Les différentes certifications de la cacherout en Amérique du Nord

PAR Esther Bibas


Les lois de la cacherout règlementent la vie des Juifs pieux, ou qui souhaitent garder cette tradition. Tout un ensemble de règles alimentaires déterminent ce qui est casher, c’est-à-dire acceptable, approprié à la consommation, et régissent également les modes de préparation des aliments.

Lorsque plus de deux millions de réfugiés juifs fuyant la Russie tsariste et ses pogroms s’installèrent aux États-Unis dès la fin du XIXe siècle, les commerces proposant de la nourriture casher se multiplièrent. Les rabbins prenaient l’initiative d’apposer leur propre cachet – y ajoutant des taxes, souvent dénoncées comme excessives par les consommateurs.

Il s’avéra alors nécessaire d’introduire une supervision de l’attribution du label casher, un symbole apposé sur les différents produits, appelé hechsher. Ce fut fait en 1924 avec la création de la première agence nationale de certification de la cacherout : la Union of Orthodox Jewish Congregations’ kashrut supervision and certification program, connu sous le sigle OU (Orthodox Union), dont le symbole est un U dans un cercle* (Tous les astérisques renvoient au tableau à la fin de l’article).

La première grande entreprise qui demanda le label OU fut Heinz, pour la commercialisation de ses haricots en conserve. Aujourd’hui OU indique certifiés plus d’un million de produits dans le monde 1. Pour obtenir le hechsher, l’entreprise doit prouver que tous les ingrédients utilisés sont casher, et que tout l’équipement qui a servi à fabriquer le produit n’a pas été touché par un élément non casher. L’agence de certification rabbinique maintient une supervision continue, par des visites régulières et impromptues des experts responsables de l’inspection et de la surveillance (les mashgiach).

Depuis 1924, trois autres grandes agences de certification ont été créées. Au total, ces quatre agences américaines – surnommées The Big Four – opèrent au niveau mondial, dans un marché toujours en expansion.

En 1935, Abraham Goldstein établit les Organized Kashrut Laboratories (O K). Le symbole de cette agence est un K dans un cercle*.

Puis furent créées Kof-K en 1969, à Teaneck, New Jersey* et Star-K, à Baltimore, dans le Maryland, en 1971* . Cette dernière association, dirigée par le rabbin Moshe Heinemann, utilise les dernières technologies dans son service à la clientèle. Une « université » en ligne, Virtual Kosher University, propose des cours sur la cacherout, et diffuse une fois par mois des conférences, « Telekosher Conferences ». 

Aujourd’hui, il y a plus de 300 labels casher et une multiplicité d’agences rabbiniques régionales. Les hechsher peuvent être accordés par des rabbins, par exemple dans les grandes communautés hassidiques : voir le tableau de la certification de cacherout de Kiryas Joel, dans l’État de New York, où vivent près de 20 000 Hassidim Satmar*.

Cette diversité peut s’expliquer par l’absence d’un rabbinat central, mais aussi par la difficulté d’établir une définition stricte de ce qui est casher, comme l’indique le président de OU, le rabbin Menachem Genack : « il n’y a aucune définition per se du terme casher. Donc n’importe qui peut dire que quelque chose est casher. Mais OU a sa propre expertise orthodoxe pour déterminer ce qui est casher et ce qui ne l’est pas » 2.

Les États à forte population juive orthodoxe comme la Floride, New York, le New Jersey ou la Californie comptent plusieurs agences de certification. Il est impossible de toutes les citer ici, mais, par exemple, on ne dénombre pas moins de huit labels différents en Floride 3 : ORB (Orthodox Rabbinical Board of Broward and Palm Beach Counties)* , le Rabbinate of Central and North Florida* , Orthodox Vaad of Orlando (OVO)* , Kosher Miami Vaad HaKashrus of Miami-Dade (chalav Yisroel)*, Kosher Miami Vaad HaKashrus of Miami-Dade (non chalav Yisroel)*, Florida K and Kashrus Services* , Sunshine State Kosher* et Kosher Organics*. Dans le répertoire établi par le rabbinat de Chicago figurent cinq agences pour la Californie, cinq pour le New Jersey et vingt-huit pour l’État de New York.

