HANOUKAH, L’INITIATION DE LA LUMIÈRE PAR LA LUMIÈRE

PAR GEORGES LAHY

Georges Lahy

Spécialiste en kabbale, Georges Lahy a traduit des textes fondamentaux de la mystique juive. Enseignant et auteur, il a écrit notamment « Dictionnaire encyclopédique de la kabbale » et « L’alphabet hébreu et ses symboles ». Vous trouverez l’ensemble de son œuvre http://editions-lahy.e-monsite.com

 

 

 

La période de Hanoukah (cette année du 12 au 20 décembre) est un hymne à l’éveil et au retour de la lumière. On sait que cette fête commémore la reprise de Jérusalem par les Maccabées 1, alors aux mains des Séleucides (il y a 2182 ans). Cette grande victoire par un petit groupe fut marquée par une petite fiole d’huile presque vide grâce à laquelle fut entretenue miraculeusement la flamme purificatrice du Temple durant huit jours : « C’est par miracle que la lampe a brûlé jusqu’à la soirée suivante » 2.

Durant cette période de l’année, la plupart des civilisations ont pour coutumes de célébrer ou d’appeler le retour de la lumière. En effet, à partir de l’équinoxe d’automne les nuits deviennent plus longues que les jours. Allégoriquement, l’obscurité domine la lumière. A l’approche du solstice d’hiver, qui renverse le processus, la lumière reçoit l’impulsion qui la fait remonter et dominer l’obscurité et ce à partir de l’équinoxe de printemps. C’est la raison pour laquelle le mois de décembre réunit les fêtes de la Lumière qui caractérisent cette période. C’est un temps de trêve et de paix, tout au moins il devrait en être ainsi.

La présence de la lumière

Pour les Maîtres de la Kabbale, cette fête possède un caractère ésotérique. Elle incite à un tiqoun, une restauration de l’éclat de l’âme humaine. Car cette lumière dissimulée sous les voiles de l’obscurité est aussi celle de la Shekhinah, la Présence divine, qui s’alanguit au sein des ombres du monde des faits et des phénomènes. Elle est semblable à la Fiancée du Cantique des Cantiques dans l’attente du baiser d’éveil de son Bien-aimé vers qui elle clame : « Je suis noire mais belle ! » 3 c’est-à-dire obscure en apparence mais rayonnante intérieurement. Hanoukah est un temps de trêve et de quête intérieure afin qu’un feu ardent porté par la lumière de la célébration réveille un ardent feu intérieur. Cette période offre l’opportunité de réanimer en chacun des qualités latentes, pour accompagner et célébrer le retour prochain de la lumière.

Du faiseur au porteur de lumière

En ce temps, les humains appellent au retour de l’astre « Faiseur de lumière », notre soleil, shémésh [שֶׁמֶשׁ] en hébreu, astre roi que reflètent les luminaires qui ornent les nuits. L’illumination des luminaires terrestres passe par l’intermédiaire symbolique d’un porteur de lumière, humble émissaire de cette lumière cosmique : le shamash [שַׁמָּשׁ] avec lequel sont allumées les huit mèches durant la célébration. La lumière de l’âme et de la Shekhinah, la Présence divine, s’exprime durant cette période par l’intermédiaire du « Nér Élohim », la bougie d’Élohim, ou lumignon divin, plus communément nommé shamash, éveilleur et initiateur de la Lumière. Il s’agit d’une fine et modeste bougie à l’aide de laquelle sont allumées les huit autres mèches d’huile ou bougies de la hanoukiah (chandelier de Hanoukha) et qui réveille la lumière jour après jour. Chaque lumière annonce ainsi celle du lendemain de l’une à l’autre.

Nér Élohim [נֵר אֱלֹהִים], le lumignon d’Élohim, évoque l’âme humaine.

Sa flamme diffuse une pure et subtile lumière, à l’image d’une âme libérée des contraintes matérielles. Lors d’un décès, par exemple, une bougie est allumée pour la libération de l’âme du défunt, en disant : Ki Nér Élohim nishmath Adam, « car Nér Élohim est l’âme humaine ». Par une légère impulsion du Nér Élohim, la lumière éveille la Présence divine et assure l’éternité de l’âme. Ce lumignon sacré connecte l’âme à son Créateur. Il témoigne de la Présence et c’est par cela que le prophète Samuel reçut l’appel de Dieu : « Le lumignon divin (Nér Élohim) n’était pas encore éteint, et Samuel était couché dans le Temple de l’Éternel, où était l’Arche divine. L’Éternel appela Samuel » 4.

