SOUS LA BLOUSE BLANCHE, DEUX MÉDECINS REMARQUABLES :
DR ÉLIE HADDAD ET DR MICHAËL BENSOUSSAN

PAR SYLVIE HALPERN

Sylvie Halpern

Sylvie Halpern a été toute sa vie journaliste en presse magazine, notamment pendant 20 ans à l’« Actualité ». Elle a récemment créé Mémoire vive, une entreprise de rédaction d’histoires de vie : à la demande des familles, elle rédige des livres en publication privée racontant la trajectoire de leurs parents.


L’un est pédiatre, l’autre gastroentérologue. Le premier aime chanter, le second sait faire parler ses émotions. Mais Élie Haddad et Michaël Bensoussan se propulsent au même carburant : leur amour de la médecine.

Quand il avait sept ans à Dreux, en région parisienne, Élie Haddad a entendu son oncle, qui était pédiatre, raconter qu’un couple, dont le premier enfant était mort d’une leucémie, venait de donner son prénom à leur nouveau bébé. « Évidemment, en bonne Juive tunisienne, ma mère a réagi, bouleversée, en arabe. Et moi, je ne comprenais pas qu’on ne puisse pas guérir de cette maladie. C’est sans doute pour cela que, bien plus tard à Paris, j’ai fait médecine, puis pédiatrie, puis immunologie, avec pour tout premier objectif de soigner le cancer des enfants. »

Dans la vie du docteur Élie Haddad, et de son épouse Valérie Darmon-Haddad, très engagée dans la vie communautaire, il y en a aujourd’hui trois, des enfants. Mais ce serait sans compter les milliers d’autres que ce clinicien-chercheur dans la jeune cinquantaine reçoit chaque année au Service d’immunologie et de rhumatologie qu’il dirige depuis 2005 à l’hôpital Sainte-Justine. D’ailleurs même quand il ne les voit pas, il les a toujours en tête : en s’enfermant dans son laboratoire pour livrer une guerre sans merci aux nombreuses formes de déficits immunitaires dont souffrent ses jeunes patients. « Je suis un passionné du système immunitaire, je cherche comment on peut l’utiliser pour guérir le cancer. Et j’en suis heureux, on vit une révolution dans ce domaine et ce n’est qu’un début! »

Pourquoi est-ce que certains jeunes organismes sont incapables de se défendre contre les infections? Quand ils n’en viennent pas à s’attaquer eux-mêmes et parfois, las de tant de batailles, à s’éteindre? « Avez-vous vu L’enfant-bulle, ce film où John Travolta ne pouvait vivre que dans un environnement stérile? Ces bébés bulles, qui font des infections à répétition, souffrent de la forme la plus grave de déficit immunitaire et le seul moyen de tenter de les guérir est une greffe de moelle osseuse, sinon ils ne peuvent pas survivre plus d’un an. » Ces greffes, le docteur Haddad en pratiquait déjà en France, avant de découvrir le Québec en 2003. Et d’adorer : « Les espaces, la luminosité, la gentillesse… Et puis ici, il y a tellement plus de respect et d’autonomie : à chacun de construire son petit royaume! »

Son royaume à lui est complexe… Car les déficits souvent génétiques qui apparaissent pendant l’enfance peuvent s’avancer masqués : on a déjà répertorié 350 gènes qui peuvent être à l’origine de maladies très rares. Leur conséquence commune est la multiplication des infections, mais selon les failles de leur système, les enfants en font certaines et d’autres pas. Ou bien ils souffrent de maladies auto-immunes : déréglé, leur système immunitaire s’attaque tout seul… Ou bien ils font toutes sortes d’allergies. Ou bien ils développent des cancers. PourquoiPourquoi certains enfants font un cancer, et comment les guérir ?? C’est ce qui obsède Élie Haddad qui poursuit sa traque sur des souris… humanisées qui, comme les jeunes qu’il ausculte, ont un déficit immunitaire profond. Souris auxquelles il injecte, par exemple, des cellules cancéreuses de patient que ces souris ne peuvent pas rejeter.. « En mettant en quelque sorte de l’humain dans ces souris, nous comprenons mieux ce qui se passe et nous essayons – avec l’éthique de l’animal en tête, bien sûr – de nouveaux traitements qui permettront de guérir les enfants. » Outre sa vie professionnelle, Élie Haddad s’investit également dans la vie communautaire. Il fréquente Aleph et la Communauté Sépharade Unifiée du Québec et participe régulièrement au concert de collecte de fonds pour le Centre Segal des Arts et de la Scène, puisque le chant est une autre de ses passions.