L’agence de marketing Lubicom estime le nombre de consommateurs de produits casher à plus de 12 millions – un chiffre qui excède de loin le nombre de Juifs aux États-Unis 4. Ceux-ci ne représentent qu’une infime proportion des consommateurs : environ 1,5 million. Comme l’indique l’étude du Pew Research Center de 20135, seuls 22 % des Juifs américains mangent casher. Le niveau de respect de la cacherout varie suivant le niveau d’orthodoxie : 98 % des Juifs orthodoxes et 83 % des Modern Orthodox ont un foyer casher. Le chiffre tombe à 31 % pour les Juifs « Conservative » et 7 % pour les Juifs « Reform » 5. Ce sont donc les non-juifs qui représentent l’imposante majorité des consommateurs de produits casher. Le public américain semble convaincu que la nourriture casher est plus contrôlée, donc meilleure et plus saine. Les végétariens, entre autres, mais aussi les musulmans, ou d’autres groupes religieux, comme les Adventistes du 7e jour, se tournent vers ce marché qui se monte à 13 milliards de dollars annuellement et est en croissance régulière de 10 % par an. Selon Lubicom, il y avait en 2015 environ 195 000 produits avec le label casher. Aujourd’hui, 40 % des produits alimentaires en conserve et des boissons commercialisés aux États-Unis sont casher.

Depuis 1989, un salon professionnel du cacher, Kosherfest, se tient une fois par an en novembre. Organisé par Menachem Lubinsky, directeur de Lubicom, Kosherfest avait démarré avec 60 exposants et un millier de visiteurs. Aujourd’hui, le salon attire plus de 6 000 professionnels de l’industrie alimentaire venus du monde entier pour découvrir les nouveaux produits proposés par quelque 325 exposants. La prochaine édition de Kosherfest aura lieu les 11 et 12 novembre 2020 à Secaucus dans le New Jersey. Kosherfest est considéré comme une vitrine pour l’innovation en matière de nourriture cacher. 6

Qu’en est-il du Canada? Avec une communauté juive d’environ 380 000 personnes, le Canada a créé ses propres agences de certification. La plus importante est le Kashrus Cou
ncil of Canada, COR, fondée à Toronto en 1952*. Cette organisation certifie plus de 70 000 produits. Montréal a son agence, établie par le Jewish Community Council of Montreal*. MK certifie 45 000 produits. Le Grand Rabbinat Sepharade du Québec a également son organisation, Kashrut Commission*. On trouve d’autres agences en Alberta, Calgary Kosher (CK)*, en Colombie-Britannique, Kosher Check* , au Manitoba, Vaad Ha’ir of Winnipeg*, et enfin en Ontario : Badatz Toronto* et Ottawa Vaad HaKashrut*. Comme aux États-Unis, l’engouement pour la nourriture casher ne cesse de progresser. En témoigne le nombre accru d’enseignes qui souhaitent obtenir la certification casher. Ainsi, la chaîne Loblaws a ouvert des sections casher dans ses magasins de l’Ontario et du Québec en 2018, et affichait une progression inattendue de ses ventes. Selon un porte-parole de Loblaws, le public non-juif représenterait une forte proportion de la clientèle. La profusion des symboles associée à la complexité des lois sur la cacherout rend la tâche parfois difficile pour les consommateurs. Mais c’est aussi le signe d’une vitalité qui s’étend au-delà de la communauté juive. Pour reprendre les mots de Menachem Lubinsky : « Depuis le jour où j’ai lancé Kosherfest il y a 26 ans, l’idée était d’unir la com

munauté juive autour de la nourriture et de reconnaître à quel point la nourriture casher a progressé ». Développement inédit – de prescriptions religieuses à tendance « foodie » – qui aura eu au moins un bénéfice pour tous les Juifs pratiquants, en leur offrant une gamme de produits dont ils n’auraient pu rêver il y a quelques décennies.

 

 

8. Source: Kashrut.com

9. Heather Sokoloff, “Health-conscious consumers put their faith in kosher certification”, The Globe and Mail, 2 janvier 2018. The-globeandmail.com/life/health-conscious-consumers-put-their-faith-in-kosher-certification/article/17977409/

10. vosizneias.com/2014/11/12/Secaucus-nj-nj-back-and-bette-than-ever-kosherfest-2014

Notes:

  1. https://oukosher.org
  2. Shira Feder, « How To Decode a Kosher Label », The Forward, 4 mars 2019. Forward.com/food/419649/how-to-decode-a-kosher-label/
  3. Source: Chicago Rabbinical Council, www.crcweb.org/agency_list.php
  4. Les statistiques variant selon les études. Le Steinhardt Social Research Institute de l’Université Brandeis évalue à 7,5 millions le nombre de Juifs aux États-Unis en 2019. D’autres études donnent le chiffre de 6 millions.
  5. Le mouvement « Reform » représente l’un des trois grands courants au sein du judaïsme américain avec 35 % qui s’identifient comme « Reform », 18 % comme « Conservative » et seulement 10 % se déclarent orthodoxes. Source : Pew Research Center, « A Portrait of Jewish Americans ».
  6. Jeff Jacoby, « The Kosher-Industrial Complex », Boston Globe, novembre 2018. Apps.bostonglobe.com/ideas/graphics/2018/11/the-next-bite/the-traditions/
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