La Covid du cœur : actes de bienveillance de citoyens montréalais

PAR Sylvie Halpern

Sylvie Halpern

 

 

 

 

 

 

Une mitzvah, une bonne action est encore plus belle quand on ne la raconte pas. Pourtant, nous avons braqué nos projecteurs sur quelques héros spontanés qui, dans la tourmente de la pandémie, se sont démenés pour faire du bien.

 

De la clim pour les aînés

Leah Lasry

Le sang de Leah Lasry n’a fait qu’un tour quand elle a appris début avril l’hécatombe qui se profilait au Jewish Eldercare et au Centre Maimonides : « Nos aînés ont contribué toute leur vie à notre société, j’ai été bouleversée par la façon dont ils ont été traités dans les CHSLD. » Alors quand son ami Ben Graur lui a souligné que les deux tiers des résidences de la province n’avaient pas de climatiseurs et qu’on prévoyait une canicule pour l’été, la conseillère financière a ameuté trois de ses amis : chacun a mis 10 000 $ dans une cagnotte – et à sa contribution, Leah a ajouté 5 000 $, spécifiquement destinés aux mères monoparentales – pour acheter les précieux appareils. Au début, elle a écumé les Canadian Tire de Montréal et enfourné dans sa voiture les 11 appareils qu’elle peut contenir pour aller les livrer elle-même; puis une entreprise de courrier, QA Courier, a pris gratuitement le relais. En juin, en l’espace de trois semaines, quelque 200 appareils avaient déjà été livrés. Car lorsque Québec a annoncé qu’il allait pourvoir tous les CHSLD en climatiseurs, Leah s’est également concentrée sur des personnes âgées isolées, particulièrement vulnérables en raison de leur état de santé ou de leurs faibles revenus : elle les repère grâce à un site spécialement créé pour rendre son action encore plus efficace, acforseniors.ca. Les bénéficiaires? Ils vivent partout à Montréal et sont juifs ou pas : « C’est important d’aider les autres, dit-elle, tous les autres! »

 

Guenille-push-push

   Julie Cohen-Bacrie

Ingénieur à la Société de transport de Montréal, Julie Cohen-Bacrie n’a pas hésité à troquer son col blanc contre un col bleu, des gants, une visière, un couvre-visage, des lunettes et une
combinaison, quand en mai dernier, l’entreprise a lancé un appel à ses professionnels pour qu’ils viennent désinfecter les bus et les rames de métro de la métropole. « Je me suis portée volontaire pour un quart de travail de jour, même si je n’étais pas rassurée : dans les garages, le taux de roulement des chauffeurs est élevé et il y a donc plus de risques. Mais par rapport aux gens qui ont été bénévoles dans les CHSLD, c’était une façon assez soft d’être au front! ».

Dès huit heures du matin, deux fois par semaine depuis le 25 mai, Julie a donc nettoyé des autobus dans un garage de la STM en passant partout avec ses chiffons et ses produits désinfectants – des rampes d’entrée et de sortie au poste du chauffeur, jusqu’aux cordes des arrêts… Habituée à faire du bénévolat dans la communauté, elle s’est investie cette fois pour toute la ville, convaincue, tout en jouant de la « guenille et du push-push », que ce sont les plus âgés et les plus démunis qui ont dû continuer à recourir au transport en commun pendant la pandémie.

 

Un peu beaucoup à la mémoire de Maman

Joëlle Maturo

Le 28 février dernier, peu avant la crise, Joëlle Maturo a perdu sa mère, une couturière aux doigts de fée qui lui a tout appris. Alors quand après Pessah (Pâque), ses parents et ses amis lui ont demandé de leur faire des masques pour se protéger, elle a rassemblé tous les tissus disponibles à la maison, mis son mari à contribution à la coupe, et s’est installée à sa machine à coudre pour produire sans relâche des dizaines de couvre-visages. Et, redoublant sa mitzvah
quand ses « clients » ont insisté pour la payer, elle leur a demandé à tous d’envoyer leur argent à MADA, un organisme de bienfaisance : « Ce qui est important, c’est qu’en ces temps de crise, chacun trouve la façon d’aider les autres. Le bon côté de ce virus, c’est qu’il nous a forcés à nous arrêter et à réfléchir à ce qui se passe autour de nous. Être pauvre, c’est déjà terrible, mais ça l’est encore plus quand survient une catastrophe comme celle-là! »

 

Orly ou le rire qui lie

Membre fondatrice du Club de Rire de Montréal, Orly Nahmias a été débordée dès la première semaine de confinement. Pendant ces mois à l’atmosphère

   Orly Nahmias

lourde et anxiogène, cette Grande Rieuse devant l’Éternel – l’École internationale du Rire lui en a d’ailleurs décerné le diplôme – est venue apporter de la joie partagée dans des séances de rires collectives quotidiennes sur Zoom, sans aucun mot ni contact, pour ensoleiller la planète, dérider des milliers de gens reclus et souvent déprimés de Paris à Casablanca en passant par New York ou Montréal. Et faire circuler une formidable énergie vitale : «Le rire est un très puissant liant, il crée une intimité immédiate qui nous connecte aux autres. En faisant l’effort de rire ensemble, c’est de la joie qu’on partage et les effets sur la santé en sont immédiats : notre cerveau s’oxygène, nos endorphines (les hormones du bonheur) augmentent alors que notre cortisol (responsable du stress) baisse. Et, n’en déplaise aux médecins, même notre système immunitaire se raffermit : ce qui est précieux quand on est frappé de plein fouet par une pandémie! »

 