De même que le shamash (bedeau) d’une yeshiva (école talmudique) ouvre les portes et éclaire les lampes, le shamash au centre de la ħanoukiah est le Nér Élohim. Il ouvre les portes au mystère que nous sommes en nous-mêmes, dans notre profondeur, pour laisser s’exprimer en nous et à travers nous le Divin manifesté sous l’aspect de la lumière. C’est une définition possible pour l’initiation spirituelle, plus précisément en cette période d’initiation de la lumière par la Lumière. D’autant que l’astre solaire shémésh est un palindrome qui s’écrit : shin-mém-shin, lisible dans les deux sens. Il contemple sa propre lumière, il s’auto-initie en quelque sorte. Raison pour laquelle l’éclairage des luminaires de la Hanoukiah est un acte individuel, face à soi-même.

Pour le Séfer Yetsirah 5, le shin [ש] est la lettre qui représente « ésh » [אֵשׁ], le feu. C’est la flamme portée par « nér » [נֵר], la bougie. Mém [מ] est la lettre qui représente « mayim » [מַיִם], les eaux. Eaux de la Création et de la transformation.

On découvre alors dans « shémésh » [שַׁמָּשׁ] un feu qui contemple un feu (shin contemplant shin) et se renouvelle dans les eaux de la Vie (mém). Par ce feu ardent qui éveille l’ardent feu, la lumière fait vivre la lumière.

Durant Hanoukah, chacun doit descendre dans son jardin intérieur et stimuler la potentialité qui s’est assoupie avec la décroissance des jours. Cette potentialité latente est un reflet de la Shekhinah, dans l’attente d’un appel, d’une simple étincelle, pour s’éveiller et monter lentement, telle la sève d’un arbre. Élévation de l’âme qui fleurira à la lumière épanouissante du printemps et portera ses fruits.

À la source initiatique de Hanoukah

Le sens courant du mot Hanoukah [חֲנֻכָּה] est « célébration », mais il peut aussi signifier : « inauguration » et « consécration ». Dans la terminologie mystique et ésotérique, le terme prend la signification directe « d’initiation ».

Le nom est issu de la racine hanak (חָנַךְ) dont le sens primaire est : rétrécir, resserrer. C’est aussi l’acte de verser dans la bouche et sous-tend l’idée d’initier ou de consacrer. Dans la Bible, on peut rencontrer cette racine et la comprendre avec son sens initiatique : « Et quand Avram entendit que son frère avait été capturé, il pressa trois cent dix-huit de ses initiés (חֲנִיכָיו), nés dans sa maison, et poursuivit ces rois jusqu’à Dan » 6. Cette lecture confère à Abraham la qualité de Grand initiateur, porteur du Nér Élohim.

Toutefois dans la Bible, celui dont le nom même personnifie « l’Initié » est Hanok (חֲנוֹךְ) ou Hénoch, le septième des patriarches du lignage de Séth. Sa vie dura un cycle supra solaire (shémésh), signalé par ses 365 années de vie. Il entretint une relation privilégiée avec Dieu, c’est pourquoi il est dit qu’il « marche avec Dieu » 7.

De même que l’âme, l’initiation est un souffle qui traverse l’espace et le temps. Chaque génération reçoit l’étincelle de la génération précédente et l’entretien. On parle de shalshéléth ha-kabbalah, de chaîne de la tradition. Une chaîne qui tout à la fois relie et libère. Beaucoup pensent que l’initiation se résume à la simple transmission d’un secret. Si secret il y a, c’est celui de la Vie accordée comme une Grâce (Hén) que l’on préserve avec Sagesse. Les deux premières lettres de Hanoukah sont le heith et le noun. Elles forment le mot hén [חֵן], la Grâce. Les kabbalistes utilisent ce terme pour signaler allusivement les Sitré Torah (secrets de la Torah). Dans ce cas les deux lettres de hén [חֵן] sont regardées comme les initiales de l’expression : Hokhmath ha-Nitsar, la Sagesse cachée : l’ésotérisme.

La racine ħanak (חָנַךְ) nous a indiqué que l’initiation passe par un souffle de la bouche. C’est le baiser mystique, décrit allégoriquement et amoureusement dans le Cantique des cantiques. Il se trouve que cette racine hébraïque dispose d’un siège dans le corps et plus précisément dans la bouche. Il s’agit des ħanikaïm [חֲנִיכַיִם] : des gencives. Si l’on s’en tient au seul sens ésotérique, on peut alors traduire cela par : les initiés ; mais ce n’est pas comme ça qu’on utilise ce terme en hébreu courant.

