Comment je vois l’éducation au sein du monde sépharade
PAR le Rabbin Yamin Levy
Angy Cohen Né à Tanger, Rabbi Yamin Levy a grandi à Montréal. Il a été ordonné rabbin au Rabbi Isaac Elchanan Theological Seminary of Yeshiva University (séminaire
théologique Rabbi Isaac Elchanan à l’Université Yeshiva de New York), avec des diplômes d’études juives et de psychologie. Yamin Levy est le grand rabbin de la synagogue
Beth Hadassah de Great Neck à Long Island, fondateur du Maimonides Heritage Center (Centre du patrimoine de Maïmonide) et rabbin de la Long Island Hebrew
Academy (Académie hébraïque de Long Island), une école talmudique réputée de la côte nord de Long Island. Auteur de plusieurs livres et articles sur l’étude biblique,
l’étude de Maïmonide, la pensée juive et la Halakha (loi juive), il s’apprête à publier un nouveau livre : Celebrating with God, Family and Community : Judaïsm’s
Contribution to the World.
Article traduit de l’anglais pour le LVS par Brigitte Dyan (Artcom)
Conjuguer l’étude de la Torah et les savoirs du monde
Cela fait plus de trente ans (trente et un ans, pour être exact) que je suis engagé dans la profession rabbinique et l’éducation juive à tous les niveaux. J’ai consacré l’essentiel de mon énergie à préserver ce que je crois être une expérience religieuse et une vision du monde sépharades, authentiques et pleines de sens. J’ai fondé le Maimonides Heritage Center (Centre du patrimoine de Maïmonide) sur ce principe – en espérant répandre l’enseignement de la Torah et du judaïsme hérité de nos ancêtres andalous. Maïmonide n’était pas une exception dans sa génération. Il était l’héritier d’une riche culture juive qui conjugue la pratique de la loi juive, sans les pièges de la superstition et des fausses promesses, avec un savoir universel.
Tous les sages de cette région étaient non seulement des sommités de la Torah et de la Halakha, mais aussi des grammairiens, des scientifiques, des économistes, des commerçants, des diplomates et des philosophes.
De quoi doit s’inspirer l’éducation sépharade ? Quel pourrait être son programme d’enseignement ?
Le patrimoine sépharade a tellement de richesses à apporter à la vie juive religieuse et culturelle au 21e siècle ! Pour commencer, il faut absolument revisiter les textes de nos érudits sépharades, particulièrement ceux du début et de la fin du Moyen-Âge. Ce sont des textes que l’on ne peut pas ignorer. Ils parlent de la passion et de l’intelligence avec lesquelles notre Torah a été transmise. Ces textes décrivent un engagement absolu dans la Halakha, la quête de la connaissance de Dieu et une promesse de faire progresser le monde. Le Moré Nevoukhim (Guide des égarés) de Maïmonide n’est rien de moins qu’un guide de prophétie et de connaissance de Dieu. Le rabbin et universitaire contemporain, José Faur et d’autres commentateurs lisent le Moré Nevoukhim comme un ouvrage de philosophie mystique. Il est essentiel de diffuser ces textes et de raconter l’histoire de ceux qui ont sacrifié leur vie à rechercher Dieu et le Tikoun ’Olam.
Poursuivre aujourd’hui la tradition sépharade
Une épistémologie sépharade authentique rejette toutes les formes de superstition, la magie, la culture des amulettes et le culte des pèlerinages 1. Aussi séduisantes que soient ces pratiques, nous devons catégoriquement rejeter ces formes de rituels religieux, sans exception, si nous voulons vraiment assumer notre héritage. La superstition et le culte des pèlerinages sous toutes leurs formes sont liées à l’influence de la nécromancie médiévale germanique. Alfasi, Maïmonide et Caro considèrent que ces pratiques sont proches de l’avodah zara (l’idolâtrie). Alors, comment pouvons-nous permettre à ces pratiques de se perpétuer tout en nous proclamant fidèles à un héritage sépharade authentique? Je sais que cela fait partie de la pratique Chabad, dans la tradition de Breslev, et je sais aussi que nombre de jeunes Sépharades sont attirés par ce type de pratique. Si je spéculais sur ce que diraient aujourd’hui Maïmonide ou Rabbi Yossef Caro à propos de ces pratiques, d’après l’héritage théologique qu’ils nous ont laissé, je conclurais qu’ils seraient très critiques à leur égard.
Notre programme éducatif doit inclure une étude rigoureuse du texte biblique, de la grammaire hébraïque, de la liturgie et la loi juive, de la Halakha, ainsi qu’une saine dose de sciences humaines et d’autres sciences. Mes cours et conférences portent sur des textes bibliques et des écrits rabbiniques, mais aussi sur Dostoïevski, Albert Camus et d’autres grands écrivains. La pratique religieuse est basée sur la Halakha et la Halakha est basée sur le principe « Asseh Lekha/Lakh Rav », choisis le bon rabbin. Que dire de plus ? Aujourd’hui Baroukh Hashem, grâce à Dieu, il y a d’innombrables rabbins qui sont de saintes personnes, de bonnes personnes, mais combien d’entre eux comprennent le processus et le développement de Pesak Halakha? Très peu, parce qu’ils ne sont pas enseignés dans leurs yeshivot, les écoles talmudiques.
