Un exemple d’études juives sépharades à Montréal Entretien avec le Rabbin Ronen Abitbol
PAR Sonia Sarah Lipsyc
Né en Israël, d’origine marocaine, et vivant au Canada depuis 1981, le rabbin Ronen Abitbol a fait ses études rabbiniques à Montréal, en Israël et au Mexique. Il a été rabbin à Miami avant de devenir depuis 2001, le rabbin de la Congrégation sépharade Hekhal Shalom à Ville-Saint-Laurent (Québec) 1 où il vient de créer un « kollel », lieu d’études pour tout âge. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de pensée et de loi juives dont certains sont traduits de l’hébreu ou de l’anglais en français comme « Le cri du Cerf », 2012, et « Le Mariage », 2004. Il a accepté de répondre à nos questions sur divers sujets ayant trait à l’éducation sépharade et nous l’en remercions.
Sonia Sarah Lipsyc est rédactrice du LVS.
Comment s’organise l’une de vos journées comme rabbin et enseignant soucieux de faire connaître la tradition juive sépharade?
Il me semble important de retourner à nos sources, en particulier la Halakha, la loi juive telle qu’elle a été interprétée et transmise dans le monde sépharade. Nous devons connaître aussi nos coutumes, et ce, d’autant plus que, parfois pour ne pas dire souvent, les membres de notre communauté at large n’ont pas toujours eu l’occasion de recevoir cette éducation. Ils ont évolué dans un monde où prédominait l’enseignement des rabbins ashkénazes. Or nous devons connaître nos traditions et la différence avec celles de nos frères ashkénazes.
En ce qui me concerne comme rabbin d’une belle congrégation, forte de 140 familles, le matin après l’office, je donne un cours sur l’ouvrage du Hoq Israël 2accompagné d’un bon petit déjeuner. Une heure avant l’office de l’après-midi (minha), mon enseignement porte sur la parashat hashavoua, le passage de la Torah que l’on va lire le shabbat à la synagogue. Après la prière du soir (arvit), nous étudions un passage du Talmud. Chaque vendredi, nous sortons un feuillet dans lequel se trouvent plusieurs enseignements sur la parashat hashavoua, et la loi juive. Nos membres le reçoivent par courriel ou peuvent le trouver dans sa version papier à la synagogue.
Je crois que vous utilisez aussi beaucoup de médias sociaux à l’ère du Web 2.0 pour diffuser votre enseignement ou répondre aux questions de tout un chacun sur la loi juive?
En effet, j’ai créé plusieurs groupes qui, grâce à D’, marchent bien et répondent à un besoin.
Il y a d’abord un groupe d’environ 1 000 personnes sur WhatsApp, « Halakha-Question/Halakha Sepharade », où les hommes et bien souvent les femmes peuvent me poser des questions en anglais ou en français, sur tout point de la loi juive et dans tous les domaines. Je réagis vite et quotidiennement en m’appuyant sur nos sources sépharades, le Shoulkhan Arouch de rabbi Yossef Caro (16e siècle), les écrits de Rav Ovadia Yossef (20e siècle) ou d’autres rabbins sépharades.
Je donne également quotidiennement des cours de cinq minutes dans ce média. Le premier « Une goutte de Torah » porte sur le Hoq Israël, le Talmud ou le texte mystique du Zohar. Près de 1 500 personnes le suivent en direct ou l’écoutent plus tard, certains même le transfèrent à d’autres. Le deuxième, « 5 minutes de Torah », avec chaque jour une icône et un slogan différent. Enfin, chaque vendredi, « L’Épice du Chabbat », une parole de Torah sur la parashat hashavoua ainsi que différentes vidéos.
Vous avez créé récemment un kollel, un lieu d’études où l’on peut étudier quotidiennement? Comment fonctionne-t-il et à qui s’adresse-t-il?
Le kollel « Chouva Israël-Hekhal Shalom », tel est son nom, créé au mois d’août dernier, est une émanation de la Congrégation Hekhal Shalom, mais il est ouvert à tout le monde. Il a pour but de former des baale batim, des pères de famille et d’offrir un enseignement basé sur les sources de la tradition sépharade. Même s’il y a environ six averechim, membres permanents qui étudient chaque matin, l’idée est d’aller vers la communauté de Montréal. C’est pourquoi nous proposons essentiellement des cours, toutes sortes de cours et tous les jours. Des cours de Torah, de Talmud, de Moussar (éthique juive), de Kabbale, par exemple à partir des ouvrages du Ramhal (18e siècle) ou d’un rabbin contemporain, R. David Menache ainsi que des études sur la loi juive.
Ces cours sont donnés par plusieurs personnes comme les rabbins David Bitton, Raphaël Benisti, Yossi Moyal, Charles Abikhzer et autres invités de marque. On a aussi engagé le rabbin Dov Harrouch, pour qu’il s’adresse aux enfants de l’École Maimonide dont l’un des campus est proche de chez nous. Ainsi 20 à 50 personnes de 15 à 80 ans suivent déjà ces cours, le soir à partir de 18h jusqu’à 21h30. Nous avons bénéficié de dons. Je tiens notamment à souligner celui de Jo Bitton qui a offert au kollel, une bibliothèque d’une valeur de 50 000 $, qui comporte des livres de la tradition sépharade d’hier et d’aujourd’hui.
