MONTRÉAL – JÉRUSALEM : FAIRE SON ALIYAH *

PAR ANNIE OUSSET-KRIEF

Annie Ousset-Krief

Annie Ousset-Krief

Annie Ousset-Krief  était Maître de conférences en civilisation américaine à l’Université Sorbonne Nouvelle à Paris. Elle réside maintenant à Montréal.

Ils ont quitté le Canada pour s’installer en Israël, concrétisant ainsi leur rêve sioniste. Mais leur nombre est peu élevé : environ 8 000 Juifs canadiens ont fait leur aliyah au cours des 25 dernières années. Ce faible chiffre n’est pas exceptionnel pour le monde occidental – à l’exception de la France, qui fournit le plus gros contingent d’olim 1 (immigrants). Mais les actes antisémites violents expliquent sans aucun doute le désir des Juifs français de s’installer en Israël.

Émigrer n’est pas chose facile : la question de la langue, d’abord. Et la reconnaissance des diplômes et formations professionnelles constitue des obstacles qu’il n’est pas toujours aisé de surmonter. Le processus est facilité par l’Agence Juive pour Israël et Nefesh B’ Nefesh (NBN), une ONG qui travaille en collaboration avec l’Agence Juive pour encadrer l’aliyah en provenance des États-Unis et du Canada.

Fondée en 2001 par le rabbin Yehoshua Fass et l’homme d’affaires et philanthrope Tony Gelbart, l’association Nefesh B’ Nefesh accompagne les postulants au départ dans leurs démarches. L’organisme définit sa mission en ces termes : « la mission principale de Nefesh B’Nefesh est de revitaliser l’aliyah et d’accroître substantiellement le nombre des futurs olim, en réduisant les obstacles professionnels, logistiques et financiers qui empêchent de nombreux individus d’accomplir leurs rêves 2. »

Dans son entreprise sioniste, l’organisme effectue un travail considérable, d’une utilité reconnue. Le partenariat avec l’Agence Juive pour Israël fut établi en août 2008. Tout le processus de préparation à l’aliyah en Amérique du Nord se fait sous l’égide de Nefesh B’Nefesh mais l’Agence Juive reste la seule autorité à décider de l’admissibilité des futurs immigrants. L’organisation, officiellement reconnue par le gouvernement israélien, bénéficie de son soutien financier : entre 2005 et 2012, le gouvernement a accordé à Nefesh B’Nefesh 95 % du budget consacré à la promotion de l’aliyah, soit 30,7 millions de dollars sur un total de 33 millions de dollars 3. Selon le rabbin Yehoshua Fass, fondateur et directeur général de Nefesh B’Nefesh, l’aliyah en provenance d’Amérique du Nord avait trouvé un nouvel élan : « nous sommes maintenant à un carrefour, où l’aliyah est devenue courante et où les olim ont un système de soutien ferme et solide, grâce à Nefesh B’Nefesh et à tout un réseau d’olim nord-américains qui ont bien réussi et sont parfaitement intégrés 4. Le moment est venu d’être proactif et d’encourager les Juifs d’Amérique du Nord à venir construire leur vie en Israël 5. »

Depuis 2002, Nefesh B’Nefesh a ainsi aidé à l’aliyah de plus de 50 000 personnes en Amérique du Nord. Contacts en ligne, téléphoniques, ou ateliers organisés dans différentes villes (des représentants de Nefesh B’Nefesh étaient à Montréal en mars dernier), toute une panoplie de moyens est mise à la disposition des candidats au départ. Le site de l’association, extrêmement bien conçu (« petit bémol » pour les francophones : tout est en anglais), détaille les démarches à accomplir – depuis la prise de décision jusqu’au départ. Ce qui transparaît, c’est le degré de préparation requise : six à huit mois au minimum, afin de garantir le succès de l’émigration. Cinq étapes sont définies : 1. établir une demande conjointe Nefesh B’Nefesh – Agence juive pour Israël, 2. entretien avec un représentant de l’Agence Juive, 3. approbation par l’Agence juive, selon les critères déterminés par le gouvernement israélien, 4. octroi du visa de l’aliyah, valable 6 mois, 5. enfin, le vol Aliyah : vol aller gratuit pour Israël. L’été, des vols nolisés sont affrétés, regroupant tous les olim, et une cérémonie d’accueil a lieu à leur arrivée à l’aéroport Ben Gourion. D’autres vols sont possibles tout au long de l’année, les olim présents parmi les passagers sont alors encadrés par des agents de Nefesh B’Nefesh. L’organisation procure également une assistance financière, quand cela est nécessaire.

Vol du 3 juillet 2018 Nefesh B’Nefesh

Après l’aliyah, Nefesh B’Nefesh continue à assister les immigrants, notamment pour trouver des oulpanim (cours d’hébreu), des écoles pour les enfants, et pour faciliter l’accès à l’emploi. L’association a récemment ajouté un site pour la recherche d’emploi : www.nbn.org.il/jobboard. À ce jour, le site présente des annonces pour plus de 1 000 emplois dans 280 entreprises à travers le pays.

Une partie de ces nouveaux immigrants sont des jeunes gens prêts à rejoindre l’armée israélienne, appelés les « lone soldiers », soldats isolés, car ils émigrent sans leur famille. Nefesh B’Nefesh travaille en collaboration avec FIDF (Friends of the Israel Defense Forces) pour guider, aider, les jeunes gens qui se sont engagés. En 2013, selon le porte-parole de Tsahal, sur 4 000 « lone soldiers »,139 étaient Canadiens 6. Ils sont pris en charge par des familles israéliennes, s’inscrivent à des oulpanim pour apprendre l’hébreu, avant d’être intégrés dans les rangs de l’armée.

