Les congrégations sépharades montréalaises confrontées à la pandémie

PAR Elie Benchetrit

Elie Benchettrit

Elie Benchetrit

 

 

 

 

 

L’apparition, puis la propagation foudroyante de la COVID-19 ont obligé la majorité des pays de la planète à mettre en place des mesures drastiques afin d’endiguer et éventuellement de maîtriser les ravages causés par le virus. Nos habitudes de vie ont été chamboulées par l’interdiction de gestes aussi anodins que serrer la main, embrasser ses proches, visiter la famille et les amis. Les endroits publics ainsi que les lieux de culte ont été fermés causant un certain désarroi dans la communauté des croyants et bien sûr parmi eux les fidèles de nos synagogues. Trois présidents et deux rabbins des 5 synagogues constituantes de la CSUQ ont été mis à contribution afin de nous livrer leurs témoignages concernant le vécu de la crise au sein de leurs congrégations respectives. Nous mettons ci-dessous la traduction des termes récurrents qui sont cités en hébreu par nos interlocuteurs à l’exception des termes qui n’apparaissent qu’une fois et que nous traduisons dans le texte même. 
Mynian (pluriel mynianim) : quorum de dix hommes pour une prière publique, Kahal : assemblée. Kollel (pluriel kollelim), lieu d’études talmudiques pour adultes y consacrant une partie de la journée, Tishri ou fêtes du mois de tishri : Rosh Hashana (nouvel an), Yom Kippour (fête du grand pardon) et Souccot (fêtes des cabanes), Hilloula (pluriel Hilloulot) : jour anniversaire de la mort d’un tsaddik (un juste) 
Le point de vue du Rav Ronen A. Abitbol de la Communauté sépharade de Ville-Saint-Laurent Hekhal Shalom 
Coprésidents : Paul Cohen et Steve Mamane 
120 familles, 200 membres affiliés 

Rav Ronen A. Abitbol

« Pendant toute cette période difficile, j’ai été heureux de constater que notre synagogue n’a pas eu à déplorer de décès causés par la pandémie et que de plus en plus de gens qui auparavant ne fréquentaient pas notre synagogue ont souhaité se joindre au kahal (à la communauté) pour participer aux prières (par Zoom), comme si l’interdit attisait le désir de le contourner d’une certaine manière. 

Notre préoccupation majeure lors de cette crise était de garder le contact avec l’ensemble de nos membres aussi bien les « réguliers » lors des offices religieux quotidiens, que les autres. Dès que la fermeture effective des lieux de culte fut décrétée par le gouvernement du Québec, il a fallu trouver des solutions inventives pour maintenir les offices religieux. Ajoutons à cela que des Bar Mitzvot (cérémonies marquant la majorité religieuse) et des mariages ont dû être reportés. Les minyanim dans les balcons ou dans des maisons ne nous semblaient pas être la bonne solution, alors nous nous sommes tournés vers des solutions axées sur la technologie comme Zoom et WhatsApp. Nous avons organisé des cours de 10 minutes portant sur le Talmud et le Zohar qui sont suivis par près de mille participants non seulement à Montréal, mais également en France, en Angleterre, aux États-Unis et en Israël. Nous avons célébré sur Zoom les hilloulot de Rabbi Shimon Bar Yohaï et de Rabbi Meïr Baal Haness, très largement suivies. Nous tenons à souligner l’aide offerte par la Fédération CJA. 
Par la suite, nous avons organisé 2 minyanim dans un jardin avec un maximum de 15 personnes tout en respectant la distanciation de 2 mètres et en distribuant des masques et du gel désinfectant. La situation ayant évolué depuis les nouvelles dispositions gouvernementales d’autoriser des rassemblements de 50 personnes dans les lieux de culte, nous nous sommes adaptés en insistant sur les règles en cours. La tranche d’âge des 65 ans et plus étant considérée comme étant à risque, nous avons conseillé aux membres dans cette catégorie de ne pas assister aux offices afin de les protéger. Une décision qui n’a pas été facile à prendre. Du point de vue financier notre synagogue a subi des effets négatifs en raison de la crise. Si la situation telle que nous la connaissons actuellement persiste, je prévois que lors de Roch Hachana, de Kippour et de Soukkot, nous devrons organiser les prières dans 2 ou 3 emplacements différents. Une situation à laquelle il faudra se conformer. »
Le point de vue du Rabbin Haim Nataf de la Communauté sépharade de Ville-Saint-Laurent : Petah Tikva 
Président : Benjamin Dahan 
400 familles, 300 membres actifs. 

