L’écologie au regard de quelques sources de la tradition juive. Entretien avec le rabbin Scharar Orenstein

Dr Sonia Sarah LIPSYC

Sonia Sarah Lipsyc

Le rabbin Scharar Orenstein évolue actuellement au Montreal Open Schul 1, congrégation qu’il a créée avec la femme rabbin Sherril Gilbert et la chantre Heather Batchelor. Il est le fondateur de Téva Québec 2 et est très impliqué dans l’évolution d’une conscience écologique. Dr Sonia Sarah Lipsyc est rédactrice en chef du LVS et directrice de Aleph – Centre d’études juives contemporaines.

Il y a dans le judaïsme une reconnaissance de la beauté de la Création par le Créateur. Il y a même des bénédictions à dire lorsque l’on respire des parfums, à la vue des arbres en fleurs au printemps ou devant la beauté d’une plante. Mais existe-t-il dans le judaïsme un souci de la préservation de l’environnement?

Absolument. Et il y a un Midrach, l’un des textes du corpus rabbinique ancien, qui l’exprime bien : « Quand Dieu a créé Adam, il l’a conduit dans le jardin d’Eden au milieu de la végétation et lui a dit : « Regarde combien cette nature est belle et louable! Tout ce que j’ai créé, je l’ai fait pour toi. Penses-y, ne détériore ni ne détruis mon monde. Car si tu le gâches, il n’y aura personne pour réparer après toi. » 3

Quels sont les commandements qui vont dans ce sens?

Dans chaque parasha, passage de la Torah que l’on lit chaque shabbat, on peut trouver un enseignement en lien avec l’écologie ou ses préoccupations. L’association juive écologique « Canfei Nesharim »  4 s’efforce d’ailleurs de mettre régulièrement en évidence cette filiation. En ce qui me concerne, l’un de mes commandements « favoris » en la matière est celui que l’on nomme « Bal Tachh’it », l’interdiction du gaspillage. C’est un commandement que nos sages, ont tiré, par extension, d’une autre interdiction, elle aussi, à dimension écologique. En effet, il est prescrit lors du siège d’une ville de ne pas détruire les arbres fruitiers: « ce sont eux qui te nourrissent, tu ne dois pas les abattre. Oui, l’arbre du champ, c’est l’être humain même, tu l’épargneras dans les travaux du siège. » 5  Ne pas détruire, corrompre ou gaspiller peut revêtir plusieurs aspects que le Talmud développe. J’en donnerai un exemple, dans le domaine du recyclage, on fabriquait des mèches à partir des vêtements usés des Cohanim, les prêtres qui servaient dans le Temple de Jérusalem 6. Il me semble qu’autrefois, que ce soit dans les communautés juives ashkénazes ou sépharades, on était plus sensible à cet aspect des choses. On ne gaspillait ni vêtement ni objet, et l’on ne jetait surtout pas la nourriture.

On pourrait également citer le commandement de la « chemita », laisser en jachère sa terre en Israël tous les sept ans ou celui du Jubilée, le retour de la terre à son propriétaire initial tous les 50 ans  7.

Oui bien que certains experts en écologie s’interrogent aujourd’hui sur le fait de savoir s’il est bon de laisser la terre en jachère et s’il ne serait pas plus pertinent d’envisager une rotation des cultures. Mais le message que l’on peut entendre de ces commandements est bien celui de respecter la Terre. De surcroît, de nombreuses fêtes juives ont un aspect agricole; il y en a même une dédiée au Nouvel An des arbres, Tou Bi Chevat! L’une des raisons qui m’ont motivé pour créer Teva Québec est que j’avais célébré, il y a quelques années, à New York, une autre fête juive, Hoshana Rabba, durant la fête de Souccot. Nous étions, en souvenir de la cérémonie qui avait lieu autrefois au Temple de Jérusalem, connue sous le nom de Simehat Bat Ashoeva , au bord de l’Hudson pour protester alors en 1995 contre la pollution du fleuve engendrée par la General Electric.

Justement que faites-vous au sein de Teva Québec, cette association qui porte aussi comme nom « L’alliance juive pour l’environnement du Québec »?

Nous avons déjà à notre actif quelques initiatives et parfois au-delà du Québec. Ainsi, avec des élèves des écoles secondaires juives, nous nous sommes rendus à La Nouvelle-Orléans après l’ouragan Katrina. Et nous avions aidé, comme nous pouvions, notamment en plantant des tiges de roseau ou de bambou. C’était en 2010. Les étudiants avaient suivi au préalable des sessions au sujet de l’environnement et des possibilités d’agir ou de restaurer. Nous avions d’ailleurs reçu des bourses de la Fédération CJA de Montréal. En 2012, avec des étudiants juifs des Universités montréalaises, nous avions également exprimé notre solidarité après les incendies subis par les populations autochtones du nord du Canada, les tribus attikameks dans la réserve de Wemotaci.Nous avions planté des arbres là-bas. Plus récemment, nous nous sommes aussi manifestés et rendus sur place après les inondations au Québec. Nous nous sommes rendus à l’Île-Bizard et avons aidé des personnes de diverses manières. Nous avons aussi créé le marché fermier juif qui propose des produits bio et locaux. Et nous aimerions lancer « les repas de Souccot de 100 km » c’est-à-dire des repas qui n’utiliseraient que des produits venant de fermes locales, pas éloignées de plus de 100 km de Montréal. Enfin, chaque fête de la Reine, nous participons à des ÉcoActions dans le cadre d’un dialogue interreligieux.