Chacun peut aider quelqu’un

Allan Rosen

Peu avant Pessah, comme volontaire de Hatzoloh, un service de premiers secours, Allan Rosen a dû envoyer d’urgence à l’hôpital un père de famille atteint de COVID-19, laissant derrière lui sa famille nombreuse démunie. Ému par leur désarroi, il a demandé à leurs voisins s’ils pourraient s’occuper de leurs repas : ils ont tout de suite répondu présents, bientôt suivis par d’autres et d’autres encore qui traquaient dans leur entourage tous ceux, nombreux, que la pandémie avait dévastés. Les repas, les dons, les jouets, les friandises de shabbat ont commencé à affluer de tous côtés devant la porte d’Allan rue Goyer et à être discrètement livrés – « Chaque geste en appelait un autre! » L’esprit d’entraide était là, il fallait juste organiser cette formidable chaîne de solidarité spontanée qui a donné un sacré coup de main à une quarantaine de familles : c’est comme ça que le virus a fait d’Allan Rosen, le chef d’orchestre d’une vaste entreprise d’entraide communautaire, Mi K’Amcha Yisroel, qui se poursuit toujours, enrichie cet été par le don de casques et vélos à des centaines d’enfants de familles en difficulté. « Le rabbi de Breslav nous l’a enseigné : on ne peut pas aider tout le monde, mais chacun peut aider quelqu’un. Et j’ai entendu qu’on voit la vraie nature d’un homme quand il boit (Bcosso), quand il est en colère (Bca’assa) et à sa façon de dépenser son argent (Bccissa) 1. J’ajouterais: Bcovid.»

 

L’alchimiste du hametz

Elle a tenu mordicus à conserver l’anonymat, pourtant cette jeune femme a eu l’idée d’un formidable mouvement de solidarité pendant la pandémie. Quelques semaines avant Pessah, alors que la plaie du virus déferlait sur le Québec et que nous étions tous en train de nous débarrasser de notre hametz, (aliments interdits durant la fête), elle a lancé un vaste appel pour que tout le monde lui apporte ses haricots, sa farine, son riz, etc. au lieu de les mettre au rencart. Et inlassablement jour après jour, elle a cuisiné – haricots aux boulettes, soupes de lentilles… – des plats bourrés d’empathie qu’avec sa sœur et sa fille de 14 ans, elles sont allées livrer tous les soirs dans des maisons de retraite – souvent par les balcons, puisqu’elles n’avaient pas le droit d’entrer – ou dans des familles qu’elle savait en difficulté. Bien sûr, chaque fois elle a surgi masquée et gantée, mais elle était surtout convaincue que c’est cet élan d’amour qui la protègerait.

 

Tout peut commencer par un savon

         Éric Yaakov Debroise

Éric Yaakov Debroise venait de lancer son entreprise de nettoyage en vue de Pessah quand la Covid a explosé. Il avait donc stocké en quantité tout ce dont il aurait besoin pour s’attaquer à la
saleté et à la poussière – des gants, des lunettes de protection, des masques, des blouses, des produits désinfectants… autant d’articles qui entretemps étaient devenus incontournables pour lutter contre le virus. Alors quand il a vu des gens de la communauté, en particulier des personnes âgées, qui étaient en manque ou ne pouvaient parfois pas se payer ces indispensables dont les prix avaient flambé, Éric s’est mis à faire des kits – gants, savon, masques, produits antiseptiques – qu’il a lui-même livrés dans le quartier Chabad, autour du métro Plamondon. « Ça n’a rien d’héroïque, beaucoup de solidarité s’est exprimée. Nous les Juifs, nous n’avons pas l’habitude de vivre chacun de notre côté. Mais la Covid nous a atomisés et il fallait lutter contre ça. »

 

Écouter la solitude

Isabelle Steinkalik

Arrivée il y a deux ans au Québec, Isabelle Steinkalik a voulu rendre à son pays d’accueil un peu de ce qu’il lui a apporté, surtout en temps de crise. Alors quand début avril, le Centre d’écoute de Laval, où elle habite, a lancé un appel aux bénévoles pour contrer l’isolement et la détresse psychologique, elle s’est immédiatement portée volontaire pour faire de l’écoute active quatre heures par semaine auprès de gens isolés qui avaient terriblement besoin de parler à quelqu’un. « La pandémie est évidemment venue aggraver des situations déjà difficiles : les gens n’étaient pas seulement seuls, ils étaient enfermés et cela a donné lieu à des crises d’angoisse, quand ce ne sont pas des situations de maltraitance. Avec la Covid, nous sommes nombreux à avoir perdu nos repères, certains l’ont moins bien vécu et avaient besoin de le dire : il m’est souvent arrivé que mon interlocuteur me parle pendant 20 minutes sans s’arrêter! »

 

Accrocher des sourires qui font du bien

Il faut trouver le moyen de remonter le moral des troupes! C’est ce que se disait Charles Moatti pendant la pandémie, un étudiant en sociologie de

Charles Moatti

Concordia. Et un soir de fin avril qu’il était à table en famille, il a vu à la télé un reportage sur la Covid en Italie où des arcs-en-ciel enfantins fleurissaient aux balcons pour redonner de l’espoir. Dans la tête de Charles, ça a fait tilt : « Les mots peuvent faire du bien en faisant sourire, mais ils peuvent faire encore plus. » Alors il a demandé à son père, imprimeur, s’il pourrait faire des pancartes Ça va bien aller et les a vantées sur Instagram, et sur Facebook à l’aide de son bon réseau d’amis pour une collecte. Et en l’espace de quelques semaines, Charles a récolté 6 000 $ qu’il est allé remettre à quatre organismes de charité. Les pancartes qu’il a livrées lui-même fleurissent aujourd’hui, piquées dans de nombreux gazons ou virevoltant aux balcons de certains immeubles de Montréal.

Notes:

  1. Ces trois termes en hébreu dérivent de la même racine.
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