ENTREVUE AVEC DAVID LEVY, CONSUL GÉNÉRAL D’ISRAËL À MONTRÉAL

PAR ELIAS LEVY

David Levy

Elias Levy

Elias Levy

Entré en fonction en février dernier, David Levy est le nouveau Consul général d’Israël à Montréal et pour les provinces maritimes. Il est aussi le représentant officiel d’Israël auprès de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI ), une agence de l’ONU dont le siège central est établi à Montréal. Il succède à Ziv Nevo Kulman. Né à Lod, en Israël, il y a 43 ans, il a grandi à Rehovot. Son père, médecin, décédé, était un Sépharade natif de Marrakech. Sa mère, Ashkénaze, est née à Paris de parents originaires de Pologne. Son grand-père maternel a été exterminé par les nazis au camp d’Auschwitz-Birkenau. « Je suis issu d’un couple culturellement « mixte ». Mes racines identitaires doubles, sépharades et ashkénazes, constituent pour moi une grande richesse. Mes parents, qui se sont connus en Israël dans les années 60, ont été des pionniers des mariages « mixtes » , qui à l’époque étaient une exception. Aujourd’hui, en Israël, ceux-ci sont légion. Les nouvelles générations de Sabras ont plusieurs origines culturelles. C’est indéniablement l’un des signes patents de la grande évolution que la société israélienne a connue depuis 1948 », nous a dit David Levy en entrevue.
Diplômé en droit de l’Université de Tel-Aviv et membre du Barreau d’Israël —il n’a jamais exercé le métier d’avocat—, David Levy est un diplomate de carrière depuis seize ans. Avant d’être nommé à Montréal, il a été conseiller politique auprès du Département responsable des organisations internationales et des droits de l’homme au ministère israélien des Affaires étrangères et a assumé des fonctions majeures aux Ambassades d’Israël au Cameroun, en Lettonie et en Corée du Sud. La Voix Sépharade a rencontré David Levy à son bureau, au Consulat général d’Israël, en juin 2018.
Elias Levy est journaliste à l’hebdomadaire The Canadian Jewish News (CJN).

Quelles sont vos impressions sur vos premiers mois à Montréal ?

C’est mon premier séjour à Montréal et au Québec. Mes impressions sont très positives. Je suis heureux et privilégié d’être en poste à Montréal, une ville somptueuse. J’ai découvert aussi la merveilleuse, généreuse et très bien organisée communauté juive de Montréal, dont le vigoureux soutien à Israël est capital pour les Israéliens.

Avez-vous eu l’occasion de rencontrer aussi les dirigeants et des membres de la communauté sépharade de Montréal ?

Oui. Je suis très impressionné par le dynamisme de la communauté sépharade, qui est une composante importante de la communauté juive de Montréal. Depuis mon arrivée, j’ai eu l’opportunité d’assister à plusieurs événements culturels organisés par la Communauté sépharade unifiée du Québec (CSUQ), dont le Festival du cinéma israélien, qui a connu encore une fois cette année un grand succès. J’ai participé aussi, en compagnie de mon fils, avec un groupe de la communauté sépharade au Tour de l’Île de Montréal en vélo. Ça a été une expérience cycliste merveilleuse.

Est-il ardu, particulièrement ces temps-ci, de défendre la cause d’Israël au Québec ?

Il faut établir une distinction entre les médias francophones du Québec et les dirigeants politiques, les faiseurs d’opinion et les hommes d’affaires québécois. Ces derniers sont bien au fait de la situation qui prévaut aujourd’hui le long de la frontière entre Israël et Gaza. Ils savent que c’est le Hamas, qui contrôle d’une manière autocratique la bande de Gaza, qui fomente des attaques terroristes contre Israël et s’emploie à créer de toutes pièces une image médiatique, totalement fausse, en exploitant cyniquement, à des fins strictement politiques, les blessés et les morts du côté palestinien.     

Malheureusement, les médias québécois ont été bernés par la campagne de propagande mensongère menée par le Hamas. Mais les dirigeants politiques québécois que j’ai rencontrés ne sont pas du tout dupes. Ils comprennent bien la situation de haute tension qui sévit à la frontière avec Gaza. Ils sont conscients que le seul responsable de celle-ci est le Hamas.

L’une des priorités actuelles pour tout diplomate israélien n’est-elle pas la lutte contre le BDS, la campagne de boycott économique d’Israël ?

Au Québec, la campagne BDS est beaucoup moins intense que dans d’autres pays. Il ne faut pas se leurrer! Le BDS est une campagne antisémite et discriminatoire, basée sur un double standard, qui a une cible bien déterminée : l’État juif.  La campagne BDS ne constitue pas une menace stratégique, ni existentielle, pour Israël. Pour preuve : l’économie israélienne connaît un boom sans précédent, des entreprises multinationales continuent à établir des centres de recherche en Israël, le tourisme en Israël a connu un grand essor ces dernières années, de nombreux chefs d’État et de gouvernement effectuent des visites officielles en Israël… C’est la preuve que la campagne BDS a échoué.

Pourtant, le gouvernement d’Israël ne sous-estime pas les répercussions néfastes du BDS. Les activistes de cette hideuse campagne ont recours aux menaces et à l’intimidation pour décourager des hommes d’affaires, des universitaires, des artistes… à visiter Israël et à avoir des relations avec ce pays. Certains ont fini par céder à cette campagne de peur. Ça a été le cas dernièrement de l’équipe nationale d’Argentine de soccer, qui devait jouer un match amical contre l’équipe nationale d’Israël à Jérusalem. Nous devons nous opposer par tous les moyens à ce type de campagne antisémite et haineuse.

