Hava de Ily Jossuah Weil. Entretien avec Patricia Rimok

PAR Patricia Rimok

 

Ily Jossuah Weil

Ily Jossuah Weil vient de sortir son premier roman intitulé « Hava ». Ce livre nous raconte les aventures d’une riche héritière juive allemande de 1939 à 1945 de Berlin à Shanghai. Plus qu’une histoire qui embarque le lecteur dès les premières pages , « Hava » est aussi un livre très actuel. Le cheminement de l’héroïne est marqué par une question universelle et permanente de nos sociétés : quelles sont nos raisons de vivre le sens de nos vies le tout sur fond d’évènements historiques, peu ou pas connus, du peuple juif. Rencontre avec ce nouvel auteur passionnant au potentiel littéraire évident.

 

 

Parlez-nous un peu de vous pour que nos lecteurs/lectrices puissent mieux vous connaître… 

Je suis franco-suisse, né à Paris. J’ai travaillé pour la radio, la télévision. J’ai été journaliste, réalisateur, auteur de documentaires, créateur de magazines, producteur. En parallèle, j’ai fait du conseil éditorial, de la communication pour les entreprises. Au fil du temps, je trouvais que tout ce que je faisais manquait un peu de sens. J’avais toujours écrit, et je me suis dit que le temps était venu de me lancer dans un projet d’écriture. Au même moment, on me propose une mission de 11 mois en tant que rédacteur en chef d’un magazine sur la France pour Shanghai TV et Beijing TV. Je l’accepte, mais ce que j’ignore c’est que tout va basculer pour moi.

Au cours d’une journée ordinaire à chercher notamment des sujets de reportages, je me suis posé cette question « Y a-t-il des juifs en Chine? ». Pourquoi? Je n’en sais rien. C’est venu comme ça… Cette question, elle a tout changé. Je me suis mis un peu à fouiller, et j’ai très vite trouvé de la matière… J’ai attendu de finir ma mission, et j’ai foncé. Plus j’avançais dans mes recherches, et plus je découvrais une histoire presque intime, je peux dire, entre les Juifs et la Chine.

C’est-à-dire? 

Même si elle est difficile à dater, la présence des Juifs en Chine remonte à plus de 1 000 ans avec la communauté des Juifs de Kaifeng. On pense que les premiers Juifs de Chine devaient être des marchands de Perse et d’Irak. De nos jours, il y a toujours quelques Juifs à Kaifeng, descendants de ces « Hoai-Hoai » comme les Chinois les appelaient. D’ailleurs, il y a six ans environ, certains sont partis en Israël faire leur aliyah, ils avaient besoin de retrouver leurs racines.

Et puis, il y a l’histoire des Juifs de Shanghai. D’abord avec l’arrivée des Sépharades vers la dernière partie du XIXe siècle, puis avec celle des Ashkénazes à la suite de la révolution russe, puis de la prise de pouvoir des nazis en Allemagne.

Il a fallu que je tranche entre tous ces riches décors. J’ai opté pour celui de l’émigration des Juifs à Shanghai pendant la Seconde Guerre mondiale.

Pourriez-vous nous en dire plus sur cet épisode des Juifs à Shanghai durant la Shoah?

La première chose qu’il faut savoir, c’est que l’émigration des juifs à Shanghai a commencé dès 1933. Puis, elle s’est accélérée avec le temps, au fur et à mesure que la violence nazie se développait.

En 1939, lorsque mes personnages principaux arrivent à Shanghai, l’émigration bat son plein. À la fin de cette année-là, il devait y avoir environ 16 000 réfugiés à Shanghai. On estime d’ailleurs que de 1939 à 1945, ce sont 30 000 juifs qui se sont réfugiés dans cette ville.

Pourquoi Shanghai ? Parce que tout le monde pouvait arriver sans passeport ni visa. Une aubaine même si Shanghai représentait une véritable inconnue. En plus de tout, la ville était contrôlée par les Japonais, alliés des nazis. Certes, ils n’adopteront pas la même approche que les Allemands à l’égard des Juifs, mais tout de même. Shanghai connaîtra en février 1943 son ghetto celui de Hongkou, dirigé par un fou – Ghoya – qui se fera appeler « le roi des Juifs ».

