RENCONTRE AVEC PHILIPPE COUILLARD, PREMIER MINISTRE DU QUÉBEC ET CHEF DU PARTI LIBÉRAL DU QUÉBEC

PAR ELIAS LEVY

P.M. Philippe Couillard

Elias Levy

Elias Levy

« UN BUREAU DU QUÉBEC OUVRIRA PROCHAINEMENT SES PORTES EN ISRAËL »

« LES SÉPHARADES SONT UN MODÈLE D’INTÉGRATION POUR LES NOUVEAUX ARRIVANTS »

Un Bureau du Québec sera inauguré prochainement en Israël, nous a confirmé le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, au cours d’une entrevue qu’il a accordée à La Voix Sépharade en juillet de cette année. Cette rencontre, qui s’est tenue au bureau du premier ministre du Québec à Montréal, a été aussi l’occasion pour Philippe Couillard de faire le point sur les enjeux et les défis auxquels le Parti libéral du Québec (PLQ) est confronté en cette année électorale. Les élections générales auront lieu au Québec le 1er octobre. Les libéraux sont à la traîne dans les sondages. Remonter la pente, toute une gageure.

À quelques semaines des élections, les sondages sont unanimes : la Coalition Avenir Québec (CAQ) est nettement en avance. Croyez-vous que le PLQ pourra renverser cette perspective qui, au premier abord, paraît inéluctable?

En 2014, nous avons démarré la campagne électorale avec neuf points de retard. Pourtant, celle-ci s’est conclue par une victoire majoritaire en faveur du PLQ. Les sondages on les regarde, mais on n’y accorde pas beaucoup d’importance. On se fie beaucoup plus à ce que nos députés nous relatent et à ce que les Québécois et les Québécoises que nous rencontrons sur le terrain nous disent. Oui, nous faisons face à des défis. Mais je crois que nous sommes dans la bonne direction.

Comment comptez-vous convaincre les Québécois pour qu’ils vous accordent de nouveau leur confiance le 1er octobre prochain?

Nous allons bien sûr parler, mais pas uniquement, du bilan des quatre années de mandat qui viennent de s’écouler. Un bilan de grande qualité, particulièrement dans les domaines des finances publiques et de l’économie : quatre budgets équilibrés de suite, la diminution de la dette et des paiements d’intérêts inhérents à celle-ci, la création d’emplois à un niveau plus important qu’ailleurs, la croissance des salaires, la baisse du nombre d’assistés sociaux… Tout cela rend possible des investissements dans la santé, l’éducation et les services publics. Nous allons aussi faire des propositions aux Québécois qui répondent concrètement à leurs soucis réels quotidiens. Un autre élément que nous allons souligner est l’incertitude qui règne dans les milieux économiques et dans les échanges commerciaux depuis que le président Donald Trump a décidé de hausser les tarifs douaniers américains. Nous allons rappeler aux Québécois qu’il serait plus sage de garder au pouvoir une équipe expérimentée pour faire face à ces mers agitées au cours des prochaines années.

Aux yeux d’une majorité de Québécois, l’un des points les plus faibles, et des plus controversés, de votre bilan gouvernemental est la gestion de notre système de santé. Quel bilan faites-vous de votre action dans ce dossier épineux?

La santé est un dossier toujours très difficile parce que, par définition, les ressources sont limitées par rapport à l’immensité des besoins. Mais si on regarde objectivement ce que mon gouvernement a accompli depuis 2014, on constate que la majorité des indicateurs du système de santé se sont améliorés. Plus d’un million de Québécois qui n’avaient pas un médecin de famille en ont désormais un, une baisse sans précédent du temps d’attente dans les urgences, l’ouverture de nouvelles cliniques sur tout le territoire québécois accessibles sept jours par semaine, douze heures par jour, une baisse des prix des médicaments. Il y a bien longtemps que je n’avais pas vu une baisse de la prime d’assurance médicaments. Si on regarde objectivement les choses, on peut dire : le système de santé québécois n’est pas parfait, Dieu sait qu’il faut continuer à travailler, mais il est nettement dans la bonne direction, celle de l’amélioration continue.

Nombreux sont ceux, point de vue largement partagé aussi par vos adversaires politiques, notamment le chef de la CAQ, François Legault, et le chef du Parti québécois (PQ), Jean-François Lisée, qui estiment qu’au lieu de hausser substantiellement les salaires des médecins, les sommes allouées à ces augmentations de rémunération auraient dû être réinvesties dans des services essentiels, où l’on a sabré les budgets ces dernières années : soins à domicile pour les aînés, offre de soins de première ligne…

