ISRAËL – QUÉBEC, INFLUENCES ET ÉCHANGES CULTURELS
PAR ANNIE OUSSET-KRIEF
Annie Ousset-Krief était maître de conférences en civilisation américaine à l’Université Sorbonne Nouvelle à Paris. Elle réside maintenant à Montréal. Dans cet article, elle nous montre les échanges artistiques prolifiques entre le Québec et Israël.
Israël et le Québec ont établi des relations privilégiées depuis longtemps. Ainsi, le 11 décembre 2007, le Consul général d’Israël, Yoram Elron, et la ministre des Relations internationales, Monique Gagnon-Tremblay, signèrent l’Entente de coopération entre les gouvernements du Québec et d’Israël : c’était le renouvellement et l’élargissement d’une entente déjà conclue en 1997, qui s’appliquaient aux domaines commerciaux, scientifiques, et culturels. Les ententes bilatérales entre villes viennent renforcer la coopération : par exemple, une « Entente d’amitié et de coopération entre Tel-Aviv et Montréal » fut signée en octobre 2016 1. Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA) a joué un rôle important dans l’élaboration de partenariats.
Le consulat israélien à Montréal joue un rôle primordial dans ces échanges. Jonathan Burnham, le jeune et dynamique directeur des affaires culturelles du consulat depuis trois ans, revient sur les multiples projets aboutis et en cours. Sa mission est, me dit-il, de « faire connaître la culture israélienne sous toutes ses formes ». Son rôle consiste, entre autres, à inviter des artistes israéliens au Québec, à faire connaître ici la culture israélienne et à faciliter les contacts entre artistes, amorçant des projets en collaboration. Il organise également des missions pour des Québécois en Israël, financées partiellement grâce à l’entente entre les gouvernements québécois et israélien.
Le cinéma est au cœur des échanges artistiques. Il existe une entente de coproduction cinématographique entre Israël et le Canada depuis les années 1980 et Jonathan Burnham entend s’appuyer sur cette entente pour bâtir des projets, en particulier en lien avec le Festival international du Film de Haïfa. Ce Festival, qui se tient chaque année à l’automne depuis 1983, est une référence dans le monde du 7e art. Le film « Tel Aviv on Fire » réalisé par Sameh Zoabi, qui a emporté la compétition à Haïfa dans la catégorie Longs métrages, a été d’ailleurs présenté en octobre de cette année au Festival du nouveau cinéma (FNC) de Montréal. Le Consulat est partenaire de ce Festival montréalais depuis longtemps, car l’une de ses missions culturelles est de toucher un public plus large. Cette année, le Consulat a fait venir cinq réalisateurs israéliens de courts métrages de réalité virtuelle : Amir Feldman, Eran Shapira, Yair Agmon, Netalie Braun et Nimrod Shapira ont pu présenter leurs films devant le public nombreux du FNC. Le réalisateur israélien porteur du projet de coopération avec le FNC, Tal Michael Haring, a souligné l’importance de l’événement, qui a permis des prises de contact avec des responsables canadiens de l’industrie cinématographique et d’établir des liens avec l’Office national du film du Canada (ONF) et le Canada Media Fund (Fonds des médias du Canada).
Le Festival du Cinéma israélien de Montréal (FCIM) est un moment important dans le calendrier de l’art israélien à Montréal 2. Il est organisé par la Communauté Sépharade Unifiée du Québec (CSUQ) et se déroule depuis deux ans dans des salles du centre-ville. Ce changement de lieux a permis d’accroître la visibilité du festival et d’élargir son public. Son comité est présidé par Chantal et Gérard Buzaglo. Le festival rassemble chaque année depuis treize ans des milliers de cinéphiles impatients de visionner le meilleur du cinéma israélien. Une douzaine de longs métrages et autant de courts métrages sont présentés « en première » à Montréal et souvent exclusivement dans le cadre du FCIM. La plupart ont déjà été primés en Israël ou à l’étranger. Des acteurs et réalisateurs israéliens viennent ici présenter leur production. Cette année, l’ancien ministre Bernard Landry était le président d’honneur de ce festival unanimement salué pour sa qualité 3. Depuis neuf ans, le FCIM est aussi l’occasion de décerner le prix de la Fondation de Jérusalem du Canada 4à de jeunes étudiants en cinéma, réalisateurs de courts métrages, après une compétition organisée dans plusieurs écoles de cinéma en Israël. Les lauréats de 2018 étaient Einat Gaulan (Sam Spiegel Film and Television School), pour son film Next Stop, et Boris Haimov (Bezalel Academy of Arts and Design), pour son film Parallels. Le prix leur a été remis lors de la cérémonie d’ouverture et leurs films ont été projetés lors du festival 5.