Rav Haim Nataf

« Dès que le gouvernement du Québec a pris la décision de fermer les lieux de culte, j’ai avisé les membres de la synagogue par voie de message que cette mesure relevait du commandement de « pikouah nefesh », c’est-à-dire de sauver des vies humaines et les mesures prises ont été très bien comprises et acceptées par nos membres. » 

Il a fallu nous organiser en fonction de la situation. Le report des fêtes de Pessah et la technologie nous ont aidés de manière efficace à nous adapter à la conjoncture. Nous avons instauré des cours de Torah par WhatsApp, notre Kolell a continué à fonctionner grâce à l’application Zoom de même que les cérémonies de Kabbalat Shabbat (accueil du shabbat pouvant se faire avant l’entrée du shabbat). 
Dès le 22 mai, des mynianim ont été organisés dans les jardins des membres. Pour la fête de Shavouot, nous avions prévu, tout en gardant les mesures de distanciation et le port obligatoire du masque, de faire nos prières sous une tente dans l’aire de stationnement de la synagogue, malheureusement une différence d’interprétation de la loi entre « domaine privé et domaine public » avec les services juridiques de la Police de Montréal nous a obligés à annuler ce projet. 
Depuis cet épisode et l’autorisation gouvernementale d’ouvrir les lieux de culte pour un maximum de 50 personnes, nous avons décidé d’utiliser notre salle de fêtes, plus facile à désinfecter et à garder opérationnelle. Pour y accéder, il faudra s’inscrire et observer un protocole comme le port du masque (avec des dérogations pour les personnes qui ne peuvent pas le supporter) et la distanciation obligatoire. Les personnes à risque, soit les 65 ans et plus, devront être munies d’une attestation médicale. Ceci est un avant-goût de ce qui nous attend pour les Fêtes du mois de Tishri où il faudra organiser 2 ou 3 offices afin d’accommoder le plus de monde possible tout en observant strictement les règles de sécurité. J’insiste sur le fait que pour faire appliquer ces règles, il faudra agir avec autorité.
Si je devais tirer un enseignement, je mettrais l’accent sur le côté positif. Le hasard ne fait pas partie de notre tradition et j’ai observé, au plus fort de la crise, ce cri de révolte de la population contre le sort qui était réservé aux personnes âgées résidentes dans les CHSLD à travers le Québec et qui ont payé un lourd tribut en vies humaines. Cet élan de solidarité signifie pour moi un regain d’humanisme et de respect envers une frange importante de la population qui méritait qu’on entende sa détresse.
Notre communauté tient sa vigueur de son ancrage dans la Torah, la Tefila (la prière) et Guémilout hassadim (actes de charité), elle restera debout et nous devrons y travailler pour éviter que des petits minyanim domestiques ne l’affectent durement, comme c’est souvent le cas ailleurs. »

Le témoignage du président Raphaël Anidjar de la Communauté sépharade de Laval Or Séfarad
70 familles, 200 membres

Raphaël Anidjar

« Malgré ces temps difficiles, je suis persuadé que nous sortirons renforcés de cette crise qui nous a permis de recréer une nouvelle synergie entre des membres qui s’étaient perdus de vue et qui, on l’espère, en revenant vers nous, donneront un nouvel élan à notre congrégation.