Il n’y a pas eu de sabrages dans les budgets. Il y a eu un ralentissement de la croissance des budgets. Sous la gouverne du PLQ, aucun budget ministériel n’a diminué. Il faut le rappeler constamment. Dans une expérience préalable de retour à l’équilibre budgétaire, sous l’égide d’un autre parti politique, le PQ, il y a vraiment eu une amputation majeure des budgets. L’entente que nous avons signée avec les médecins ne comporte aucun argent neuf. Il s’agissait simplement de redistribuer ce qui était déjà convenu dans l’entente qui liait depuis des années l’État québécois aux médecins. François Legault peut claironner qu’il déchirera cette entente, mais ce n’est pas si simple que ça parce qu’une telle initiative mettrait à risque les finances publiques du Québec de plusieurs centaines de millions, sinon plus. En fait, les médecins ont laissé sur la table plus de trois milliards de dollars. Bien sûr ils sont bien rémunérés, j’en conviens, je suis le premier à le reconnaître. Mais il faut faire attention avec les comparaisons avec l’Ontario parce que la convention liant les médecins de cette province au gouvernement ontarien est échue depuis 2014. Personne ne sait quel est le niveau actuel de rémunération des médecins ontariens. Je crois que tout le monde peut s’entendre sur le fait que ce rattrapage salarial a permis de faire baisser le poids de la rémunération des médecins dans le système de santé. Désormais, nous avons des marges de manœuvre disponibles pour les soins à domicile, l’amélioration de la qualité du travail réalisé par les infirmières, les services pour la jeunesse, qui sont également prioritaires.

En ce qui a trait à l’immigration, selon le chef du Parti québécois (PQ), Jean-François Lisée, environ 50 % des nouveaux immigrants n’ont aucune connaissance du français. Il suggère fortement que le gouvernement québécois prenne des mesures pour que le processus de francisation des nouveaux immigrants soit amorcé dans leur pays d’origine, avant leur venue au Québec. Quelle est votre position dans ce dossier important?

L’immigration est un énorme actif pour le Québec. D’après une étude récente, 50 % des emplois créés depuis 2006 ont été occupés par de nouveaux arrivants. Ça veut dire que sans ces nouveaux immigrants, on n’aurait pas le niveau de performance économique que nous connaissons actuellement. Il faut rappeler qu’historiquement, l’immigration au Québec est une réussite. La communauté sépharade est un exemple patent de cette réussite. Les Sépharades se sont parfaitement bien intégrés dans la société québécoise. Aujourd’hui, ils sont un modèle d’intégration pour les nouveaux arrivants. Quand on est dans une situation de pénurie de main-d’œuvre, comme c’est le cas aujourd’hui, suggérer, comme le fait François Legault, une baisse de l’immigration, ce n’est pas responsable comme proposition, c’est antiéconomique. Quant à la proposition de Jean-François Lisée de faire passer aux immigrants des tests de valeurs québécoises, c’est une idée abracadabrante, dont j’espère ne plus entendre parler.

Il est vrai que les immigrants ne parlent pas tous le français à leur arrivée au Québec. Mais, le français, ça s’apprend! Quand Carlos Leitao, notre ministre des Finances, est arrivé du Portugal à l’âge de 19 ans, il ne parlait pas beaucoup français. Regardez-le aujourd’hui. Dans nos derniers budgets, nous avons débloqué des fonds importants pour les programmes de francisation. Une autre de nos priorités est que la francisation se fasse aussi dans les entreprises. La meilleure voie d’intégration pour un immigrant est certainement l’emploi. Plutôt que de retarder l’arrivée d’un immigrant sur le marché de l’emploi, il faut au contraire accélérer celle-ci en permettant que sa francisation s’opère aussi sur son lieu de travail.

La loi 62 sur la neutralité religieuse que votre gouvernement a promulguée a été vivement critiquée. Votre position sur la très sensible question de la laïcité a-t-elle évoluée depuis?

Notre proposition sur cette question est finalisée. Depuis 2012, on a accompli exactement ce qu’on avait dit qu’on ferait. On n’a jamais changé de position. On a dit aux Québécois qu’on affirmerait dans une loi la neutralité religieuse de l’État, ce qui est différent de la laïcité, et qu’on enclaverait les demandes d’accommodements avec des critères qui permettront aux gestionnaires de prendre des bonnes décisions pour que ces accommodements demeurent raisonnables. On préconise que les services publics soient donnés ou reçus à visage découvert. Cette question spécifique fait l’objet de contestations judiciaires, c’était prévisible. On verra ce que les tribunaux décideront. En ce qui a trait aux questions de la neutralité religieuse de l’État et de l’encadrement des demandes d’accommodements, on a fait exactement ce qu’on avait dit. Nous nous opposons à toute interdiction de port de signes religieux, que ce soit la Kippa pour les personnes de religion juive ou la Croix pour les Chrétiens. Tant que les gens ne font pas du prosélytisme, ça ne nous pose aucun problème. Ça a toujours été notre position et on ne la changera pas.

Comment qualifieriez-vous vos relations avec la communauté juive et les autres communautés culturelles québécoises?

Ces relations sont bonnes et respectueuses. Dans la récente politique culturelle du Québec, on insiste beaucoup pour que la culture québécoise ne soit pas uniquement celle de la majorité francophone de souche, mais également celle des Québécois de langue anglaise et des autres communautés, comme la communauté juive, dont la tradition culturelle est immense et très riche. Il faut que la contribution importante de ces communautés au développement du Québec soit aussi mentionnée dans les manuels scolaires.