Les derniers chiffres fournis par l’Agence Juive 7 indiquent qu’entre 2012 et 2017, 1 746 Canadiens ont émigré en Israël – environ 300 par an. Et des Canadiens déjà installés en Israël ont opté pour la naturalisation  : 606 pour ces mêmes années. 33 % des olim venaient de Montréal, 40 % de Toronto et seulement 3 % de Vancouver. Les 24 % qui restent se répartissent entre Québec, et d’autres villes en Ontario, en Alberta et au Manitoba. Ces olim se caractérisent par leur jeunesse, en effet 42 % ont entre 19 et 35 ans, 22 % ont moins de 18 ans et accompagnent donc leurs parents. Les 35-55 ans ne représentent que 16 %. De manière intéressante, la proportion de retraités (ou en préretraite), 55 ans et plus, est plus importante, avec 20 % du total. Beaucoup viennent rejoindre leurs enfants déjà installés en Israël.

Après l’aliyah, que deviennent ces Juifs canadiens qui ont pris le risque de l’émigration?

Ils ont dans l’ensemble réussi, dans tous les domaines d’activités 8. Parmi les personnalités les plus connues figure la gouverneure adjointe de la Banque d’Israël depuis 2014, Nadine Baudot-Trajtenberg, native de Montréal, qui fit son aliyah en 1985. Une députée du Likoud, élue en 2015, Sharren Haskel, est née à Toronto. Ses parents ont émigré en Israël alors qu’elle avait un an. Autre personnalité : l’avocate et ancienne ambassadrice du Canada en Israël de 2014 à 2016, Vivian Bercovici, originaire de Toronto, qui est restée en Israël à la fin de son mandat. Dans le domaine artistique, quelques célébrités également : Aharon Harlap, pianiste, compositeur, chef d’orchestre, récompensé par de nombreux prix, est originaire de l’Ontario (Chatham). Il s’installa en Israël en 1964. Dans le domaine sportif, le Montréalais Sylvan Adams, champion cycliste et promoteur immobilier richissime, a immigré en 2016. Il a créé à l’université de Tel-Aviv un institut de formation sportive, le Sylvan Adams Sports Excellence Institute : son but est d’engager Israël dans la voie de l’excellence sportive, un atout pour donner une image positive du pays à l’étranger.

Parmi les personnalités religieuses influentes, citons le rabbin David Hartman (1931-2013). D’origine américaine (il fut ordonné rabbin à la Yeshiva University et étudia la philosophie à l’Université Fordham), il s’installa à Montréal en 1960, où il dirigea la congrégation Tiferet Beit David Jérusalem jusqu’en 1971, date à laquelle il fit son aliyah. Il fonda le Shalom Hartman Institute à Jérusalem en 1976, un important centre d’études et de recherches juives. Il enseigna la pensée et la philosophie juives plus de vingt ans à l’Université Hébraïque de Jérusalem et fut également conseiller auprès de plusieurs ministres dans les domaines du pluralisme religieux en Israël et des relations entre la diaspora et Israël 9 .

« J’encouragerais les gens à venir  », déclarait récemment Nadine Baudot-Trajtenberg au Canadian Jewish News 10. « Ils trouveront une société extraordinaire, dynamique. Les défis sont immenses, mais la flexibilité de la société est remarquable. Et les avantages sont là. » Une opinion que beaucoup partagent.

Le shana aba be Yerushalaim ? 11

 

*Aliyah : le mot signifie « ascension », et a une origine religieuse. Par exemple, les fidèles appelés à la bimah (au pupitre) pour lire la Torah font une aliyah spirituelle.

Notes:

  1. Pour les seules années 2014 et 2015, 15 200 Juifs français ont émigré en Israël. Près de 40 000 ont fait leur aliyah depuis 2006. Chiffres communiqués par l’Agence juive. Voir http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2017/01/09/97001-20170109FILWWW00188-5000-francais-juifs-ont-emigre-en-israel-en-2016.php
  2. Cf. www.nbn.org.il
  3. Chaim Levinson, « State Comptroller : Nefesh B’Nefesh Receiving 95 % of State-allocated Aliyah Funds ». Haaretz, 14 mai 2014.
  4. Citons par exemple l’Association of Americans and Canadians in Israel, créée en 1951 pour renforcer les liens entre Israël et les communautés juives d’Amérique du Nord, et assister les olim dans leur adaptation à leur nouveau pays.
  5. Michael Freund, « Up Close with Rabbi Yehoshua Fass », Jewish Action, 2008.
  6. Louis-Philippe Bourdea , « Ces Québécois qui s’enrôlent en Israël », La Presse, 10 août 2014.
  7. Chiffres fournis par Veronica Atanelli, directrice des Services de l’Aliyah au Canada pour l’Agence Juive lors d’un entretien et échange de correspondance réalisés par courriel en juillet 2018.
  8. « The expat experience. The successes and challenges of Canadians who’ve moved to Israel », Ron Scillag, Canadian Jewish News, 02.11.2017.
  9. Cf. https://hartman.org.il
  10. Ibid note 9
  11. L’an prochain à Jérusalem
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