Notre synagogue depuis sa fondation a maintenu un minyan quotidien lors du shahrit (prière du matin) en semaine et je tiens à ce sujet à souligner le travail infatigable de M. Salomon Oziel, ancien président, et un des piliers de notre synagogue qui s’est fait un point d’honneur de maintenir cette tradition en s’investissant personnellement dans un contexte particulièrement difficile. Face à la pandémie, nous avons décidé de fermer la synagogue une semaine avant la décision du gouvernement. En fonction de l’âge moyen de notre kahal, celui-ci rentrait dans la catégorie des personnes à haut risque. La réaction de nos membres a été très positive et je suis convaincu que notre campagne d’information par nos courriels et l’organisation, par Zoom, de prières et d’autres activités ont porté fruit. L’engagement de M. Oziel, notre expert en prières et en traditions sépharades nous a été très précieux. Nous avons réussi à réunir plus de 100 personnes en ligne, ce que je considère comme un exploit. Nous avons organisé notre hilloula traditionnelle en mode virtuel au cours de laquelle nous avons procédé à la vente de bougies effectuée avant la tenue de la cérémonie et qui, malgré les prix modestes afin que tous nos membres se sentent à l’aise, a constitué un véritable succès financier. Pour la fête de Shavouot, nous avons organisé une soirée à caractère spirituel animée par le Rabbin Yonathan Arzoine et le cantor Orel Gozlan de la synagogue Or Shalom de Dollard-des-Ormeaux a fait un cours sur la signification de nos traditions. En tenant compte du fait que nous comptions dans notre kahal des personnes âgées et isolées, nous avons mis en place un dispositif d’appels téléphoniques pour nous enquérir de leur situation et leur offrir notre soutien comme la livraison de nourriture. Nous avons mis à profit cette parenthèse dans notre vie communautaire pour réorganiser nos tâches administratives et procéder à des rénovations. Depuis la réouverture des lieux de culte, nous avons repris nos activités en tenant compte des nouvelles conditions de sécurité concernant le nombre de participants aux offices, de la distanciation et de l’usage des masques et du gel. Nous avons interdit les réunions dans le lobby, recommandé à nos membres de garder avec eux leur livre de prières de même que leur talith (châle de prière) afin qu’il n’y ait pas d’échanges et last but not least nous avons procédé à l’installation d’une plaque de Plexiglas à la tévah (chaire de la synagogue) pour séparer l’officiant de celui qui fait la aliyah au sefer torah (c’est-à-dire qui se tient autour du rouleau de la Torah pour sa lecture). »

 

Entrevue avec le président sortant Avi Krispine de la Communauté sépharade de la banlieue ouest de Montréal. Congrégation Or Shalom
Président : Philippe Hazan. 
Rabbin Avraham Marouani
225 familles près de 700 membres. 

Avi Krispine

« Conscients du fait que nous sommes confrontés à la persistance de cette première vague de la pandémie et de l’éventualité d’une deuxième, il nous incombe en tant que leaders, de prévoir les mesures qu’il sera nécessaire de prendre lors des fêtes de Tishri qui s’approchent à grands pas.