Comment envisagez-vous les perspectives des relations entre Israël et le Québec ?

Je suis très optimiste. Les visites officielles effectuées l’année dernière en Israël par le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, et l’ancien maire de Montréal, Denis Coderre, qui ont dirigé deux importantes délégations d’hommes et de femmes d’affaires québécois, ainsi que l’instauration de vols directs Montréal-Tel-Aviv depuis l’été dernier, ont certainement contribué à renforcer les relations israélo-québécoises dans divers domaines : commercial, coopération universitaire, culturel, touristique… Le récent élargissement de l’Accord de libre-échange entre le Canada et Israël – quelque 2 000 nouveaux produits seront désormais affranchis de droits de douane – aura aussi des retombées positives sur les relations économiques entre Israël et le Québec. Nous attendons aussi avec impatience l’ouverture d’un Bureau de représentation officielle du Québec en Israël, annoncée l’année dernière par le premier ministre Philippe Couillard lors de son voyage en Israël. Cette excellente initiative renforcera sans nul doute les liens économiques, culturels et académiques, déjà importants, qui existent entre le Québec et Israël.

L’Iran n’est-il pas aujourd’hui l’ennemi le plus redoutable d’Israël ?

Absolument. Aujourd’hui, des pays arabes, dont les armées constituaient une réelle menace pour Israël dans les années 60, 70 et 80, sont en pleine désintégration ou aux prises avec de graves problèmes intérieurs. C’est le cas de la Syrie. Aucune armée nationale arabe ne menace plus la sécurité de l’État d’Israël. Désormais, la plus grande menace d’Israël est l’Iran, qui s’approche graduellement de nos frontières, par la Syrie, l’Irak, le Yémen, avec ses missiles à longue portée. Le programme nucléaire iranien ne menace pas uniquement Israël, mais aussi les pays arabes sunnites du Golfe. Israël n’acceptera jamais que l’Iran déploie à proximité de sa frontière des missiles à têtes nucléaires. C’est pourquoi le gouvernement israélien s’escrime à convaincre la communauté internationale de stopper le programme nucléaire iranien en exerçant sur le gouvernement de Téhéran des pressions diplomatiques et économiques.

Quelle est la place des Arabes dans la société israélienne de 2018 ?

En Israël, la cohabitation judéo-arabe est une réalité quotidienne et un fait de vie. Juifs et Arabes cohabitent harmonieusement à Tel-Aviv-Yaffo, à Haïfa, à Beer Sheva… Ils travaillent ensemble dans des hôpitaux, des centres commerciaux, des restaurants, des hôtels, des organisations sociales… Les Arabes israéliens ne sont pas confrontés à un problème identitaire. Ils ont le droit de définir leur identité comme bon leur semble. C’est leur droit de se définir comme des Palestiniens citoyens de l’État d’Israël. Selon les lois nationales, les Arabes ont des droits et aussi des obligations à assumer en tant que citoyens à part entière d’Israël. Ils représentent une minorité très importante dans la vie quotidienne d’Israël. Les médias étrangers sont enclins à dépeindre la communauté arabe d’Israël d’une manière réductrice, et souvent mensongère. Les Arabes sont bien intégrés dans la société israélienne. Un bon nombre d’entre eux assument des fonctions importantes dans les divers corps de l’État: l’armée, la police, la justice, la diplomatie… Nous avons accueilli récemment à Montréal Salim Joubran, le premier juge arabe à siéger à la Cour suprême d’Israël. Il a prononcé un discours sur la cohabitation judéo-arabe en Israël devant les membres de la Lord Reading Law Society de Montréal.

Soixante-dix ans après sa fondation, quel est le plus grand défi auquel Israël fait face ?

Aujourd’hui, le plus grand défi d’Israël est la cohésion socioéconomique. C’est un défi de taille commun à de nombreux pays, notamment à une époque où la classe moyenne ne cesse de s’étioler. En Israël, les écarts socioéconomiques entre les plus nantis et les plus pauvres n’ont cessé de croître ces dernières années. Pour essayer de contrecarrer cette tendance néfaste, de nouveaux aéroports et chemins de fer, dans le Nord et dans le Sud, et de nouvelles autoroutes ont été construits dernièrement pour mieux connecter la périphérie avec le centre du pays. Cette stratégie de développement a pour objectif principal d’offrir de meilleures opportunités économiques aux populations des villes périphériques. C’est un grand défi.

David Levy, Consul général d’Israël à Montréal

La paix avec les Palestiniens et le monde arabe n’est-elle pas aussi un autre grand défi ?

Certainement. Israël a déjà conclu des accords de paix, très stables, avec deux grands pays arabes, l’Égypte et la Jordanie. Nous sommes aussi engagés dans un processus de négociations, regrettablement très lent, avec les Palestiniens. Nous espérons que ces derniers reviendront prochainement à la table des négociations afin de parvenir à un accord final acceptable pour les deux parties. Israël entretient aussi des relations de coopération, non officielles, notamment en matière économique et de sécurité, avec des pays arabes du Golfe, avec qui nous partageons des intérêts communs. Ces pays sont aussi menacés par l’Iran. C’est une perspective fort prometteuse.

 

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