Une autre obligation est de ne pas faire souffrir les animaux (« tsa’ar ba’alei ‘hayim »), en quoi consiste ce commandement?

Ce qui est incroyable et me rend assez fier de la tradition juive, c’est que nous avions cette sensibilité dans la Torah des siècles avant que l’Occident, par exemple, n’en prenne conscience. Car toutes les associations pour le droit des animaux ont commencé, il y a peu. Je citerai à titre d’exemples deux versets de la Torah, celui qui nous enjoint de donner à manger à son bétail avant de se nourrir et celui qui nous demande d’aider notre ennemi à décharger son âne si celui-ci ploie sous son fardeau. » 8

Considérez-vous que les règles d’abattage rituel de la cacherout respectent ce commandement de ne pas faire souffrir les animaux? Et pensez-vous qu’il serait préférable pour un Juif d’être végétarien?

Je suis un disciple du rabbin Zalman Schachter-Shalomi (1924-2014), alors j’adhère au principe de l’écocacherout qui fait le lien entre les règles de la cacherout (lois diététiques juives), abattage rituel (cheh’ita), les autres impératifs de la Torah comme le fait de ne pas faire souffrir un animal et les problèmes environnementaux, sociaux et éthiques modernes. Ainsi, Rav Zalman posait la question de savoir si c’était cacher de manger une viande même glatt cacher, correspondant à une norme encore plus élaborée de la cacherout, sur une assiette jetable en carton? Geste qui ne participe pas à la préservation de l’environnement. De nos jours, en Amérique du Nord, le rabbin et leader Arthur Waskow poursuit cette réflexion et ce mouvement qui s’est étendu aussi en Israël. Il y a, par exemple, là-bas, une association Uri L’Tzedek, qui ne délivre son certificat de cacherout, « Tav Ayocher » à des restaurants que si ces derniers, en plus du respect des règles de la cacherout, respectent les normes de travail en matière de sécurité, de paiement des heures supplémentaires, etc. 9

Concernant la souffrance des animaux, on peut effectivement s’interroger sur les conditions oppressives dans lesquelles on les élève parfois. Alors oui, l’animal peut être « cacher » pour la consommation, mais l’est-il alors qu’il aura subi tant de souffrances? Je voudrais sur ce point mentionner les recommandations de la professeure et experte en sciences animales Temple Grandin, et de son institut qui se sont penché sur le fait de savoir comment respecter la cacherout et ses règles d’abattage tout en tentant de ne pas faire souffrir les animaux 10.

En ce qui concerne la 2e partie de votre question, je crois que le végétarisme reste un idéal, mais il ne convient pas à tout le monde. Aussi je crois que l’on peut réduire son empreinte environnementale, quel que soit le mode alimentaire que l’on suit.

Est-ce que la conscience écologique est suffisamment développée au sein de nos communautés?

Malheureusement non, mais je vois plus d’intérêt parmi les jeunes. Cependant, il faut être conscient que pour combattre cette crise, il faut des efforts de tous et dans toutes les cultures. On ne peut pas rester indifférent et tranquille au regard de la gravité du problème. Que peut-on faire dans nos écoles et congrégations? Pas mal de choses… Faire un audit en conviant un expert en analyse environnementale qui recommandera les gestes qui permettront de respecter l’environnement et d’user de façon économe des diverses énergies. Instaurer un programme d’études qui reflètent ces préoccupations, livrer un message écologique à l’occasion des fêtes comme Tou Bishevat, etc.

L’urgence est telle en matière écologique que certains ont même un sentiment apocalyptique de fin des temps. Est-ce une vision juive?

Il est vrai que certains utilisent cette terminologie afin de mobiliser les consciences humaines. J’hésite à utiliser un langage apocalyptique, de plus grands que moi s’y sont risqués au cours des siècles et ils avaient tort. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut être conscient et préserver ce qui nous a été donné et que nous léguerons à notre tour. Selon le dernier rapport de l’ONU en 2019, un million d’espèces seraient menacées d’extinction sur un total de 8 millions et les conséquences seront terribles pour l’humanité. « Que tes oeuvres sont nombreuses, Éternel! Tu les as toutes faites avec sagesse. La terre est remplie de tes créations » s’exclame le psalmiste 11! ». Dans une génération ou deux, certaines de ces créations disparaitront – ça arrive déjà de nos jours – il en va donc de notre responsabilité.

Notes:

  1. https://www.facebook.com/groups/montrealopenshul/
  2. https://www.facebook.com/groups/30840162096/ ou https://www.facebook.com/ tevaquebec/
  3. Midrach Ecclésiaste Rabba 7, 13.
  4. http://canfeinesharim.org/
  5. Deutéronome 20,19
  6. Voir traité Soucca 5,3 du Talmud de Babylone.
  7.  Voir Lévitique 25 ; 4 et 10.
  8. Voir respectivement Deutéronome 11 ; 15 et Exode 23 ; 5
  9. http://utzedek.org/tav-hayosher/
  10. https://www.grandin.com/ritual/rec.ritual.slaughter.html
  11. Psaume 104, 24
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