Les gencives font allusion à un enseignement (ou une transmission) reçu sous le sceau du secret ou de la confidence, qu’il faut savoir taire. Il peut même arriver que ce secret brûle la bouche.

D’un point de vue symbolique et en s’appuyant sur le sens de la racine, les gencives témoignent de la qualité (ou de la pureté) de l’initiation, de la célébration, de l’inauguration et de la consécration. De la sorte, en acceptant l’idée que chaque manifestation du corps est porteuse d’un message, une pathologie des gencives va raconter une problématique en relation avec une célébration, ou bien que quelque chose de consacré a été profané par une parole. Ou encore qu’une inauguration, ou une célébration, n’a pas été accomplie. Cela peut prendre de multiples aspects, par exemple un mariage qui n’a pas été célébré, tout comme d’autres sortes de rites de passages : circoncision, bar mitsvah, fiançailles, etc. L’inauguration, ou la célébration, peut très bien se résumer à une crémaillère non pendue, un acte non signé, un apprentissage non faits et bien d’autres choses encore. Il est écrit dans le Livre du Deutéronome (20 ; 5) : « Qui est l’homme qui a bâti une maison neuve et qui ne l’a pas inaugurée (hanako).

Une grande ouverture à « huit » clos

On peut aussi s’interroger sur la symbolique des huit jours de Hanoukah. Huit jours d’initiation, huit voiles obscurs à soulever pour que la lumière de la Présence divine illumine l’âme. Cela concerne l’un des mystères de la lettre Heith [ח], initiale de Hanoukah et de Hayim, la vie. Huitième lettre de l’alphabet hébreu. Héith est la clôture qui préserve le verger mystique, là où se dissimule la Sagesse ésotérique, qui est nulle autre que la Shekhinah, la Présence divine elle-même.

La désoccultation de la Sagesse est à la ressemblance de l’alliance de la circoncision, dont Abraham fut l’initiateur à la demande de Dieu : « Et tout mâle de huit jours, en vos générations, sera circoncis parmi vous » 8. Dans son livre Shaaréi Orah, le kabbaliste Joseph Gikatilla (1248-1325) enseigne que la circoncision est une ouverture à la lumière, car c’est seulement lorsqu’il fut circoncis qu’Abraham put contempler la lumière de Shaddaï (Dieu). Huit est un temps biblique de consécration : « Au huitième jour du mois ils vinrent au porche de l’Éternel, et sanctifièrent la maison de l’Éternel pendant huit jours » 9. Le Livre du Lévitique considère qu’un cycle de huit jours minimum est nécessaire pour l’accomplissement d’une purification : « Et le huitième jour de sa purification, il les apportera au Cohén » 10. C’est pourquoi les fêtes de Souccoth et de Pessah s’étalent sur huit jours.

Être de lumière

Aux soirs de Hanoukah, l’occasion nous est offerte d’éveiller et de perpétuer la « Lumière » qui réunit : la lumière de la terre à la lumière céleste, la lumière du corps à la lumière de l’âme, elle-même reliée à celle de son Créateur. Chacune initiant l’autre, le feu éveillant le feu, la lumière éclairant la lumière.

Ainsi connecté : « Je prends conscience que lorsque j’élève le shamash pour transmettre la flamme, je deviens moi-même shamash. Je suis lumière qui transmet la lumière. Mon âme est le Nér Élohim, flambeau éternel, colonne de lumière qui maintien et rectifie le Monde ».

Vayehi-or  [וַיְהִי־אֹור] : Que la Lumière soit !

 

 

 

Notes:

  1. Nom d’une famille de prêtres juifs (Cohanim) qui mena la résistance contre la politique d’hellénisation pratiquée en Israël par les gréco-syriens, les Séleucides au 2ème siècle avant l’Ere vulgaire (ndr)
  2. Traité Yoma 39b du Talmud de Babylone (T.B)
  3. Cantique des Cantiques chap 1 ; verset 5
  4. Samuël (I) 3 ; 3
  5. Livre de la Création ou de la Formation, est l’un des plus anciens textes de la tradition kabbaliste ; rédigé aux premiers siècles de l’Ere courante, il est attribué dans la tradition juive à Abraham. (ndr)
  6. Genèse 14 ; 14
  7. Genèse 17 ; 12
  8. Genèse 17 ; 12
  9. Chroniques (II) 29 ; 17
  10. Lévitique 14 ; 23
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