RÉFLEXIONS DU RABBIN DELPHINE HORVILLEUR SUR L’ANTISÉMITISME

PAR ELIAS LEVY

Elias Levy

Elias Levy

Collaborateur à notre magazine La Voix Sépharade (LVS) et journaliste à l’hebdomadaire The Canadian Jewish News (CJN)

« Il y a une corrélation entre l’antisémitisme et la haine des femmes »

 

Regrettablement, l’antisémitisme est une maladie éternelle qui continue à se répandre sous tous les tropiques. En France, en 2018, les actes antisémites ont bondi de 74 %. Rabbin du Mouvement juif libéral de France, Delphine Horvilleur décrypte les ressorts de la haine antisémite dans un livre brillant et des plus éclairants, « Réflexions sur la question antisémite » (Éditions Grasset, 2019). Elle explore avec dextérité ce phénomène morbide en remontant aux sources originelles du judaïsme : les textes sacrés, la tradition rabbinique, les légendes plurimillénaires juives. Un ouvrage interpellateur qui arrive à point nommé, particulièrement à une époque nébuleuse où, en Occident, la parole antisémite s’est libérée d’une manière ignominieuse.

Que vous a appris la littérature rabbinique au sujet de l’antisémitisme?

Il est intéressant de voir comment, il y a plusieurs millénaires, les Rabbins avaient une conscience particulière des situations politiques et sociologiques propices au réveil de l’antisémitisme. La littérature rabbinique nous rappelle que c’est toujours dans un contexte de crispation identitaire, quand un individu, un groupe ou une société devient foncièrement obsédé par son essence et la définition de son identité, que de façon étrange le Juif devient le nom de celui qui vous empêche d’être purement vous-même.

Selon vous, la lutte contre l’antisémitisme est un combat permanent qui devrait concerner aussi les non-juifs.

L’antisémitisme n’est pas le problème des Juifs, mais de ceux et des sociétés qui le tolèrent. C’est ce que je ne cesse de répéter. Les non-juifs doivent aussi combattre cette bête immonde. Au cours de l’Histoire, on a constaté que la haine antisémite agit toujours comme un clignotant annonçant d’autres haines, d’autres explosions de violence. En France, particulièrement ces dernières années, nous avons été les témoins de ce phénomène délétère. Ce n’est pas étonnant parce que le Juif demeure dans l’Histoire le marqueur d’une altérité très particulière. Le Juif, c’est cet Autre qui me ressemble beaucoup.

Pour vous, l’antisémitisme est très différent d’un racisme traditionnel. Pourquoi?

Le racisme traditionnel, c’est une haine de l’Autre parce qu’il est Autre, parce qu’il est différent, ne me ressemble pas, n’a pas mon accent ou ma couleur de peau. Alors que l’antisémitisme procède d’une haine de la microdifférence.  On reproche aux Juifs de ne pas nous ressembler, mais on les déteste encore plus quand ils nous ressemblent tellement qu’on n’arrive pas à les différencier. L’antisémite est obsédé par la traque du Juif invisible, par l’idée que celui-ci est à la fois comme lui et pas comme lui, qu’il vit à ses côtés, mais est trop discret pour être repéré. Si le Juif incarne ce qui dans la nation tolère la faille et le mélange, c’est-à-dire une certaine porosité du monde, le haïr permet de s’imaginer que l’on peut exister sans l’Autre. 

Certains vous reprocheront d’établir une hiérarchie entre la lutte contre l’antisémitisme et la lutte contre les autres formes de racisme. 

Depuis la sortie de ce livre, je ne cesse de rappeler la non-hiérarchie entre ces deux combats. Bien entendu qu’il y a une urgence à lutter contre le racisme et l’antisémitisme de façon simultanée, sans établir aucune hiérarchie de gravité entre ces deux fléaux. Cependant, je pense qu’on a eu tort ces dernières années de considérer la lutte contre le racisme et celle contre l’antisémitisme comme un même combat. Cette équivalence a eu un effet contreproductif. Par exemple, en France, ces dernières années, à force d’affirmer qu’il n’y a aucune différence entre le racisme et l’antisémitisme, la société française n’a pas du tout été capable de désigner par son nom l’antisémitisme lorsqu’il émanait de populations immigrantes vivant dans des quartiers difficiles qui, objectivement, sont aussi victimes de racisme.