Cet amour de la médecine, le docteur Michaël Bensoussan le vit lui aussi dans sa pratique de gastroentérologue à Longueuil : « Je me considère béni parce que je fais partie de ces gens qui ont réalisé leur rêve d’enfant. » Natif de Strasbourg où son père était médecin généraliste, il a découvert sa passion pendant son internat à Reims. Puis a travaillé pendant dix ans à l’hôpital européen Georges-Pompidou de Paris, ville qu’il a copieusement… détestée. « À cause de la violence extrême qui y règne : sur la route, au Franprix, dans la queue au musée ou au cinéma. Je ne supportais plus cette compétition permanente qui rend tout le monde extrêmement tendu et agressif. Plus l’antisémitisme que je sentais monter… » L’affaire Merah lui a donné le reste en mars 2012. « Quand je me suis vu, moi le petit-fils de déporté, expliquer à mes enfants (il en avait trois, la quatrième est née depuis au Québec) qu’il y aurait une minute de silence à l’école parce qu’un monsieur avait tué des enfants juste parce qu’ils étaient juifs. Quand je les ai vus se mettre à pleurer parce qu’ils avaient peur, j’ai compris que la France, ma France, c’était terminé… »

C’est grâce à un confrère niçois marié à une Québécoise que sur la mappemonde, le doigt de Michaël Bensoussan s’est posé sur Montréal. Mais en immigrant au Québec où, hormis un oncle, il ne connaissait personne, en ouvrant son cabinet à Longueuil et en démarrant sa pratique à l’hôpital Charles-Lemoyne, il n’imaginait pas que moins de deux ans après son arrivée, il deviendrait… la coqueluche des médias! « Une équipe de Télé-Québec a débarqué pour faire une série de télé-réalité sur la vie des médecins à l’hôpital. Et comme De garde 24/7 a connu un succès extraordinaire, ça m’a amené sur les plateaux de télé et de radio. J’ai été un peu dépassé par les évènements, mais j’ai essayé d’en faire quelque chose. » À l’instar de Michel Cymes, ce docteur juif adoré des écrans français, qu’il place haut dans son panthéon personnel : « Voilà un médecin qui se sert de sa notoriété pour délivrer des messages de santé publique qui ont de l’allure. »

Comme bien des Français qui débarquent à Montréal, c’est spontanément sur le Plateau Mont-Royal que Michaël Bensoussan s’est installé avec sa famille, et ses enfants vont à l’école publique du quartier. Même s’il vient d’une famille orthodoxe originaire d’Agadir, même si son grand-père était rabbin, il n’a pas immigré ici, « communautarisme » en tête : « Je viens de Strasbourg, de Paris, où tout le monde vit de manière mixée. Sans pour autant vivre dans l’athéisme, ce n’est pas en tant que Juif que je suis venu ici – m’installant donc nécessairement dans un quartier juif. »

Bien sûr, à l’approche de la bar-mitzvah, (cérémonie de majorité religieuse pour les garçons de 12 ans) de son aîné, le gastroentérologue vient d’être rattrapé : il lui fallait quand même se raccrocher à une communauté! Et c’est Emanu-El-Beth Sholom, le temple libéral de Westmount qui a su le prendre dans ses bras. « Au début j’y suis un peu allé à reculons : une femme rabbin, une communauté (kahal) mélangée… » Pourtant, lui dont l’épouse n’est pas juive, dont les enfants ont été élevés entre deux cultures, lui qui a voulu garder ses attaches profondes, s’y est totalement retrouvé : « Je crois qu’il y a beaucoup de Juifs comme moi que la communauté libérale d’Amérique du Nord est en train de rattraper. »



Et maintenant, notre mini-questionnaire de Proust à la sauce juive et sépharade !


Parmi tous les textes de la littérature juive, de la Bible en passant par le Talmud jusqu’aux auteurs contemporains (Albert Cohen, Philippe Roth, Bob Dylan par exemple), quel est celui qui vous inspire et pour quelle raison?

