ISRAËL, LE LABORATOIRE DU MIEUX-VIVRE ENSEMBLE

PAR SYLVIE HALPERN

Sylvie Halpern

Sylvie Halpern a été toute sa vie journaliste en presse magazine. Elle a créé Mémoire vive, une entreprise de rédaction d’histoires de vie en publication privée.

Voilà déjà deux belles trouvailles israéliennes dans le domaine du sport, du chant et de la mémoire, mais il y aurait facilement pu en avoir 67 autres ! Car des Israéliens ont aussi l’art d’inventer de meilleures façons de se rapprocher. Et elles inspirent le monde entier.

Mamanet ou quand les mères s’amusent ensemble

Elle avait l’air radieuse, Ofra Abramovich, quand au printemps dernier, elle est venue d’Israël donner au Y (YM-YWHA) le coup d’envoi de la nouvelle antenne montréalaise de Mamanet! Il faut dire que si ce jeu social d’un autre type connaît ici le même succès qu’en Israël, il y a fort à parier qu’on en entende parler dans les chroniques sportives québécoises. Car on le sait toutes : c’est merveilleux d’être une mère, mais ce n’est pas facile tous les jours! Les repas, les devoirs, les douches, le mari (la belle-mère ), les activités des enfants, toutes les obligations… Faux! dit Ofra Abramovich : « Quand on veut vraiment trouver du temps pour soi, on le trouve! » Pourtant heureuse, à Kfar Saba, dans sa vie de « mère débordée » au foyer, elle a vu la lumière il y a 13 ans, un soir où elle accompagnait une de ses filles à son cours de danse : « Une maman m’a proposé de l’accompagner à une partie de « cachibol ». Évidemment, j’ai refusé – cachi-quoi? Je n’avais vraiment pas le temps pour ça! » Mais quand Ofra a quand même fini par aller voir, elle a adoré. Tout : sentir son corps et jouer tout simplement, sans esprit de compétition, partager une heure de plaisir et se retrouver en équipe comme quand elle avait 16 ans. Échanger, se faire de nouvelles copines – des femmes qui habitaient à 100 mètres de chez elle et à qui elle n’avait jamais parlé. Sortir de son traintrain et rire! « Alors moi, une mère lambda, je me suis dit que beaucoup de femmes aimeraient ça! »

Bien vu. Car aujourd’hui, dans 1 400 équipes d’Israël où le cachibol est devenu le plus gros sport amateur féminin, elles sont plus de 16 000 « mères débordées » à faire partie de MAMANET – une appellation astucieuse qui fait autant allusion aux mères qu’au filet de volleyball qu’au réseautage. Au début, à Kfar Saba, elles étaient une poignée à se retrouver le dimanche pour ces parties de volleyball d’un nouveau type où, contrairement aux règles traditionnelles, les joueuses peuvent tout à fait rattraper le ballon avant de le relancer à leur tour. Du coup, pas besoin d’être une athlète : les petites, les grosses, les sportives comme les plus intellectuelles peuvent s’en donner à cœur joie dans ces joutes amicales de six contre six où le score final compte moins que le plaisir de se faire du bien et de passer un bon moment ensemble. À sa création en 2005, Mamanet était réservé aux mères, aujourd’hui la ligue s’est ouverte à toutes les femmes de plus de 30 ans : « Aucune importance qui gagne, qui perd, dit Ofra. Après la partie, on danse et on rit ensemble, l’ambiance n’a rien à voir avec celle du sport professionnel! » 1.

