La haine antisémite sur internet

PAR Eta Yudin

Eta Yudin

 

 

 

 

 

L’antisémitisme et les théories du complot contre les Juifs sur Internet

Depuis le début de la pandémie, nous avons été confrontés à la propagation de deux virus : la COVID-19 et, dans son sillage, la haine en ligne.
Comme la majeure partie du monde est en confinement et d’innombrables personnes en quarantaine, nous n’avons jamais passé autant de temps sur Internet et les médias sociaux. Cette immersion dans les médias sociaux comporte de nombreux avantages. Par exemple, nous avons trouvé de nouvelles façons de communiquer avec les autres, de rester en contact avec nos proches et de transformer nos milieux de travail et le monde en général.
Normalement marginales, ces mêmes technologies qui nous ont permis d’affronter la tempête ont pour ainsi dire servi de tremplin à la propagation de théories du complot et de la haine en ligne. Sans surprise, l’antisémitisme est le vecteur de ces deux forces.
Depuis mars dernier, nous avons tous assisté à l’émergence de théories du complot absurdes, selon lesquelles les Juifs seraient responsables de la propagation de la COVID-19. D’autres théories accusent les Juifs de profiter de la dévastation causée par la pandémie. En tant que communauté qui en fait beaucoup pour respecter les mesures de santé publique, notre réflexe naturel peut être de balayer du revers de la main ces théories farfelues. Or, comme ces inepties ont démontré leur propension à se répandre comme une traînée de poudre comme tout autre virus, la situation est très préoccupante.
Si l’histoire récente nous a enseigné une chose, c’est que ce qui prend naissance en ligne comme des propos en apparence inoffensifs peut non seulement alimenter l’incitation à la haine, mais aussi entraîner de la violence dans le monde réel. Les tristes événements survenus avant la pandémie à Pittsburgh (É.-U.), à Christchurch (Nouvelle-Zélande) et à Halle (Allemagne), ou ce qui aurait pu arriver ici même à Montréal, lorsqu’un homme a publié sur Facebook un appel au meurtre d’écolières juives. En effet, la menace est peut-être même encore plus grande à l’heure actuelle, car de plus en plus de gens sont rivés à leur écran pendant des heures et s’ils vivent une situation difficile, ils pourraient se retrouver à la merci de propagateurs de haine.

Comment agir?

Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA) a compris depuis longtemps l’importance de tuer dans l’œuf la haine en ligne. Il s’agit d’ailleurs de l’une de ses priorités. Depuis le début de la pandémie, nos professionnels ont fait preuve d’une grande vigilance en surveillant l’apparition d’activités antisémites et haineuses dans les forums en ligne et en signalant celles-ci aux forces de l’ordre, avec qui nous demeurons en contact étroit. Nous avons également réussi à écarter le discours antisémite des sections de commentaires en ligne et des pages de médias sociaux des grands médias lors des événements délicats survenus au début de la pandémie à Outremont et à Boisbriand. Cependant, nous ne pouvons mener cette lutte seuls. C’est pourquoi nous n’avons ménagé aucun effort avant la pandémie pour établir des partenariats avec des organismes tels que le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), avec qui nous avons signé une entente de collaboration de deux ans. Dans le cadre de cette entente, nous pourrons approfondir notre vision à long terme en créant un groupe de travail provincial sur les crimes haineux, en mettant en commun des ressources pour prôner un suivi plus complet et renforçant les poursuites contre les crimes haineux. Ce partenariat a déjà porté fruit et a mené à la tenue, l’automne dernier, d’un webinaire sur la primauté de l’antisémitisme dans les théories du complot de l’ère moderne. Ce webinaire auquel ont participé d’éminents spécialistes était une initiative conjointe du CIJA, du CPRMV et d’autres partenaires de l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne.
Le CIJA est également en contact direct avec les géants des médias sociaux et est fier d’avoir fait partie des principales organisations à avoir exhorté le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, à adopter la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH) en tant qu’outil destiné à repérer et à supprimer les publications antisémites sur la plateforme. En réponse aux efforts du CIJA, la directrice des opérations de Facebook, Sheryl Sandberg, a déclaré que « la définition pratique de l’antisémitisme de l’AIMH s’avère un outil précieux pour éclairer notre propre approche ». Elle a également affirmé que Facebook continuerait de peaufiner ses politiques à mesure que le discours et la société évoluent. Le CIJA continue de veiller au respect de cet engagement.
Dans le cadre de notre travail, nous invitons aussi le gouvernement à adopter des politiques visant à s’attaquer directement à la haine en ligne d’une manière qui tient compte de nos préoccupations et qui protège notre communauté. À l’échelon fédéral, nous avons été pionniers de la Coalition canadienne pour l’élimination de la haine et continuons de prôner l’établissement d’une stratégie nationale sur la haine en ligne prévoyant la mise en place de règles claires et uniformes s’appliquant aux plateformes et aux fournisseurs menant des activités au Canada, ainsi que la mise en place d’un organisme de réglementation indépendant chargé de veiller à l’application de ces règles. Au cours des derniers mois, nous avons soulevé la question auprès des ministres du Patrimoine et de la Justice, et plus récemment, auprès du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile lors d’une table ronde organisée conjointement avec la Fédération CJA à Montréal.
Le CIJA tiendra un congrès virtuel de deux jours en avril sur la lutte contre la haine en ligne, lequel réunira des experts renommés, des responsables de l’application de la loi et des chefs de file de l’industrie. Ce congrès est rendu possible grâce à une subvention de Patrimoine Canada. Plus près de chez nous, nous continuons d’exhorter le gouvernement provincial et les administrations municipales à suivre l’exemple du gouvernement fédéral en adoptant la définition de l’antisémitisme 1de l’AIMH dans le cadre de leurs efforts et de leurs stratégies de lutte contre le racisme.
Lorsque la vie reprendra son cours normal, notre migration salutaire vers le monde numérique sera un héritage durable de cette pandémie et il ne sera plus possible de faire marche arrière. Par conséquent, nous devons maintenir notre détermination et unir nos efforts afin de combattre l’antisémitisme en ligne. Il s’agit d’une lutte à long terme et il est essentiel de sensibiliser les élus et les plateformes de médias sociaux à celle-ci. L’histoire a une façon horrible de nous rappeler que ce qui commence avec les Juifs ne se termine jamais avec les Juifs – et la haine en ligne ne fait pas exception.

Notes:

  1. Pour en savoir plus sur cette définition voir le site : https://www.holocaustremembrance.com/fr/resources/working-definitions-charters/la-definition-operationnelle-de-lantisemitisme-utilisee-par (note de la rédaction)
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