E.H. : Moi qui suis d’origine tunisienne, c’est pourtant de la littérature ashkénaze qui me vient à l’esprit : les légendes du Baal Chem Tov, l’œuvre d’Isaac Bashevis Singer ou de Chaïm Potok. Je fais partie de cette génération qui est venue repeupler la France de Juifs : les Ashkénazes ont été massacrés et nous, en Europe, nous avons grandi dans l’éducation de la Shoah. J’ai toujours été très touché par l’art, la musique, l’intellectualisme ashkénazes, sans doute parce que les Sépharades n’ont pas assez eu la fierté de leur culture. Heureusement ça change, avec par exemple des gens comme Denis Cohen-Tannoudji 1.

M.B. : J’ai été bouleversé par le Journal d’Anne Franck, on devrait en rendre la lecture obligatoire à tous les enfants pour qu’ils n’oublient jamais que la haine ancestrale du Juif existe. D’autant plus que les conspirationnistes sont en train de convaincre le monde entier que les Juifs ont fait semblant et que les derniers témoins sont en train de mourir… Quant aux textes qui m’inspirent, ce sont les œuvres de Primo Lévi.

La personnalité du monde juif, tous siècles confondus, qui vous a le plus marqué?

E.H. : Côté scientifique : Einstein, bien sûr. Mais avant tout, le Baal Chem Tov, le fondateur du hassidisme, parce qu’il a été spirituellement révolutionnaire. Sa façon si intense d’aimer Dieu dans la joie me transporte.

M.B. : Albert Einstein : parce que c’est un émigré qui s’est réfugié aux États-Unis avec sa famille et y a fait sa place par son intelligence. C’est le plus grand savant de tous les temps. Oui, on doit en être fiers : le peuple juif est jalonné d’intelligences et de prix Nobel.

Y a-t-il une citation de la culture juive qui vous viendrait à l’esprit?

E.H. : Non, je me suis nourri à la culture française et américaine. Alors je pense à celles du Petit Prince de Saint-Exupery ou des livres de Richard Bach – Jonathan Livingston le goéland ou Le Messie récalcitrant.

M.B. : Une citation en yiddish de ma grand-mère maternelle : « Mieux vaut manger un rôti que mourir de faim ». Je la trouve drôle et révélatrice de ces autres traits du peuple juif : l’humour, le bon sens, la dérision. Et ça, c’est mon côté ashkénaze.

Quelle est la fête juive qui vous touche particulièrement?

E.H. : Kippour, le message en est tellement profond. C’est un acte d’humilité majeur, la capacité de reconnaître qu’on n’est pas infaillible – et pour un scientifique, c’est important. Pour moi, ce message du Pardon est le plus fort de la religion juive.

M.B. : Kippour, parce que sa finalité, c’est l’introspection, l’occasion de s’arrêter dans sa vie parfois trépidante et de réfléchir à ce qu’on a dit, ce qu’on a fait, à pourquoi on est là. Un moment mystique, un temps suspendu.

Quel est le trait de la culture sépharade que vous mettriez de l’avant?

E.H. : La joie pure, l’esprit de famille, le sens de la fête. Chez les ashkénazes, même dans la joie on sent la tristesse. Mais j’aime les deux…

M.B. : C’est la fête! C’est ce qui m’a toujours un peu distancé du rite ashkénaze qui est strict et rigoureux, parfois même triste. Jusque dans la gastronomie.

Justement, après les nourritures spirituelles, les nourritures terrestres… Quel est votre plat préféré dans la cuisine juive?

E.H. : On se souvient toujours de la cuisine de sa mère… Oui, c’est le bon couscous-boulettes tunisien, bien plus sophistiqué que pas mal d’autres.

M. B. : La dafina, la fête aux féculents, c’est ma madeleine de Proust! Et la meilleure cuisinière du monde, c’était ma grand-mère marocaine qui aurait pu ouvrir quatre restaurants.

 

Notes:

  1. Historien, Denis Cohen-Tannoudji est intervenu lors de la journée commémorative des réfugiés juifs des pays arabes et d’Iran, le 30 novembre dernier dans le cadre du Festival Sefarad.
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