Un projet pédagogique novateur : Atid en version française
PAR Sonia Sarah Lipsyc
Entretien avec le rabbin Mikhaël Benadmon.
Mikhaël Benadmon vit en Israël. Il est rabbin et docteur en philosophie générale, spécialisé en philosophie de la loi juive. Directeur d’Atid Israël et du programme Maarava-Amiel pour la formation de cadres rabbiniques pour les communautés sépharades de diaspora, il est également chercheur associé au sein du département de philosophie juive (Forum Matanel) à l’Université Bar-Ilan. Auteur de plusieurs ouvrages en français et en hébreu, il a publié notamment « Pourquoi Israël? Les tentations territoriales : avoir, être, pouvoir », édition Lichma, Paris, 2017. Il est également possible de visionner certaines de ses conférences sur des thèmes très divers sur akadem.org. Enfin, le rabbin Benadmon est déjà venu à l’invitation d’Aleph au Festival Sefarad de Montréal et a contribué à notre revue LVS 1
Vous avez développé la branche francophone de Atid 2. Dites-nous d’abord ce qu’est cette institution pédagogique?
Atid Israël a été fondé il y a 4 ans à Jérusalem dans le but d’accompagner les jeunes olim (immigrants) de France dans leur intégration en Israël. Trois volets d’action ont été envisagés : le volet Étude et Identité juive, le volet Intégration sociale, le volet Loisirs. Les activités sont variées puisqu’il y a des moments de partage dans le cadre de chabbats pleins organisés, des célébrations de fête en commun comme celle de Pourim, etc. Il y a également des études participatives sur des thèmes d’actualité. Nous offrons aussi une aide à l’intégration par des activités de bénévolat et des séminaires de Leadership. De plus, le Centre Atid à Jérusalem qui s’étend sur plus de 350 m2, propose des cursus d’oulpan pour apprendre l’hébreu, des cours de psychométriques pour s’inscrire dans les universités, des ateliers de chant, de théâtre ainsi qu’un espace de travail en bibliothèque ouvert tous les jours (avec plus de 3 000 livres en français, en collaboration avec la librairie le Fil d’Ariane). Nous avons des programmes en partenariat avec les universités israéliennes et les mairies de Netanya, Jérusalem et l’Alliance israélite universelle durant lesquels des étudiants accompagnent des enfants de olim tant sur le plan scolaire qu’émotionnel. Ces étudiants bénéficient en contrepartie de bourses d’étude ou de validation d’unités de valeur transversales. Nous avons également une action en France au sein de la communauté estudiantine et bien entendu nous œuvrons à la diffusion d’une voix juive moderne sur les plateformes digitales. Cependant Atid Israël s’est élargi et agit aujourd’hui au sein des jeunes olim de tous les pays et n’est plus limité aux nouveaux immigrants français.
Vous vous attelez plus particulièrement au domaine de Torah et Société. Que proposez-vous?
Le judaïsme est trop souvent perçu et enseigné sous un angle ritualiste mettant l’accent sur la pratique. Ça correspond sans doute à une attente d’un certain public déjà fidélisé à la fréquentation des synagogues. Pour notre part, le choix de la pratique n’est pas notre impératif. Nous souhaitons discuter de l’identité juive sous ses diverses facettes sur la base des différentes littératures du Judaïsme. Il est possible de ne pas pratiquer, mais il est interdit d’être ignorant. À cet effet nous priorisons les thématiques sociétales qui traversent les débats de l’espace public. Que pensent les textes juifs sur l’écologie, les énergies recyclables, la circoncision et la question de la mutilation, du tatouage, de la consommation d’alcool par les jeunes, de la bioéthique, etc.? Il s’agit alors de montrer sous quelles perspectives ces thématiques sont appréhendées dans la tradition juive, sans tomber ni dans l’apologie du judaïsme ni dans la délégitimation du monde moderne. C’est un enjeu capital qui est porteur d’un impact sur l’identité juive des jeunes de demain. Ces contenus se présentent sous forme de fichiers téléchargeables ainsi que d’un film explicatif permettant la tenue du débat. Ces contenus sont orientés vers les communautés et leurs chefs spirituels, et vers les associations étudiantes, mais aussi vers tout cadre ou organisation soucieux de mener un débat intelligent sur la place du judaïsme dans le monde moderne.