Pourquoi rapprochez-vous la haine du Juif et la haine de la femme?

On retrouve dans la rhétorique antisémite, presque point par point, tous les éléments de la critique misogyne la plus crasse. On a accusé les Juifs d’aimer l’argent et la proximité du pouvoir, d’être hystériques et de manquer de fiabilité, d’être lascifs… Ces griefs font aussi partie de la rhétorique misogyne traditionnelle. Je pense que ce n’est pas un hasard. L’identité qu’incarne le Juif, qui est à la fois le même et l’Autre, et qui a quelque chose à avoir aussi, d’un point de vue théologique, avec notre origine, avec notre rapport à l’altérité, est exactement ce qui définit le rapport au féminin dans nos sociétés, particulièrement dans les mondes les plus traditionnels. La femme elle aussi est cette Autre qui me ressemble beaucoup. Elle est l’ancrage central de notre origine, dont certains essaient désespérément de se décrocher. Mon livre est paru en France au moment où on inaugurait au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme une exposition consacrée à la vie de Sigmund Freud. À cette occasion, on a exposé le tableau « L’origine du monde » de Gustave Courbet. On retrouve dans celui-ci une description crue, quasi anatomique, d’un sexe féminin. Ce tableau saisissant, qui raconte notre rapport au féminin, est perçu comme un lieu d’origine qu’on n’a pas envie de voir. Pour moi, cette fresque évoque ce que, aux yeux des antisémites, le Juif incarne dans la société : cet autre et ce même que j’ai face à moi, qui racontent quelque chose de mon histoire et dont je voudrais me couper.

Vous avez appris dans la littérature rabbinique que, durant l’Antiquité, les Rabbins ont été aussi la cible de cet antisémitisme couplé de mysoginie. 

Oui. Ces Rabbins, qui ont vécu sous domination hellénique et romaine, étaient perçus comme des hommes « impuissants », au sens politique du terme. Ils n’avaient pas de souveraineté politique, ni d’armée. Vivant sous domination, ils étaient bien conscients qu’aux yeux de la société, ils n’étaient pas considérés comme des hommes dotés de la virilité traditionnelle. C’est comme s’ils assumaient dans le Talmud un élément de féminité auquel la société dominante les a renvoyés. Mais, au lieu d’en faire un handicap, ils vont trouver le moyen dans les textes talmudiques d’en faire une force, c’est-à-dire de définir une masculinité qui n’est pas celle du mâle alpha.

En France, depuis les attentats de janvier 2015, au lieu de décroître, les actes antisémites se sont multipliés. Une hausse de 74 % en 2018. L’antisémitisme n’a-t-il pas été banalisé pendant plusieurs années? 

Il y a eu d’abord un déni important de l’antisémitisme. Au début des années 2000, quand les Juifs disaient qu’il y avait une montée de l’antisémitisme, beaucoup de gens leur répondait : « Vous exagérez, vous êtes paranoïaques ». Il y avait alors une difficulté à nommer l’antisémitisme. On disait aux Juifs que les violences antisémites étaient la résultante d’affrontements intercommunautaires et de l’importation en France du conflit israélo-palestinien. On n’arrivait pas à nommer l’antisémitisme, à lui donner ce nom-là. Après, un phénomène d’habitude s’est instauré.

En 1990, après la profanation du cimetière israélite de Carpentras, des centaines de milliers de Français étaient descendus dans la rue pour dénoncer cet acte antisémite abject, y compris le président en exercice à l’époque, François Mitterrand. Une première dans l’histoire de la République française. Aujourd’hui, en France, quand des cimetières sont profanés, c’est aussi le cas dans les autres pays du monde, les journaux consacrent à peine à ces exactions un entrefilet, c’est-à-dire quelques lignes. Ce n’est plus du tout un événement. C’est troublant.

Pourtant, la lutte contre l’antisémitisme est une priorité pour les pouvoirs publics français. 

