Victor Teboul, « Les Juifs du Québec. In Canada We trust »
ENTRETIEN AVEC VICTOR TEBOUL PAR DAVID BENSOUSSAN
Natif d’Alexandrie, Victor Teboul a siégé au Conseil supérieur de l’éducation et au Conseil de presse du Québec. Il est l’auteur d’ouvrages et d’essais littéraires dont Mythes et images des Juifs au Québec et La lente découverte de l’étrangeté. Il dirige aujourd’hui le magazine en ligne Tolérance.ca . David Bensoussan a lu pour nous son dernier livre , Les Juifs du Québec. In Canada We trust. Réflexions sur l’identité québécoise. Edition La Caboche, Montréal, 2016. David Bensoussan est ingénieur, écrivain et blogueur sur Huffingtonpost et Times of Israel, en version française. Ancien Président de la CSUQ, il est notamment récipiendaire du prix Haïm Zafrani (2012).
Pourquoi un Juif texan parle-t-il avec l’accent texan, un Juif parisien avec l’accent parigot et pourquoi les Juifs du Québec sont séparés de l’accent ou même de la mémoire de la majorité francophone ?
Bien sûr, il y a un historique d’exclusion de la Nouvelle France et des écoles confessionnelles canadiennes françaises fermées aux non catholiques. Dirigés vers les écoles protestantes anglophones, les Juifs se sont battus pour se faire une place dans la société anglophone qui avait également des restrictions envers eux. Ils y ont réussi et se sont identifiés à elle. Le Québec francophone a été ainsi privé du dynamisme culturel de la majorité des Juifs. Au Québec et durant la Seconde guerre mondiale, certaines sympathies profascistes déclarées dont celles du maire de Montréal Camilien Houde et le vote contre la conscription en 1942 ont marqué la communauté juive. La discrimination envers les Juifs fut notoire. Elle persista un peu plus longtemps au sein de la société canadienne française. Mais il y eut aussi des défenseurs des droits et des libertés qui, selon l’auteur, sont trop souvent ignorés. Ce fut le cas de Louis-Joseph Papineau qui fit adopter par l’Assemblée législative du Bas Canada les droits de vote et l’égalité politique pour les Juifs en 1832, soit 25 ans avant que les Juifs de Grande-Bretagne n’obtiennent ce droit. Ce fut aussi le cas des journalistes Olivar Aselin et Jean-Charles Harvey qui donnèrent leur support au Dr Rabinovitch en 1934, lorsque les résidents de l’Hôpital Notre-Dame de Montréal firent la grève pour l’empêcher d’y exercer. Bien sûr, les temps ont changé : le Juif québécois David Lévine a été nommé directeur général de ce même hôpital de 1992 à 1997.
L’auteur Victor Teboul s’identifie pleinement au nationalisme souverainiste québécois et souhaite que l’ensemble de la société québécoise soit sensible à son passé : la révolte des Patriotes en 1837-38, la Révolution tranquille et les luttes menées contre une certaine discrimination des francophones jusqu’aux années 60 ainsi qu’aux deux référendums perdus par les souverainistes. Il ne néglige pas pour autant la mise en valeur de personnalités progressistes quand bien même elles défendaient le fédéralisme. Pour en finir avec l’isolement des communautés, l’auteur invite les Québécois à assumer leur passé avec ses dérives mais aussi avec les pages qui firent honneur au Québec en matière des droits de l’homme : tant les discours du chanoine Lionel Groulx (1878-1967) négatifs envers l’immigration dans les années trente que la contribution juive au mouvement ouvrier. Pour illustrer cette distanciation entre les Juifs et les Canadiens français, il souligne l’anomalie que représente l’absence de la toponymie juive au Québec et celle des défenseurs québécois des droits des Juifs dans les quartiers juifs. Il propose donc d’assumer pleinement le passé et d’aller de l’avant.
Le Canada et Montréal sont le pays et la ville des deux solitudes.
Dans les années 90, le poète et chanteur Gilles Vigneault me raconta qu’il avait rencontré pour la première fois Léonard Cohen à Paris dans les coulisses d’une salle de spectacle, bien des années après qu’ils eurent acquis une popularité notoire. Et je constate qu’eEncore aujourd’hui, les Montréalais vivent des réalités culturelles parallèles : combien de minorités du Québec connaissent les chanteurs québécois francophones, Céline Dion mise à part ? Même les Sépharades 1 vivent à l’heure culturelle de la France si on se fie à la fréquence des ouvrages empruntés dans les bibliothèques des quartiers dans lesquels ils sont numériquement importants. Le festival Metropolis bleu est parallèle au salon du Livre de Montréal avec une coloration plus multilingue et une participation plus grande des anglophones. Les feuilletons de Radio Canada n’ont pas encore intégré les minorités culturelles dans leurs feuilletons. Il est vrai que bien du chemin reste à faire pour intégrer l’ensemble des composantes de la société québécoise.