Y a-t-il également d’autres ressources sur votre site comme l’Histoire d’Israël?
L’histoire d’Israël n’est pas assez connue. Elle est enseignée trop souvent de manière partisane et sans recul idéologique. Cette histoire est pleine d’épisodes et de parcours de vie glorieux et il est important d’en prendre connaissance; mais il faut aussi être capable d’opérer un recul afin de porter un regard lucide sur notre histoire. Nous souhaitons étoffer ces contenus de fiches pédagogiques afin de les présenter aux écoles francophones de par le monde.
En ne prenant que quelques minutes par jour, il est possible d’écouter un enseignement de Talmud ou sur la Bible à partir de votre page Facebook 3 ou de votre groupe sur WhatsApp. Quels sont les programmes en cours?
La COVID-19 a amené avec elle des opportunités. Pour nous, c’était le temps de réfléchir à de nouveaux projets diffusés sur les médiaux sociaux concernant l’étude. Nous avons alors mis en place deux projets phares. Le premier s’inspire d’un programme bien connu du public israélien, c’est le fameux 929. Le principe est simple : étudier chaque jour un des 929 chapitres de la Bible hébraïque et ainsi parcourir tout le TaNaKh (Bible hébraïque) en 3 ans. Cette formule nous a inspiré et nous avons mis en place une étude journalière d’un chapitre biblique en 6 minutes! Les premières minutes contextualisent le récit succinctement alors que les dernières minutes s’attellent à mener une réflexion sur le message prophétique de ce texte répondant à la question essentielle : pourquoi fallait-il inscrire ce texte dans le canon biblique? Notre enseignant est un érudit biblique, Shaoul Benchimol, entrepreneur et homme d’affaires de métier passionné par le texte biblique. La lecture de Shaoul est inspirante, car elle puise ses réflexions de mondes divers et multidisciplinaires. Après le livre de Josué et celui des Juges, nous proposons actuellement une étude quotidienne sur le Premier livre du prophète Samuel.
Le second projet offre l’étude d’une Mishna, d’un enseignement du Talmud par jour. J’ai eu l’occasion d’enseigner le traité Orayot. Que se passe-t-il lorsqu’un tribunal rabbinique se trompe est l’une des questions centrales de ce traité? Le caractère novateur se situe dans une lecture classique de la Mishna ainsi que des considérations, par exemple, archéologiques puisant leur source dans la réalité du monde de l’époque du Second Temple.
À qui s’adressent en priorité vos productions?
Nos contenus se tournent vers toute personne soucieuse d’enrichir sa vie intellectuelle et sa connaissance du judaïsme. Toutefois, nous souhaitons proposer ces programmes aux écoles, aux rabbins, aux organisations estudiantines et mouvements de jeunesse. Notre objectif est de créer des viviers d’étude au sein des intéressés et d’accompagner les enseignants dans leur transmission par des pistes pédagogiques.
À qui s’adressent en priorité vos productions?
Nous souhaiterions créer une communauté d’étude qui parallèlement aux cursus d’étude proposés soit en réseau avec les participants du monde entier. Une problématique sociétale étant toujours inscrite dans un contexte culturel bien spécifique, la voix montréalaise apporterait une perspective originale qui serait à même d’enrichir les discours israélien et européen. De plus, la communauté sépharade de Montréal étant très active, nous avons pour projet de mettre en place des sessions d’étude sur la pensée sépharade et profitons de votre plateforme afin d’appeler les organisations intéressées à nous contacter.
Notes:
- Voir https://lvsmagazine.com/2018/09/le-sionisme-politique-et-les-rabbins-sepharades/ et https://lvsmagazine.com/2015/12/la-formation-rabbinique-sepharade-maarava-au-sein-de-linstitut-amiel/ ↩
- http://atid-france.org/torah-et-societe/berechit/ ↩
- Atid-Les questions du monde juif : https://www.facebook.com/groups/347034069228222 ↩