Les pouvoirs publics font incontestablement leur travail et tiennent un discours extrêmement fort et ferme en ce qui a trait à la lutte contre l’antisémitisme. Mais cette détermination vient du sommet de l’État français.  On a du mal à faire bouger les consciences venant d’en bas. Ce que les Américains appellent le « bottom up » est souvent anesthésié. À ce sujet, je vais vous raconter une petite anecdote qui illustre bien ce problème. Je suis intervenue dans un collège récemment pour parler aux élèves des préjugés antisémites. À la fin de mon intervention, une petite fille, qui devait avoir 11 ou 12 ans, a levé la main. Elle m’a demandé : « Pourquoi êtes-vous radin? » En fait, moi j’avais compris : « Pourquoi êtes-vous Rabbin? » Je lui ai répondu : « J’ai fait des études pour devenir Rabbin. Nous ne sommes pas encore nombreuses, mais c’est une vocation qui se développe… » Elle avait les yeux grands ouverts. Elle ne comprenait pas du tout ce que je lui disais, jusqu’à ce que j’ai saisi sa question. Elle ne faisait que colporter un cliché éternel sur les Juifs auxquels elle avait été probablement exposée dans sa famille ou dans son entourage proche. J’ai tellement été sidérée par sa question que je lui ai répondu : « Combien vas-tu me donner pour que je réponde à ta question? » Je me croyais dans un sketch de Woody Allen!

Les autorités publiques et les médias français continuent-ils à éluder le fait qu’aujourd’hui l’antisémitisme émanerait essentiellement des communautés arabo-musulmanes?

J’ai l’impression qu’il y a eu une prise de conscience. Désormais, nombreux sont les Français qui réalisent que cet antisémitisme provient d’une certaine jeunesse arabo-musulmane. Ce qui est important, c’est de ne pas enfermer cet antisémitisme dans une essentialisation, mais d’essayer de comprendre qu’est-ce qui a pu le nourrir familialement, existentiellement. Il me semblait important, c’est ce que j’ai essayé de faire dans ce livre, de comprendre en quoi ce nouvel antisémitisme s’inscrit dans le vieil antisémitisme. En effet, on y retrouve des marqueurs ultra-traditionnels auxquels personne n’échappe. Aujourd’hui, on constate que ces marqueurs sont aussi en éveil dans d’autres sociétés. Pour preuve : on voit ce qui s’est passé aux États-Unis ces dernières années, les tueries de Pittsburg, de San Diego… On s’aperçoit que ce qu’une partie de la jeunesse arabo-musulmane française a exprimé ces dernières années à sa manière, avec ses codes et ses référents culturels, est aussi à l’œuvre aujourd’hui dans d’autres groupes. C’est-à-dire qu’à chaque fois que s’éveillent le repli identitaire et les crispations communautaires d’un individu, des groupes, des communautés ou une nation tentent de consolider le « Nous » contre le « Eux ».

Lors de sa dernière intervention devant les leaders de la communauté juive de France, à l’occasion du dîner annuel du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), le président Emmanuel Macron a promis des « actes » et des « lois » pour combattre vigoureusement l’antisémitisme. Il a annoncé qu’une nouvelle définition de l’antisémitisme sera désormais adoptée par son gouvernement : « l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme ». Cet engagement pourra-t-il réellement être mis en œuvre quand on sait que les nombreux détracteurs d’Israël répliqueront que l’antisionisme n’est pas un délit, mais une opinion politique, le droit de critiquer la politique d’Israël n’étant pas, selon eux, un acte antisémite mais une posture idéologique des plus légitimes?

En tout cas, l’intervention d’Emmanuel Macron à ce sujet a initié une discussion qui me paraît essentielle. Je ne crois pas qu’on puisse dire en toutes circonstances : antisionisme=antisémitisme. Par contre, aujourd’hui, quand quelqu’un vous dit qu’il est antisioniste, personne ne sait ce qu’il veut dire. C’est là où la discussion devient intéressante. Moi, aujourd’hui, quand quelqu’un me dit qu’il est antisioniste, objectivement, je ne sais pas ce qu’il veut dire. Est-ce qu’il veut dire qu’il est opposé à la politique actuelle du gouvernement israélien? Dans ce cas, j’ai envie de lui répondre : bienvenu au club d’une bonne partie de mes amis israéliens sionistes.