Shanghai, c’est aussi la relation incroyable entre les Juifs et les Chinois. Alors qu’ils étaient malmenés par les Japonais, les Chinois partaient du principe que les Juifs étaient des victimes et qu’il fallait les aider. En retour, les Juifs ont également porté secours aux Chinois. Une belle leçon pour l’avenir.

Comment avez-vous travaillé pour écrire Hava?

J’aime d’abord construire mes personnages, leur donner du corps, en fait leur donner vie, les caractériser. Puis, j’écris ce qu’on appelle au cinéma, une continuité non dialoguée. Durant ce travail, je cherche également à donner de l’équilibre, du fond et du rythme, créer les obstacles, etc. J’ai donc écrit 24 pages, ce qui m’a pris deux mois de travail.

Ensuite, je me suis lancé dans l’écriture du roman. Mon travail préalable m’aide, bien évidemment, pour autant je ne me laisse pas enfermer par lui. Je ne veux pas par exemple passer à côté d’une nouvelle idée de scène, d’un nouveau personnage qui peut s’imposer assez naturellement.

Hava  est un livre qui, à chaque page, donne aux lecteurs, aux lectrices des images à lire. D’où vous vient cette manière d’écrire?

De la radio. Écrire pour la radio, c’est donner du rythme, de la dynamique et des images à entendre. J’adore la radio, c’est une incroyable boîte à images. En fait, la radio m’a formé à un type d’écriture, mais aussi à transmettre une information la plus visuelle possible. Aujourd’hui, quand j’écris, je vois des images que je lie les unes aux autres. Je rajoute un rythme dans ma tête et il ne me reste plus qu’à les coucher sur les pages avec des mots.

Même si l’histoire d’« Hava » se déroule entre 1939 et 1945, c’est un livre très actuel. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet en parlant de vos personnages?

Lorsque j’ai voulu écrire ce premier roman, j’avais une certitude. Je voulais avoir comme personnage principal une femme. Parce que les femmes sont notre présent et notre avenir et que j’avais envie d’offrir aux femmes un « beau rôle » dans une histoire qui nous parle à tous.

Hava est une jeune femme, mère d’un enfant de 10 ans, issue d’une famille d’orfèvres aisée de Berlin. Elle n’a jamais travaillé, et connaît le monde et ses réalités uniquement par le prisme des facilités que lui offre la fortune familiale. Durant tout le livre, elle va apprendre. 

Apprendre à ouvrir les yeux sur elle comme sur les autres. Apprendre à voir le monde dans sa réalité la plus brute parfois. Apprendre à mieux vivre malgré toutes les péripéties qui vont émailler son aventure. Apprendre surtout à être cette femme qu’elle ignore être au début du livre. Hava est un écho à beaucoup de femmes qui, aujourd’hui, oublient ce qu’elles sont fondamentalement à cause d’idées reçues, d’obligations sociales, de naïveté, de culture familiale.

Une autre évidence était de tirer tout au long du roman le thème de « nos raisons de vivre ».

C’est une question vitale dans toutes les sociétés, trouver son chemin personnel, le sens de sa vie. Combien de personnes aujourd’hui ne font pas quelque chose qui correspond à ce qu’elles sont? Bien trop.

Sans dévoiler l’histoire, tout au long du livre Hava va suivre une sorte de chemin initiatique. À Shanghai, elle devra trouver la force de surmonter les obstacles, de dépasser les épreuves même les plus inhumaines en trouvant justement le sens de sa vie.

La troisième certitude était d’entourer cette femme de deux êtres résolument positifs. Julius, d’abord, le fils d’Hava. Il porte un appareil photo en permanence autour du cou et voit le monde avec la beauté du regard d’un enfant. Sans fard. Avec une intelligence et une maturité étonnante pour un si jeune garçon.

Et puis, il y a Willi, magicien-transformiste, qui va secourir la mère et le fils. Il est porté par la philosophie de son grand-père qui lui a appris à aborder les choses de la vie de manière toujours positive et constructive. Willi est généreux, et voit le meilleur en chacun avec une vraie confiance en l’avenir malgré la vie qui l’a malmené.

Enfin, il y a ce qui m’échappe et que des lectrices et lecteurs me renvoient.
« Hava », de Ily Jossuah Weil
447 pages. Broché et Kindle.
Disponible sur amazon.ca 26 $ CA

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