Quels sont justement les textes de la tradition sépharade que vous étudiez dans le cadre de ce Kollel?
En ce qui concerne la loi juive, outre bien sûr le Shoulkhan Arouch, nous étudions des textes de décisionnaires contemporains comme les rabbins Ovadia Yossef, Chalom Messas (21e siècle) ou Raphaël Barouch Tolédano (19e siècle). En Kabbale, avec le Zohar, ou d’autres textes mentionnés précédemment, nous nous référons par exemple au Matok Midvach 3. Quant à la Torah, de nombreux commentateurs classiques étaient sépharades comme Ibn Ezra (12e siècle), par exemple.
Y a-t-il une chita, une méthode d’étude sépharade? En usez-vous?
En matière d’étude, et de façon générale, les Ashkénazes se concentrent sur l’étude de la Guemara dans le Talmud alors que les sépharades sont plus portés sur l’étude de la loi juive.
La chita consiste à prendre la base, c’est-à-dire le Shoulkhan Arouch et de voir si les choses ont changé en se référant aux teshouvot, responsa des décisionnaires sépharades. Il y a parfois des choses qui sont permises dans notre tradition et qui ne le sont pas dans le monde ashkénaze et réciproquement. Par exemple, pour nous, il est possible de chauffer une halla, le pain du chabbat, sur la plata 4, alors que ce n’est pas permis selon les décisionnaires ashkénazes. À l’instar de cet exemple, bien des personnes découvrent d’autres aspects de la loi ou des coutumes juives sépharades.
En ce qui concerne l’étude du Talmud, les Ashkénazes usent plus aisément du ‘iyoun, une méthode d’approfondissement de la page talmudique alors que les Sépharades vont préférer la bekiyout, une connaissance plus large. On retrouve là un écho d’un passage talmudique que je viens justement de voir ce matin, dans le traité Berachot page 64a, au sujet de deux sages, Rabah et Rav Yosef. Le premier était surnommé « le souleveur des montagnes », à cause de sa qualité de penseur, et le second, le Sinaï pour son érudition.
Le grand maître, Baba Salé (20e siècle), en usant d’un jeu de mots en hébreu disait qu’il fallait d’abord user de sa tête « roshi » avant de consulter « Rachi », le grand commentateur de la Torah et du Talmud.
Comment qualifieriez-vous l’apport du monde sépharade dans la pensée juive et contemporaine?
Les Sépharades étaient un peu perdus, il y a 50 ans à cause de multiples raisons comme l’immigration. Or, il y a maintenant une soif de retourner aux sources de la tradition juive pour la génération actuelle, mais elle se traduit parfois, trop souvent, en se tournant vers le monde ashkénaze. Il faut leur offrir des bases afin que nos jeunes notamment retrouvent leurs sources et découvrent toute la richesse du monde de l’étude juive sépharade. Mais, quelles que fussent les ruptures au sein du monde sépharade, ses membres sont toujours restés très impliqués dans le hessed, la bienfaisance. Même les gens pauvres faisaient du hessed.
Qu’est-ce qui vous semble important de mettre en exergue en matière de transmission de la tradition sépharade? Quelles seraient selon vous les priorités en matière d’éducation afin que la tradition sépharade se perpétue?
Sans hésiter, l’étude et surtout l’étude de la loi, car il n’y a pas d’étude sans action. L’étude de la loi à partir de nos sources.
Quels sont les endroits en Amérique où un Sépharade peut étudier selon les traditions sépharades?
En Amérique du Sud, au Mexique. En Amérique du Nord, il y a, à notre connaissance, un kollel sépharade à New York, un autre pour former les rabbins à Miami, initiative de la communauté syrienne. Et maintenant à Montréal.
Vous semble-t-il important que les femmes étudient aussi? Si oui, dans quel cadre?
Les femmes ont l’obligation d’étudier les lois de cacherout, pureté familiale, des fêtes, du shabbat. Pas seulement pour savoir quoi faire, mais aussi pour mieux questionner et apprendre au moyen des questions. Les médias sociaux leur ouvrent beaucoup de possibilités. Leur rôle est important dans la transmission de nos traditions sépharades, comme le disent les Proverbes 1,8 dans la Bible : « n’abandonne pas la Torah de ta mère ».
Notes:
- Voir https://hekhalshalom.com/kollel/ ↩
- « Cet ouvrage présente pour chaque jour, le passage de la Torah à lire ainsi que des extraits des deux autres parties de la Bible hébraïque (Prophètes et Hagiographes), du Talmud (Michna et Guemara), et un passage du Zohar. Son étude quotidienne a été instituée par le grand maître kabbaliste Rabbi Isaac Louria, connu sous le nom de Arizal (1534-1572) et son élève Rabbi Hayim Vital (1542 – 1620) », extrait de Marc Zilbert, http:// lvsmagazine.com/2018/04/la-place-du-zohar-au-sein-de-la-communaute-sefarade-marocaine-de-montreal/ ↩
- Commentaire contemporain du Zohar, rédigé par le Rav Daniel Frish (21e siècle). ↩
- Plaque chauffante du shabbat qui reste allumée durant toute cette journée. ↩