Le cachibol de Mamanet est maintenant reconnu par la Fédération internationale du sport amateur. Mais le coup de génie d’Ofra a été de lier son réseau à celui des écoles où les mères se côtoient rarement, en dehors des présentations de début d’année et des voyages de classe de la fin. Si toutes les joueuses portent le même T-shirt, c’est chacune à l’effigie de l’école de ses enfants. Aujourd’hui, à travers tout Israël, les écoles – arabes, bédouines ou orthodoxes comprises – soutiennent fièrement leur équipe. Et, première pour un sport uniquement pratiqué par des femmes, une quinzaine de pays ont repris l’idée : aussi loin qu’en Inde, en Italie, aux Pays-Bas, en Suisse, à Chypre, en Autriche, en Espagne ou aux États-Unis, des mères s’affrontent joyeusement sur le terrain, sous les vivats de leur progéniture et de leurs maris. « Les mères, c’est bien connu, dit Ofra, ce sont les meilleurs supporters, celles qui encouragent leurs champions qui doutent, qui les accompagnent religieusement aux entraînements, qui portent leurs sacs et ne manquent pas un seul de leurs matchs. Et si c’était elles les super-athlètes à bichonner, celles devant qui tout le monde fait la ola? Pour une fois, c’est nous les stars à féliciter ! Et non seulement ça nous apporte un plus dans nos vies de mères, mais ça rejaillit sur toute la famille, sur toute la communauté alentour!. Car c’est une chose d’être vautrée sur le canapé et d’insister pour que les enfants délaissent leur console et aillent faire du sport. C’en est une autre de leur servir de modèle en leur montrant l’exemple – un rôle habituellement dévolu aux pères. Un exemple de dépassement et d’engagement qui va bien plus loin que la tension des muscles au gymnase. Au fond, Mamanet est plus qu’une activité sportive, c’est un état d’esprit, presque une philosophie de vie. Et la conviction qu’à l’heure du village global, on peut améliorer son quotidien et celui des autres en se connaissant, en communiquant, et en jouant ensemble… Du coup, gagnant du terrain, Mamanet est devenu un Facebook non virtuel. Et un véritable outil d’intervention sociale. En Israël, les membres accueillent des enfants en difficulté, jouent dans les prisons ou des foyers pour femmes battues. Font se rencontrer Juives et Palestiniennes pour se démystifier les unes les autres. Tout comme par exemple en Autriche où Mamanet a réuni dans la même ligue, locales et Syriennes réfugiées pour qu’elles apprennent à se regarder d’un œil différent.

C’est cet état d’esprit qui, en première canadienne, a commencé à gagner Montréal 2. Déjà pendant tout l’automne, des rencontres libres ont attiré un dimanche soir sur deux au Y des joueuses de plus en plus nombreuses. À l’invitation du Consulat d’Israël, Ofra Abramovich est revenue faire son tour début novembre, sérieusement flanquée cette fois de deux entraîneurs israéliens chargés d’en former d’autres ici. Et en janvier prochain, tout sera bien en place pour former une première ligue québécoise dont Mamanet espère bien qu’elle suscitera des émules dans les écoles – juives comme non-juives – de la province.

KOOLULAM ou l’émotion musicale en partage

Créer du lien, de la fraternité, du vivre-ensemble. Partager des moments forts! C’est exactement aussi ce que fait KOOLULAM, le nouveau phénomène qu’Israël connaît depuis deux ans et qui, abondamment relayé par les réseaux sociaux, est en train de séduire la planète. Ici, pas question de sport, on parle musique ! Chaque occasion chargée d’émotion et bien ciblée est bonne – comme le jour de la commémoration de la Shoah ou au printemps dernier, les célébrations entourant le 70e anniversaire de l’État. Et devient un formidable prétexte pour réunir en un rien de temps des milliers de personnes qui ne se connaissent pas et les faire chanter ensemble. Car les participants à ces vastes chorales improvisées arrivent de tous les horizons – hommes, femmes, enfants, jeunes ou vieux – et ont en règle générale moins d’une heure pour apprendre le morceau choisi. Et quand on regarde attentivement les vidéos qui en sont captées sur Internet, qu’on voit tous ces visages graves ou radieux, on est ému jusqu’à vouloir faire aller, comme eux, sa propre voix le plus loin possible. Avec autant de ferveur qu’une prière 3.