Comment comprendre ce que quelqu’un veut dire quand il dit qu’il est antisioniste? Moi, chaque fois que j’ai cette conversation, je peine à obtenir une réponse de mon interlocuteur. Mais je pourrais dire la même chose, de façon moins politiquement correcte, du sionisme. Aujourd’hui, ceux qui se définissent comme sionistes, je ne suis pas sûre non plus de comprendre ce qu’ils veulent. Moi, je me suis toujours définie comme sioniste, mais je suis bien consciente que mon sionisme aujourd’hui me vaudrait d’être qualifiée d’antisioniste par une partie de ceux qui sont persuadés incarner mieux que moi ce qu’est le sionisme. En fait, on ne sait plus du tout ce que ces mots veulent dire. C’est à se demander si on peut encore les utiliser.

Par ailleurs, qu’est-ce qui fait qu’Israël serait le seul pays dont la politique ultra-nationaliste, si on souhaite la définir ainsi, a nécessité la création d’un terme nouveau qui remet en question sa légitimité à exister? À ma connaissance, on n’a pas inventé un nouveau mot pour exprimer notre opposition à la politique de Donald Trump, de Jair Bolsonaro, de Victor Orban… Qu’est-ce qui justifie cette exception rhétorique? Qu’est-ce qui fait que cet antisionisme est bien souvent exprimé dans les milieux de l’ultra-gauche, qui est la première à revendiquer le droit à la souveraineté pour toutes les minorités menacées dans le monde? Pourquoi cette exceptionnalité vis-à-vis des Juifs? Tout cela crée une nécessité de redéfinir les termes.

Vous expliquez que la notion d’ « élection » du peuple juif est source de confusion dans le monde non juif.

Cette notion est aussi mal interprétée à l’intérieur du monde juif. On ne sait pas exactement quelle est sa vraie signification. L’histoire juive nous rappelle que la notion d’ « élection » a aidé le peuple juif à se relever dans les moments les plus difficiles de son histoire. Les Juifs se sont alors dit : « Il nous arrive des choses atroces, mais peut-être que la notion d’ « élection » est un lien particulier, ou transcendant, qui va nous permettre de ne pas perdre espoir en l’avenir ». Cette notion a été un élément de résilience extrêmement fort dans l’histoire juive. Mais on a toujours peiné à définir ce qu’elle voulait vraiment dire. Pourtant, l’interprétation des Rabbins de cette notion est assez limpide : celle-ci ne confère aux Juifs aucun droit particulier, mais leur assigne des devoirs particuliers. Aux yeux des Rabbins, l’ « élection » n’est certainement pas un privilège pour le peuple juif.

Au fil de l’Histoire, la mauvaise interprétation de la notion d’ « élection » a nourri la rancœur contre les Juifs. 

Oui. Théologiquement, ce n’est pas simple pour les autres traditions religieuses de se réclamer d’une même révélation et de ne pas être celles qui l’ont reçue. Pour celles-ci, c’est indépassable. Si les autres religions se réclamaient d’une autre révélation, je crois qu’elles auraient beaucoup moins de problèmes avec le peuple juif. Quand on se revendique comme étant les enfants d’une même révélation, ça complique sur le plan théologique l’explication du pourquoi celle-ci a eu lieu en mon absence? J’utilise dans le livre la métaphore de la fratrie. Les Juifs sont considérés comme le grand frère, donc sont mis en position de responsabilité même quand ils sont victimes de persécutions dans l’Histoire. Il y a là une vraie injustice. On le remarque en France où, ces dernières années, en bien des circonstances, nous avons été témoins du fait qu’il y a une forme d’infantilisation du monde musulman et une sorte de surresponsabilisation du monde juif. Comme si les Juifs en toutes circonstances devaient se montrer plus adultes, plus responsables.

Lutter efficacement contre l’antisémitisme, n’est-ce pas un vœu chimérique?