Dans le domaine artistique, la danse occupe une place de choix. Jonathan Burnham inclut dans ses projets un soutien à la danse contemporaine. Il m’explique qu’aujourd’hui, on considère que tout ce qui compte dans le domaine de la danse se crée dans le triangle Tel-Aviv – Berlin – Bruxelles. Tel-Aviv a lancé il y a 23 ans l’International Exposure, un programme financé par le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Culture, qui est une plate-forme essentielle pour la danse. Tel-Aviv accueille et prend en charge financièrement des directeurs étrangers qui feront directement l’expérience de la danse israélienne. Cette année Marie-Hélène Julien, directrice générale adjointe du Groupe Danse Partout pour La Rotonde, à Québec, Dena Davida, cofondatrice de la compagnie Tangente, et Stéphane Labbé, directeur général et artistique de Tangente ont été choisis pour faire le voyage en Israël. Généralement, les participants reviennent avec des idées de spectacles. La biennale du CINARS, Conférence Internationale des Arts de la Scène 6, qui se tient en novembre, a d’ailleurs accueilli quatre chorégraphes et le directeur artistique de la compagnie de danse c.a.t.a.m.o.n de Jérusalem qui travaille avec la compagnie montréalaise Tangente.
Depuis quelques années, la Batsheva Dance Company est le meilleur ambassadeur de la culture israélienne. Sous la houlette du chorégraphe Ohad Naharin depuis 1990, cette compagnie se produit dans le monde entier et rencontre un succès exceptionnel. Elle s’est déjà produite trois fois à Montréal (dernière tournée en 2017) et sera de retour en 2019. Les Grands Ballets canadiens ont acheté les droits d’un spectacle de la Batsheva, « Minus One », et l’ont présenté en mars 2017. Ohad Naharin était resté quelques semaines avec les Grands Ballets pour les coacher. Comme le souligne Jonathan Burnham, la danse israélienne a été réellement mise à l’honneur – c’est une véritable force culturelle du pays. Ohad Naharin a révolutionné l’approche chorégraphique en créant une méthode spécifique, la méthode Gaga, un langage gestuel qui vise à libérer le mouvement et à redonner au corps sa spontanéité et son énergie. D’abord conçue pour les danseurs de sa troupe, il a mis au point une formation destinée à des danseurs professionnels qui l’enseigneraient eux-mêmes à d’autres. Ainsi Laura Toma 7 dirige un atelier Gaga à Montréal depuis cinq ans. Elle a été la première professeure certifiée au Canada – ils sont deux aujourd’hui, bientôt trois. Venus de tous les pays, les étudiants sélectionnés pour enseigner la méthode Gaga, reçoivent pendant un an à Tel-Aviv les enseignements des danseurs de la Batsheva et d’Ohad Naharin lui-même. Laura Toma m’explique à quel point sa pratique chorégraphique en a été transformée et loue la richesse culturelle de Tel-Aviv, une ville de possibilités, de liberté, où chacun s’assume et s’affirme. Le « hub » israélien, avec cette effervescence artistique, n’a pas son équivalent au Canada. Grâce à la formation de ces enseignants, Ohad Naharin parvient à transmettre sa technique et sa philosophie de la danse hors des frontières d’Israël. Laura Toma, ici à Montréal, est un vecteur d’une transmission culturelle particulièrement signifiante 8.