Face à la pandémie de la COVID-19, et des mesures que nous avons dû prendre pour parer au plus urgent, je suis fier de constater que nos membres ont très bien réagi et je tiens à les en féliciter. Je tiens à préciser que les membres de notre communauté constituent un noyau familial très serré et qu’ils ont respecté à la lettre les mesures que nous avons prises même bien avant que le gouvernement du Québec impose la loi sur le confinement. Pour nous, contrairement à d’autres synagogues, nous n’avons pas encouragé la tenue des prières dans les jardins. Nous avons repris les offices le 24 juin dernier en nous conformant aux normes dictées par le gouvernement, c’est-à-dire en ne dépassant pas le chiffre de 50 personnes présentes, inscrites d’avance, et en respectant les règles de distanciation, le port du masque et l’usage du gel. Je tiens à signaler qu’un de nos membres fit un don de 1 000 masques (réutilisables, 2 par famille), d’un point de vie financier, nous avons subi des pertes de l’ordre de 30 % sur nos recettes. Sur le plan humain, nous avons eu à déplorer 3 décès et quelques familles affectées par le virus. Nous avons mis en place des comités pour effectuer les achats pour les familles vulnérables et surtout pour les aînés. Je tiens à souligner l’engagement de la Fédération CJA et de la CSUQ qui nous ont proposé leur aide et qui nous ont fait sentir que nous n’étions pas seuls. Nous avons pu tenir notre Assemblée générale par Zoom au mois de juin ainsi que des prières tous les matins toujours par Zoom dirigées par notre Rabbin Avraham Marouani. Des groupes se sont constitués par WhatsApp pour lire la havdala, (cérémonie à la clôture du shabbat) de même que pour  s’informer des lois de la cacherout lors de la fête de Pessah. Les courriels hebdomadaires adressés à nos membres se sont multipliés afin de les tenir informés sur l’évolution de la situation. Nous sommes fiers également de constater que nous avons été parmi les seules synagogues qui ont assuré à 100 % la paye du personnel pendant la période du confinement. Notre cantor Orel Gozlan a offert des cours gratuits à ceux qui en faisaient la demande. »

Communauté Sépharade de Côte-Saint-Luc : Or Hahayim
Président : Ralph Rimokh
Rabbin Malkiel Abdelhak
219 familles, 750 membres

Ralph Rimokh

« Face à cette crise, notre façon d’agir devra changer de manière drastique en nous imposant une discipline stricte afin de nous protéger et de protéger les plus vulnérables de nos membres (hygiène corporelle, port de masques, distanciation usage du gel etc.Lors de la fermeture, ordonnée par le gouvernement des lieux publics et des locaux de culte, nous avons dû composer avec cette nouvelle donne en prévision de la fête de Pessah et  utiliser un soutien technologique. Un guide prières fut préparé à cet effet par notre cantor Daniel Lasry. En semaine, les trois prières de la journée (Shahrit, Minha et Arvit) furent menées sur Zoom. Ceci fut possible grâce au savoir-faire de M.Aaron Minciotti, membre de notre congrégation. Un programme de Havdala fut élaboré par notre cantor et les cours traditionnels de M. Jo Gabay se sont poursuivis sur Zoom de même que ceux de notre Rabbin Malkiel Abdellazak. Notre Hilloulah annuelle s’est tenue sous forme virtuelle, bien que le concept de dons en ligne ne fasse pas encore partie des habitudes de nos membres. Des activités comme la Hafrashat Halla se sont également déroulées en ligne. Sur le plan strictement liturgique nous avons encouragé, lorsque la loi l’a autorisé, de mener les prières avec un minyan strict (10 personnes maximum) dans des jardins et la Congrégation a fourni les chaises et les Sifré Torah. Une Lettre de Nouvelles hebdomadaire a été inaugurée.
Nous avons malheureusement enregistré des décès parmi nos  membres et parmi leurs proches et nous avons organisé à cette occasion les mishmarot dirigées par notre Rabbin émérite, Moïse Ohana, toujours sur Zoom. Lorsque les rassemblements de 50 personnes ont été autorisés par le Gouvernement du Québec, nous avons célébré le premier shabbat de dé-confinement en espaçant de 3 sièges par rangée et en établissant un système de réservation en ligne sur la base de « premier arrivé, premier servi ». 
Sur le plan financier, il est évident que nous connaissons des difficultés et nous prévoyons une baisse significative de nos revenus de l’ordre de 50%. J’aimerais conclure en disant que devant cette situation inédite, je suis confiant dans l’attitude de nos membres, il y va de notre avenir. »

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