Elles et Ils ont publié SEPTEMBRE 2021

PAR Sonia Sarah Lipsyc

Sonia Sarah Lipsyc

Christophe Naudin,
Journal d’un rescapé du Bataclan, Libertalia, Paris, 2020.
L’auteur se trouvait au Bataclan, à Paris, le 13 novembre 2015 à un concert de hard rock lorsqu’il y eut l’un des attentats islamistes les plus tragiques en France. Au cri de « Allah Ouakbar » trois terroristes sont entrés et ont massacré à la mitraille les spectateurs, tuant 90 personnes et blessant des dizaines d’autres. Naudin a pu se cacher et être évacué quelques heures plus tard par des membres de la Brigade de recherche et d’intervention de la police. Vision d’horreur, il marche sur des bouts de cervelle. Il eut la vie sauve, mais perdit un de ses meilleurs amis avec qui il s’était rendu à ce spectacle.
Ce journal n’est pas seulement intéressant parce qu’il raconte comment on vit, survit et tente de se reconstruire après un attentat – Philippe Lançon nous avait offert en 2018, Le lambeau, un livre hors du commun sur le sujet – mais parce qu’il relate les coups de colère et l’accélération de la prise de conscience d’un homme, d’une bonne quarantaine d’années, prof d’histoire dans un lycée de la région parisienne et qui se situe clairement à gauche pour ne pas dire à l’extrême gauche. Et là, de quoi se rend-il compte?
Des manquements graves de sa famille politique… Le déni du fascisme islamiste alors que le fascisme des suprématistes blancs est à juste titre dénoncé. L’occultation de la dimension religieuse de l’idéologie mortifère de l’islamisme (leur haine au nom de l’islam et de leur lecture fondamentaliste du Coran, leur vocabulaire qui renvoie aux croisades, leur vision du monde et d’un monde de l’au-delà liée à la récompense de leurs meurtres). Naudin refuse aussi l’explication sociale souvent avancée comme unique raison des dérives des islamistes et brandie comme un prétexte pour justifier la violence des djihadistes. Il trouve cette extrême gauche souvent complaisante avec l’islamisme sous prétexte que ce sont des dominés qui y adhèrent contre un occident présentée de façon essentialiste et réduit à un monde de dominants. Il pointe l’aveuglement de divers groupes qui, à force de craindre l’amalgame entre une haine des musulmans absolument condamnable et les barbares islamistes, refusent de pointer les seconds de peur d’écorcher les premiers. Ils pratiquent ainsi un amalgame alors même qu’ils accusent les autres de le faire et ne pensent pas le réel sous ses diverses facettes. Leur silence est coupable.
Et plus d’une fois, l’auteur dénonce « l’angle mort » comme il l’écrit, de cette pensée politique : l’antisémitisme. « Il est pourtant omniprésent, à la fois dans les textes djihadistes et dans le choix de leurs cibles. Pourquoi alors refuser de le voir, ou en minimiser l’importance? » (p 150). De même se demande-t-il que de se voiler la face devant les « ambiguïtés entre antisionisme et antisémitisme » (p 150).
L’auteur, lucide, reste ancré à gauche et, à titre personnel, se remet lentement autant que faire se peut de cette tragédie. Il est vrai que la rencontre avec la compagne avec qui il chemine depuis lors participe de cette résilience. Espérons que ce témoignage honnête et courageux de la part d’un homme qui a vu la mort en face et à qui on ne peut donner des leçons d’antiracisme fera réfléchir des hommes et des femmes se reconnaissant dans le spectre politique de la gauche radicale.