Une bonne chanson partagée dans les bonnes circonstances peut facilement mener à la communion. Alors pourquoi ne pas rassembler des milliers d’inconnus et entendre s’élancer sur tous les tons la voix de la condition humaine? C’est sans doute ce que se sont dit il y a deux ans à Jérusalem Or Taicher, Michal Shahaf Schneiderman et Ben Yefet, les trois fondateurs de Koolulam. En un rien de temps, la mayonnaise a pris et le pari fou de faire chanter avec le minimum de préparation – donc le maximum d’authenticité – des gens qui ne se connaissent ni d’Ève ni d’Adam – a formidablement réussi.

Il suffit maintenant que Koolulam – une combinaison réussie des trois mots hébraïques koolam (chacun), kol (la voix) et olam (le monde) – cible un événement et l’annonce sur ses réseaux pour qu’en quelques minutes, tous les billets de participation à la chorale soient vendus (pour moins de 40 shekels, soit environ 15 $ canadiens). Ainsi, pour Yom Haatzmaout, l’anniversaire d’Israël, sa journée d’indépendance, les organisateurs ont réussi à faire surgir en un rien de temps à Tel-Aviv leur plus gros concert improvisé : quelque 12 000 chanteurs spontanés ont interprété Al Kol Eleh (Pour toutes ces choses), une chanson-culte pour tous les Israéliens composée par Naomie Shemer 4… Et à l’événement que Koolulam a organisé pour Yom Hashoah (journée commémorative de l’Holocauste) – de concert avec Zicharon BaSalon, La mémoire dans le salon, une autre initiative israélienne 5 – ce sont des survivants accompagnés de leurs enfants et de leurs petits-enfants qui ont chanté ensemble Ani Od Chai (Je suis toujours vivant) au Centre Beit Avi Chai de Jérusalem 6. Peu importe, à la limite, que les participants chantent bien ou pas. L’idée n’est pas de découvrir des vedettes, mais de ne plus faire qu’un. Parce qu’ils livrent tous les jours le même combat, Koolulam a par exemple rassemblé dans un même élan les médecins, les infirmières, les patients et leurs familles du plus gros hôpital d’Israël, l’hôpital pour enfants Shneider de Petah Tikva. Et dans le port de Haïfa, en février dernier, ses organisateurs ont fait entonner à 3 000 participants juifs, chrétiens et musulmans, One Day du chanteur hassidique reggae Matishyahou… Un choix réussi qui souligne à quel point la chanson retenue est essentielle. Non seulement parce qu’il faut la réorchestrer pour faire alterner trois groupes de voix, mais pour qu’elle fasse vibrer tout le monde.

La voix de Koolulam commence déjà à porter jusqu’à Montréal. Le 17 mai dernier, près de 400 personnes se sont réunies en primeur à la synagogue Beth Tikvah de Dollard-des-Ormeaux. Comme en Israël, ils ont eu à peine plus d’une demi-heure pour apprendre les paroles de la chanson Hallelujah. Mais leurs visages radieux qui circulent maintenant sur YouTube en disent bien plus long que tous les mots.

 

Notes:

  1. Pour avoir une meilleure idée de ce à quoi ressemble le cachibol, voir la vidéo : https://youtu.be/zOwDBZqBGvQ; CBerlin@ymywha.com
  2. Pour jouer – et créer du lien ! -, il vous suffit de contacter Carly Berlin au Y : 514 737-6551, poste 215 ou cberlin@ymywha.com. Nous remercions Julie Cohen-Bacri d’avoir attiré notre attention sur la création de Mamanet à Montréal.
  3. Regardez par exemple https://youtu.be/TZzK29_V8jQ
  4. Voir https://youtu.be/oxzR9Z-kG6Q
  5. Initiée en 2010 par une jeune entrepreneure sociale israélienne, Adi Altschuler, cette initiative réunie pour Yom Hashoah des milliers de personnes qui se rassemblent par petits groupes dans des maisons privées. Non seulement en Israël, mais aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne ou au Kenya. Ils parlent, questionnent, lisent un poème, chantent ou prient. Et écoutent surtout attentivement, humainement – de la bouche à l’oreille, de toi à moi – un témoignage sur cette époque maudite.
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