Nos érudits sépharades ont compris que l’État d’Israël est Reshit Zemikhat Gué-Olateinou, le début de notre rédemption. Cela ne veut pas dire que tout ce qui touche à l’État d’Israël est miraculeux. En fait, nous devons reconnaître la Main de Dieu et apprécier en même temps l’effort des êtres humains qui ont créé l’État d’Israël. Nos sages, y compris Maïmonide, Naḥmanide, Ribbi Yoseph Caro, Ribbi Ya’acov Habib (15e siècle), Ribbi David Ben Zimra (fin du 15e siècle), et d’innombrables sages des terres sépharades, ont affronté les dangers des voyages médiévaux pour vivre et pour soutenir l’État d’Israël. Aujourd’hui, l’État est entre nos mains – il est essentiel que notre jeunesse soutienne l’État d’Israël, mais aussi qu’elle aime le pays et ses habitants.
Souligner l’immoralité du racisme et oeuvrer à l’égalité des sexes au sein de notre tradition juive
Une vision sépharade du monde inclut aussi un programme d’éducation parallèle, mais non moins important. Nous devons transmettre à nos étudiants à quel point le racisme est immoral. Nos sages nous ont enseigné le principe universel que tous les êtres humains sont créés à l’image de Dieu et que tous les humains sont égaux devant Dieu. Nous devons nous exprimer contre le racisme dans nos communautés et ne pas accepter la bête immonde. Je dis ceci en suivant l’enseignement de nos ḥakhamim, sages sépharades du Moyen-Âge.
Il est aussi important pour nous d’aller chercher les commentaires progressistes que l’on trouve dans les écrits de nos ancêtres sépharades qui se sont exprimés sur l’égalité des sexes.
Par exemple, le Rishon LeTsion, le Grand Rabbin d’Israël, Ovadia Yoseph écrivait dans son célèbre ouvrage Teshouvoth Yabia Omer, volume 6 OC 13, qu’à notre époque, la présence occasionnelle de femmes dans la section masculine de la synagogue n’est plus une infraction à la pudeur. Le respect est dû aux femmes non pas simplement comme à des appendices de l’homme, mais comme contributrices égales à la société, à la communauté et à la vie religieuse. Ce principe est fondamental dans l’éducation de la prochaine génération.
Maïmonide a écrit à propos de la création d’une communauté inclusive 2 que l’unité ne signifie pas nécessairement l’uniformité. Une communauté inclusive accueille une diversité d’idées et de pensées incarnée par des personnes qui viennent partager un destin commun. Notre ancêtre Avraham, nous enseigne Maïmonide, a trouvé Dieu grâce à ses capacités intellectuelles et spirituelles (Hilkhot Avoda Zara 1:1). Comment se manifeste l’amour envers Dieu ? Maïmonide répond que c’est par l’étude du monde qui nous entoure (Hilkot Yesodei HaTorah 2:1). La Halakha, ou la parole de Dieu, ainsi que le monde de la science et la nature, indiquent tous les trois la direction et le chemin vers Dieu. Comme Avraham Avinou, nous sommes tous invités à trouver Dieu sur notre chemin de questionnement intellectuel.
Une des rares écoles sépharades aux États-Unis
Mon travail à l’Université Yeshiva a été très gratifiant. Nous avons recruté des étudiants sépharades du monde entier. J’ai eu des élèves venus des États-Unis, du Canada, d’Amérique du Sud, de France, du Royaume-Uni. C’était fascinant de voir comment ces jeunes hommes et femmes portaient leur héritage sépharade. Mon engagement dans l’Université Yeshiva est plus limité aujourd’hui, du fait de mes contraintes de temps. Je dirige maintenant une yeshiva qui est le seul programme d’enseignement sépharade sur la côte nord de New York. Notre école, la Long Island Hebrew Academy, est l’une des meilleures en matières scientifiques (science, technologie, génie et mathématiques) dans le Comté de Nassau. Notre étude de la Torah est basée sur des textes, que les enfants lisent dès la troisième année avec Ta’amei HaMiqra, les signes de cantillation de la Torah. C’est si beau de voir nos enfants réciter à haute voix la prière tout entière et des passages de la Torah avec les té’amim (la cantillation).
Il y a très peu de communautés sépharades en Amérique du Nord qui sont sincèrement engagées à faire vivre leur héritage sépharade. Ils ont un livre de prières sépharade et chantent les airs qu’il faut pour le Shabbat – ils sont sépharades en apparence – mais c’est purement culturel. La vérité est dans les détails. Est-ce que les femmes sépharades apprennent à allumer les bougies de Shabbat comme c’est enseigné dans le Shoulḥan ’Aroukh ? Est-ce que les communautés sépharades pratiquent encore les kaparot avec des poulets 3, à l’encontre des règles du Ramban et du Shoulḥan ’Aroukh ? Nos jeunes voyagent-ils encore en Ukraine à Rosh Hashanah, contrairement aux directives du Grand Rabbin Ovadia Yoseph ? Ces détails sont plus que de simples pratiques. Ils ont des répercussions sur l’épistémologie et la vision du monde juives sépharades.
Nous avons les ressources et les moyens intellectuels pour rendre accessibles à notre jeunesse notre tradition spirituelle, halakhique et philosophique. Aujourd’hui plus que jamais, nous devrions avoir une présence forte. Nous devrions être capables de compléter les connaissances de nos leaders et de nos rabbins par un solide programme sur la pensée juive et la Halakha.
Notes:
- Voir mon article intitulé « Solemn Space: Praying at Cemeteries and the Prohibition of Lo’eg Larash », publié dans Shelom Banaich : Jubilee Volume in honor of Shalom Carmy, 2014, Ktav Publisher. ↩
- Voir Yamin Levy « Maimonides on Creating an Inclusive Community » dans The Legacy of Maimonides: Religion, Reason and Community, 2006, Ktav Publishers Edited by Yamin Levy and Shalom Carmy ↩
- Coutume à la veille de kippour, durant laquelle après une cérémonie, on sacrifie des poulets en signe d’expiation (ndr) ↩