Il reste que le discours tenu dans l’ouvrage de Victor Teboul aurait mérité d’être nuancé : les prises de position relatives aux droits individuels par rapport aux droits collectifs s’inscrivent dans une cohérence libérale et on ne peut reprocher la légitimité de cette identification, d’autant plus que le Québec a développé envers et contre tout, une identité canadienne depuis l’établissement de la Confédération. Aussi, l’immersion dans l’identité canadienne binationale et multiculturelle est tout à fait compréhensible et bien fondée. S’identifier au Québec ne signifie pas se dissocier des attaches au Canada. L’auteur ignore les raisons pour lesquelles les minorités culturelles ne s’identifient généralement pas au projet indépendantiste 2: dans un certain sens, ce manque d’identification se comprend pour la minorité anglophone du Québec mais aussi pour les autres minorités qui ont vécu les excès et les exclusions du nationalisme dans leur pays d’origine. Aussi, la vision multiculturelle est généralement adoptée par l’ensemble des minorités. Par ailleurs, l’auteur ne semble pas avoir pris conscience du repli de la communauté juive du fait de la perception que les médias québécois sont plus que biaisés envers Israël. L’équilibre manquant dans la couverture médiatique est la raison d’être d’un lobby par ailleurs parfaitement légal. L’absence de cette mise en contexte pourrait dérouter un lecteur non initié à cette perception de la réalité médiatique. En outre, l’auteur ne fait pas cas des débats internes au sein de la communauté juive dont seules les positions majoritaires sont rapportées mais souhaite que les voix minoritaires se fassent également entendre. Il ne fait pas cas non plus des nombreuses tentatives fort louables de réforme constitutionnelle 3 du Canada (tentative d’accord du Lac Meech en 1987 et celle de Charlottetown en 1992 qui ont suivi le rapatriement de la constitution canadienne en 1982).
Qui plus est, le Québec vit une situation anormale qui mériterait d’être soulignée : le parti québécois veut avoir le monopole de la défense du français et la menace du recul du français est brandie avant chaque élection, parfois avec un esprit revanchard. Le français et la qualité du français gagneraient d’être l’apanage de toute la société et de toutes les tendances. Qu’on le veuille ou non, la réalité est que les minorités, même si elles sont francisées, finissent par se rapprocher de la minorité anglophone car elles finissent par associer la défense du français au parti qui veut démanteler le Canada. De son côté, le parti indépendantiste n’a pas pratiquement réussi à intégrer les minorités culturelles à son projet. Le débat sur la laïcité est également faussé car on se méfie des motivations réelles du parti qui en fait la promotion en espérant en tirer des avantages politiques.
Il faudra qu’un jour ou l’autre, on devienne un pays comme tous les pays : résolument rattaché au Canada ou indépendant. S’ils se répètent ad aeternam, l’incertitude et les malaises qu’engendrent les débats référendaires sont malsains. Victor Teboul met en évidence un nationalisme québécois à la mémoire frileuse qui a parfois des réflexes d’ethnie plutôt que ceux qui relèvent d’une nation. Il propose de décomplexer le Québec par rapport à son passé et offre une vision identitaire indépendantiste et cohérente qui est absente du paysage politique. Fort bien écrit, l’ouvrage donne à réfléchir.
Notes:
- Voir David Bensoussan, « La différence de perception entre Juifs anglophones et Juifs francophones », 1999 dans Juifs et Canadiens français dans la société québécoise, Collectif sous la direction de Pierre Anctil, Ira Robinson et Gérard Bouchard, Les Éditions Septentrion 1999. Voir http://www.editionsdulys.com/uploads/3/8/9/9/3899427/qubec_3_-_perceptions_de_juifs_anglophones_et_francophones.pdf ↩
- Voir David Bensoussan, « Lettre à un ami séparatiste », 1995. Voir http://www.editionsdulys.com/uploads/3/8/9/9/3899427/qubec_2_-_lettre__un_ami_sparatiste.pdf ↩
- Voir David Bensoussan, « L’accord de Charlottetown : dans la foulée de Cartier et Macdonald », 1995. Voir http://www.editionsdulys.com/uploads/3/8/9/9/3899427/qubec1_-_laccord_de_charlottetown.pdf ↩