On ne peut pas mener un combat frontal contre l’antisémitisme. Par contre, on peut mener un combat systémique contre les conditions qui dans une société sont propices au développement de l’antisémitisme. La question que nous devons tous nous poser est : que faudrait-il introduire dans les programmes scolaires pour mieux lutter contre l’antisémitisme et toutes les autres haines? J’ai tendance à répondre à cette question sous le mode humoristique. Mais derrière l’humour, me semble-t-il, se camoufle toujours quelque chose de très sérieux.  Il y a quelques années, quand elle était ministre de l’Éducation nationale, j’ai suggéré à Najat Vallaud-Belkacem d’introduire dans les programmes scolaires en France l’humour juif. Qu’est-ce que c’est que l’humour juif? C’est une capacité à penser la complexité du langage et de l’existence. L’humour juif se construit sur l’idée que le rire surgit d’une conscience d’ambiguïté, de double sens. C’est-à-dire que quand on dit quelque chose, on peut comprendre autre chose, car la réalité est toujours plus complexe que ce que nous essayons de dire. L’humour juif, qui raconte une certaine vision du monde, a une capacité saisissante pour penser la complexité.

Nous vivons aujourd’hui dans un monde désarçonné où on tente d’assassiner toute complexité. Désormais, on nous invite à communiquer par les réseaux sociaux avec 280 signes maximum. On enseigne à nos enfants à réduire et piétiner la complexité du monde et du langage… Résultat sinistre : on perçoit le monde à travers une version complètement appauvrie et simplifiée de l’existence humaine.  Pour moi, il y a une corrélation entre cet appauvrissement de la pensée et la montée des haines et des discriminations, et sans aucun doute de l’antisémitisme. Je pense qu’on ne pourra pas lutter efficacement contre l’antisémitisme si on part du principe que celui-ci est le cœur du problème. L’antisémitisme est surtout le symptôme d’une faille dans une société qui a de la difficulté à vivre avec la complexité.

L’école peut-elle jouer un rôle important dans la lutte contre les préjugés antisémites. 

Oui. L’école a un rôle à jouer par son rapport au langage, à l’exégèse et à l’interprétation du monde. Là, vous allez dire que c’est le Rabbin qui parle! C’est vrai! Je pense que les codes rabbiniques, qui sont la sacralité de l’exégèse, de l’interprétation et la conscience qu’un texte peut toujours vouloir dire autre chose, pourraient être utiles aujourd’hui pour réhabiliter dans la société une capacité à vivre avec la complexité. Les familles ont aussi un rôle fondamental à jouer dans la lutte contre les préjugés antisémites et racistes.

Comment envisagez-vous l’avenir des Juifs en France?

Ça dépend des jours. Je suis parfois pessimiste quand je constate que les Juifs sont pris en tenaille d’extrêmes – l’extrême droite, l’extrême gauche, les fondamentalismes religieux -, qui en plus aujourd’hui ont la particularité de tisser des alliances entre eux qu’on croyait encore improbables il y a quelques années. Mais je garde quand même un certain espoir. Moi, je crois encore fortement en la promesse que la République française a faite à ses citoyens : leur permettre en toutes circonstances de parler à la première personne du singulier et les protéger du communautarisme, c’est-à-dire de la tentation de dire « Nous » pour parler de son groupe ethnique, religieux ou identitaire. Dans la promesse de la République, il n’y a qu’un seul « Nous »: celui de la nation. Cette promesse capitale, menacée aujourd’hui de toutes parts, notamment par le communautarisme, renforce ma conviction qu’il y a un avenir pour les Juifs en France. L’Histoire juive française a une particularité : elle est faite à la fois de lumières très fortes et d’obscurités très profondes. La France, c’est le pays de l’Affaire Dreyfus et de Vichy, mais c’est aussi le premier pays qui a émancipé les Juifs et confié à un illustre Juif, Léon Blum, la gouvernance de la nation. En fait, l’Histoire de France est composée de moments de puissantes lumières, qui ressemblent à une histoire d’amour, et de ténèbres, pour reprendre le titre du très beau livre d’Amos Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres. Espérons que les ténèbres qu’on a vécues ces dernières années se transformeront en une aube prometteuse.

Top