique juive (BPJ), le Centre Segal des arts de la scène, la Fondation communautaire juive de Montréal, la compagnie de théâtre Pas de Panique, le Centre Cummings, le Consulat du Maroc… Nous sommes aussi en train de développer un partenariat avec l’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ). Dans le cadre de ses fonctions au Centre d’études ALEPH, Sonia Sarah Lipsyc a établi ces dernières années des partenariats majeurs avec des institutions académiques et culturelles québécoises, dont l’Université de Montréal, avec laquelle le Centre ALEPH a organisé trois universités d’été.

Ces programmes interculturels favorisent une meilleure connaissance de l’Autre.

S. Lipsyc : Ce projet a aussi pour but de nous faire réfléchir.  Il favorise certes la rencontre avec l’Autre. Le premier Autre n’est pas nécessairement un membre d’une autre communauté, mais de notre propre communauté. La CSUQ a toujours exprimé le souhait d’être inclusive. Quand j’ai créé le Centre ALEPH, la principale mission de celui-ci était très claire : être un centre d’études égalitaire et pluraliste. J’ai invité à titre de conférenciers des Rabbins de tous horizons. Des Juifs de diverses origines culturelles, non affiliés à notre communauté, ont participé assidûment aux activités et programmes proposés par le Centre ALEPH. J’ai reçu des témoignages très touchants de personnes qui m’ont dit : « Grâce aux activités du Centre ALEPH, jai fait la paix avec mon identité et je me suis reconnecté avec mon histoire juive ».

À une époque où le vivre-ensemble est une grande priorité, ne faudrait-il pas associer aussi le gouvernement du Québec à vos  programmes de rapprochement interculturel?

J. Saada : Certainement. Cette initiative, encouragée depuis cinq ans par le gouvernement fédéral, mérite aussi l’appui du gouvernement du Québec et d’autres organismes subventionnaires publics québécois. Nous allons nous atteler prochainement à diversifier nos sources d’appuis financiers. Notre atout : nous sommes confiants de la qualité des programmes interculturels que nous offrons.

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