Si vous êtes réélu, un nouveau gouvernement du PLQ continuera-t-il à financer le réseau des écoles privées confessionnelles? La CAQ est favorable, mais le PQ préconise la fin de ce financement.

Oui, à condition que ces écoles suivent le programme éducatif édicté par le ministère de l’Éducation du Québec. C’est ce qu’elles font actuellement. Nous on croit à la possibilité pour les parents d’avoir des choix de milieux d’enseignement spécifiques, mais toujours sous l’ombrelle du programme éducatif du Québec.

Quelle est la position du PLQ et de votre gouvernement face à la campagne BDS, qui prône le boycott économique d’Israël?

Je suis totalement opposé à ce type de campagne. L’année dernière, je me suis rendu dans les Territoires palestiniens. Est-ce qu’il y a des griefs légitimes de la part des Palestiniens? Probablement, mais ce n’est sûrement pas avec une campagne comme BDS qu’on trouvera des solutions aux problèmes.

Vous avez été le premier Premier ministre du Québec à effectuer, au printemps 2017, un voyage officiel en Israël. Vous étiez à la tête d’une importante délégation d’hommes et de femmes d’affaires québécois. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de votre séjour en Israël?

C’était ma troisième visite en Israël. La première fois, j’y suis allé à titre privé, avec ma famille, quand je travaillais au Moyen-Orient. Je m’étais alors rendu en auto jusqu’en Jordanie, d’où j’ai traversé le pont Allenby pour me rendre à Jérusalem. Lors de mon deuxième séjour, j’étais ministre de la Santé du Québec. Je me suis familiarisé avec le système de santé israélien et j’ai visité les principaux centres hospitaliers du pays. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour Israël et le peuple israélien qui tout en vivant dans un contexte d’insécurité constante ont réussi à bâtir un pays démocratique, il n’y en a pas beaucoup dans la région, et une économie prospère, et surtout innovante. Quand on visite Israël, on est frappé par le fait que l’innovation est perméable à tous les secteurs de la société. Israël a bâti un très beau modèle économique. Un des résultats de mon dernier voyage en Israël est qu’un Bureau du Québec ouvrira prochainement ses portes dans ce pays. Les démarches sont en cours.

Ce nouveau Bureau sera certainement un atout pour promouvoir les relations entre Israël et le Québec dans divers domaines.

Oui. La présence d’un Bureau du Québec en Israël facilitera certes la mise en contact entre des entreprises québécoises et des entreprises israéliennes. Par exemple, une entreprise québécoise pourra bénéficier de l’aide de professionnels d’Investissement Québec, qui seront sur place à Tel-Aviv, pour favoriser les transactions commerciales. Par ailleurs, des entreprises israéliennes s’apprêtant à visiter le Québec pourront aussi compter sur le soutien du Bureau du Québec en Israël qui les aidera à planifier un programme de visites et de rencontres avec des dirigeants d’entreprises québécoises. La même chose pour les universités. On ne parle pas assez de l’importance des échanges académiques entre les universités d’Israël et du Québec

Si vous n’êtes pas réélu le 1er octobre prochain, votre successeur pourrait-il remettre en question votre décision d’ouvrir un Bureau du Québec en Israël?

J’espère bien que nous serons au pouvoir après le 1er octobre. Ce sera la façon la plus simple de s’assurer que ce Bureau du Québec en Israël sera bientôt fonctionnel. Vous demanderez à mes collègues des autres partis politiques ce qu’ils comptent faire de ce dossier. Nous on pense que ce Bureau est important pour le Québec et pour Israël, qui ont toujours eu des liens très forts que nous devons continuer à renforcer, notamment au niveau des relations économiques, des échanges d’étudiants, de la coopération scientifique entre les chercheurs israéliens et québécois…

Comment envisagez-vous les perspectives des relations israélo-québécoises?

Les perspectives sont très prometteuses. Lors de ma dernière visite en Israël, des firmes israéliennes innovantes ont manifesté beaucoup d’intérêt pour le travail qui est réalisé à Montréal dans le domaine de l’Intelligence artificielle par des chercheurs renommés. Il y a un grand potentiel de coopération, surtout dans des secteurs clés : la haute technologie, l’informatique, les technologies numériques, la cybersécurité. En Israël, j’ai visité le centre de cybersécurité. Ce pays subit chaque année de nombreuses attaques cybernétiques. Au Québec, ce qui est moins connu, Hydro-Québec est aussi l’objet chaque année de beaucoup d’agressions informatiques. Le Québec et Israël peuvent donc combiner leurs compétences pour accentuer la sécurisation de leurs réseaux informatiques. Les assises de la coopération israélo-québécoise dans divers domaines sont très solides.

À l’aube des élections générales, avez-vous un message à transmettre aux membres de la communauté juive?

Qu’Israël et le Québec sont des amis depuis toujours, et le resteront. Les Québécois et les Israéliens continueront à travailler ensemble pour assurer la prospérité de leurs nations et de leurs États respectifs. L’ouverture prochaine d’un Bureau du Québec en Israël est vraiment le signal d’une ère de développement rapide de cette relation qui est très importante pour moi, pour l’ensemble de mon gouvernement et pour ma formation politique.

 

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