Le gouvernement israélien mise également sur la musique, avec des festivals consacrés au jazz et à la musique rock : c’est l’International Music Showcase Festival, qui permet d’introduire la musique israélienne aux représentants de l’industrie de la musique dans le monde. L’un des directeurs du Festival international de Jazz de Montréal a été ainsi invité en Israël. Le Festival international de Jazz de Montréal est l’un des plus grands partenariats entre le Consulat et la ville. Cette année, par exemple, deux artistes israéliens étaient au programme du Festival : le guitariste Gilad Hekselman et le pianiste Shai Maestro. Le consulat a aussi commandité le concert du Guy Mintus Trio à l’Upstairs Jazz Bar.
Dans le domaine de la littérature, la collaboration est importante et précieuse. Le Consulat travaille étroitement avec le festival Metropolis Bleu qui se tient en avril-mai à Montréal. Des auteurs majeurs, comme le poète Amir Or 9, Ruby Namdar 10, ou Ayelet Gundar-Goshen 11, ont donné lectures de leurs œuvres et conférences.
Le Festival Sefarad de Montréal, sous la présidence actuelle de Dave Dadoun, est l’un des moments phares de la vie culturelle de la communauté juive francophone, et aussi un événement artistique important dans la cité montréalaise. Organisé depuis trente-huit ans par la CSUQ, le Festival est aussi une vitrine pour la culture israélienne. Le spectacle d’ouverture de cette année 2018 a vu se produire le musicien et acteur israélien Tsahi Halevi, qui a notamment joué dans la série Fauda, et s’est achevé sur un concert de musique arabo-andalouse, avec la chanteuse israélienne Neta Elkayam et la chanteuse marocaine Abir El Abed 12.
À travers l’ensemble des échanges, la culture israélienne est très présente à Montréal 13. « La culture est l’une de nos meilleures vitrines », affirme Jonathan Burnham, qui a commencé à travailler sous le précédent Consul général d’Israël, Ziv Nevo Kulman, et œuvre actuellement sous l’égide de David Levy. Ces dernières décennies, Israël a acquis une place prééminente dans les domaines scientifique et technologique. Aujourd’hui, son rayonnement culturel ne cesse de croître. Montréal, métropole remarquable par son effervescence artistique, multiplie projets et collaborations avec Israël. Cette inflexion vers encore plus de coopération ne peut qu’être saluée par tous les amoureux d’Israël et du Québec.
Notes:
- Entente d’amitié et de coopération entre Tel-Aviv et Montréal, article 4. https://archivesdemontreal.ica-atom.org . Voir également, David Ouellette, « Israël a 70 ans : Des relations plus étroites que jamais entre le Canada, le Québec et Israël », LVS, septembre 2017. ↩
- Voir http://fcim.ca/ ↩
- Voir FCIM, LVS, septembre 2018 p 54 et Sylvie Halpern, « Une si belle histoire d’amour israélienne », LVS, Sept 2017, p 58-59. ↩
- La Fondation de Jérusalem du Canada se définit comme « une organisation indépendante apolitique dédiée à la collecte de fonds pour Jérusalem, ville unique et sainte ». https://www.jerusalemfoudation.org ↩
- Fcim.ca/short-films/ ↩
- Le CINARS est un organisme québécois de services dédié au soutien des arts. ↩
- Laura Toma, École de danse contemporaine de Montréal. https://www.edcm.ca/fr/lecole/equipe/laura-toma ↩
- Voir aussi le documentaire de Tomer & Barak Heymann, Mister Gaga, Israël (2015) diffusé par le FCIM en 2017 : http://fcim.ca/en/events/120/mister-gaga-fr/ ↩
- Amir Or, auteur de Le musée du temps, éditions de L’Amandier, janvier 2014. ↩
- Ruby Namdar, auteur de La maison de ruines (Belfond, septembre 2018). Conférence donnée au Musée du Montréal Juif, le 28 avril 2018. ↩
- « Hear the desert roar – a revealing journey through Israel’s backyard», conférence donnée le 22 avril 2018 à La Jewish Public Library. ↩
- Festivalsefarad.ca ↩
- Nous n’avons pas couvert dans le cadre de cet article le domaine des arts plastiques et du théâtre. Signalons toutefois des projets de coopérations avec des directeurs de festivals de théâtre. ↩
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