Réinventer les aurores de Haïm Korsia : Grand Rabbin de France et amoureux de la République

PAR Elie Benchetrit

Elie Benchetrit

Elie Benchetrit

 

 

 

 

 

Grand Rabbin de France Haïm Korsia

Élu Grand Rabbin de France pour 7 ans et investi par le Consistoire central de France le 2 juin 2014, Haïm Korsia, 57 ans, est le troisième rabbin sépharade à occuper ce poste prestigieux au sein du monde juif en général et du paysage public de la République française. Ancien aumônier en chef du culte israélite des armées, aumônier de l’École polytechnique, aviateur, administrateur du Souvenir français et ancien membre du Comité consultatif na-tional d’éthique et membre de l’Institut. Il a publié plus d’une dizaine d’ouvrages et d’études traitant des thèmes de société, de dialogue interconfessionnel et d’actualité.

Nous avons eu le plaisir et le privilège de le faire découvrir à notre communauté lors du dernier Festival Sefarad de Montréal le 15 novembre dernier au cours d’une conversation à bâtons rompus en mode virtuel, qui avait pour thème principal la publication de son dernier livre Réinventer les aurores, un plaidoyer pour la République, paru en février 2020 chez Fayard.
Pour l’auteur, au moyen de cet ouvrage : « C’est retrouver le souffle des premiers matins de la République : s’éveiller et s’émerveiller, lucides, mais jamais désespérés. La réflexion que je livre n’est pas juste un cri d’alerte, c’est ma conception de la vie et de la politique, en tant qu’elles se rejoignent en leur point de plus grande fragilité, là où il s’agit d’affirmer que l’on peut reconstituer maille après maille, le tissu de la société menacée par tout ce qui la délite, de la peur à la haine. Je veux proposer contre l’indifférence, un plaidoyer pour la fraternité, une politique de la jubilation et du bonheur retrouvé. »
Le ton est donné à ce qui va constituer les quelque 200 pages de ce vibrant plaidoyer. Les problèmes sociétaux auxquels nous sommes confrontés dans un monde morose miné par la pandémie et chargé d’incertitudes sont mis en parallèle, comme pour nous rappeler la maxime du roi Salomon qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, avec les situations vécues par les plus hautes figures de la Torah. Il évoque les problèmes de leadership de Moïse au sein de son tandem avec son frère Aaron, les conseils judicieux de son beau-père Jethro l’invitant à déléguer plutôt que de vouloir tout régler par lui-même. L’évocation, pour nous Juifs, de la situation vécue par l’un de nos plus grands sages rabbi Chimon Bar Yohaï est chargée de sens : « Mais rabbi Chimon, porteur des élans altermondialistes, ne trouverait pas grand-chose à sauver dans le capitalisme, l’accusant d’exclure et d’opprimer, de brimer et d’abimer, répétant que le seul moteur de l’entreprise est la maximisation des profits et que la marchandisation du monde mène inéluctablement à la monétisation des sentiments, à la prostitution des âmes et des corps voués au culte de l’argent. Il aurait des affinités avec les zadistes 1, sans le dire et finirait peut-être en gilet jaune ou en garde à vue. Et je suis très proche de la réalité, disant cela, car c’est ce même rabbi Chimon qui pour se sauver, dut se cacher dans une grotte durant douze longues années en étudiant la Thora jour et nuit et qui, lorsqu’il sortit, voyant des paysans en train de travailler leur champ, s’écria : « Ils délaissent la vie éternelle et se préoccupent de la vie transitoire! » Son regard les foudroya, car il était inconcevable pour lui que l’on perde son temps aux choses de ce monde au lieu d’étudier la Loi. Alors une voix céleste lui ordonna de retourner dans sa caverne en lui disant : « Est-ce pour détruire Mon monde que tu es sorti de ta grotte? »

Je dois avouer que l’évocation de ce midrash m’a marqué fortement et j’ai pensé à un nombre non négligeable de rabbins qui détournent leur regard des problèmes auxquels sont confrontés le monde en général et leurs communautés en particulier pour ne privilégier que le mérite à atteindre par l’étude, le Olam Haba, le monde à venir. Je présente mes plates excuses à ceux et celles que j’aurais pu choquer par ma remarque, mais je demeure convaincu qu’un rabbin qui se respecte ne peut se soustraire à son environnement et aux problèmes de tout ordre qui assaillent nos sociétés. Déjà en 1997, un autre Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim publiait un ouvrage au titre évocateur Un rabbin dans la Cité et citant le Rav Rozin il annonçait la couleur : « De quoi meurent les communautés humaines? De leurs certitudes! » Il y a presque un an, son successeur, Haïm Korsia concluait son ouvrage par cette belle réflexion qui devrait nous interpeller : « J’aime chez Hugo cette idée du rêve qui vient nous forcer à nous élever, à sortir de notre condition pour atteindre une exigence qui dépasse nos besoins primaires, déjà si importants pour nous inviter à partager quelque chose qui relève de l’espérance pour tous. Non pas la même espérance pour tous, mais une espérance pour chacun. »

 

Notes:

  1. En 2015, le terme « zadiste » entre dans le dictionnaire Le Petit Robert version 2016 : « Militant qui occupe une ZAD pour s’opposer à un projet d’aménage-ment qui porterait préjudice à l’environnement ». Le Petit Robert date l’appari-tion de l’acronyme ZAD pour « Zone à défendre », 2011 et zadiste, 2012.
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