Avoir un proche parent dans CHSLD pendant la pandémie
PAR Elie Benchettrit
LE TÉMOIGNAGE ÉMOUVANT DE LA FILLE D’UNE RÉSIDENTE
Rachel. M (nom fictif), une dame âgée et de santé fragile, est résidente dans un CHSLD juif de Montréal depuis 4 ans. Sa fille Myriam (nom fictif) et son fils Jacques (nom fictif) la visitaient trois fois par semaine à tour de rôle puis, le virus de la COVID-19 se propageant à une vitesse fulgurante, le 14 mars, l’administration ferma les portes du Centre aux familles des résidents. Cette décision, bien que justifiée, a créé un sentiment d’angoisse et d’immense inquiétude parmi les familles des résidents. Myriam a bien voulu, avec une grande émotion, partager avec nous son histoire lors de cette période où pendant deux mois et demi elle n’a pas pu voir sa maman : « Mon calvaire a commencé ce 14 mars, une date qui restera marquée dans ma mémoire : le jour où je ne pouvais plus aller voir ma mère. En nous privant de ces visites, l’administration voulait protéger notre mère et nous protéger en même temps. Tout au long de ces semaines sans fin, je l’imaginais constamment inquiète ne comprenant pas pourquoi ses enfants ne venaient plus lui rendre visite et elle, se faisant du souci pour eux. Je suis convaincue qu’elle s’est sentie abandonnée et livrée aux démons de la solitude. Elle ne voyait plus personne mis à part les infirmières, confinée qu’elle était dans une chambre par peur de la contagion. J’étais révoltée par cette situation et surtout impuissante. Au vu de l’état physique de maman, je la savais malade et fragile, mais gardant toute sa tête, j’ai remué ciel et terre pour maintenir au moins un contact téléphonique qui nous aurait permis à toutes les deux de communiquer un tant soit peu. Je dois signaler que le personnel du Centre et en particulier les infirmières qui s’occupaient de maman ont été remarquables et d’une grande empathie envers les patients, et ce, malgré le stress et les horaires démentiels auxquels ils étaient astreints. J’ai pu, grâce justement à la gentillesse de deux infirmières m’informer par téléphone, trois fois par semaine de l’état de maman qui ne faisait pas partie heureusement des 169 cas déclarés de la maladie. Le Centre a eu malheureusement à déplorer 50 décès. Mon inquiétude grandissait au fil des jours lorsque j’apprenais par les médias le triste sort réservé à des résidents dans d’autres centres hospitaliers de longue durée qui furent laissés à eux-mêmes ainsi que les chiffres alarmants des décès. J’avais la maigre consolation d’avoir chaque mardi de la semaine un appel téléphonique du médecin du Centre qui m’informait de l’état de ma mère et je recevais également des courriels de l’administration qui me tenait informée, une petite consolation dans ma détresse.
Deux mois et demi plus tard, c’est-à-dire à la fin mai, l’administration assouplissait quelque peu les règles en accordant un droit de visite hebdomadaire aux aidants naturels, titre dont je me suis prévalu pour effectuer une demande spéciale qui fut acceptée quatre jours plus tard. La première visite que je fis à maman mérite d’être contée, car une fois dans le Centre j’ai dû endosser un équipement que je qualifierai de « scaphandrier », blouse spéciale, gants, masque et visière en Plexiglas. J’étais si méconnaissable que ma mère a eu, quand je fus près d’elle, du mal à me reconnaître si ce n’est que plus tard grâce à ma voix. J’ai retrouvé une femme méconnaissable tant par sa fragilité que par sa condition morale, l’ombre de ce qu’elle avait été. Je dois cependant avouer qu’envers et contre tout elle avait gardé son caractère de femme altière qui l’avait accompagné sa vie durant. Je me suis efforcée de lui expliquer la situation afin de la rassurer, car elle se faisait surtout du souci pour sa famille. Bientôt mon frère qui ne l’a pas vue depuis 4 mois, pourra bénéficier lui aussi d’un droit de visite. En attendant, nous lui téléphonons tous les jours et, une fois par semaine, nous avons droit à une vidéoconférence en FaceTime.
Cette expérience que j’ai vécue m’a amené à réfléchir sur la situation dramatique que l’on a fait subir aux personnes âgées. Parquées de façon inhumaine et privées de leur dignité, elles ont été sacrifiées sur l’autel du profit et du rendement à court terme. Je remercie une fois de plus l’administration et le personnel soignant du CHSLD Donald Berman, puisqu’il faut le nommer pour son humanité et sa compassion dans des circonstances extrêmement difficiles. Pour conclure, j’ajouterai que nos sociétés occidentales axées de plus en plus sur le profit et le rendement auraient intérêt à s’inspirer un tant soit peu des cultures africaines et asiatiques concernant le traitement réservé aux aînés. »
Les commentaires sont fermés.