Le personnage de Myriam dans la sortie d’Egypte
PAR SONIA SARAH LIPSYC
Dr Sonia Sarah Lipsyc est rédactrice en chef du LVS et directrice de Aleph – Centre d’études juives contemporaines.
Les coupes de vins et d’eau
Au cours du seder, la première nuit de la fête de Pessah, les Juifs se racontent la sortie d’Egypte des Hébreux et leur fin de l’esclavage au travers du récit du livret de la Haggadah de Pessah. Dans l’identité narrative juive, cet évènement se serait passé aux environs du 14ème siècle avant l’ère vulgaire. Le récit de cette libération, à la fois individuelle et collective, est l’un des commandements de la fête de Pessah : « Tu raconteras à ton enfant (…) » demande le verset 8 du chapitre 13 du livre d l’Exode. Et cette libération, dans la tradition juive, représente le paradigme de toute libération. « C’est dans le mois (hébraique) de Nissan que (…) l’esclavage de nos ancêtres en Egypte cessa et c’est en Nissan qu’ils seront délivrés » énonce le traité Roch HaChana 11a du Talmud de Babylone (T.B) en faisant allusion aux temps messianiques.
Il est d’usage de boire quatre coupes de vin au cours du seder. Ces quatre coupes relatent, selon l’exégèse rabbinique, les différentes étapes de l’intervention divine dans la délivrance des Hébreux 1. La cinquième coupe de vin est celle que l’on verse pour le prophète Elie, censé, dans la tradition juive, venir annoncer les temps messianiques.
Or, depuis les années 80, des féministes juives ont introduit la coupe d’eau de Myriam au cours du seder et cette nouvelle coutume a été reprise, ici ou là, dans divers courants du judaïsme, y compris chez certain(e)s orthodoxes de la sensibilité orthodoxe moderne.
La coupe d’eau de Myriam, (« koss Myriam », en hébreu), est une coupe que l’on remplit d’eau et que l’on boit, juste avant de se laver les mains et de passer au repas, au deux tiers de la cérémonie du seder et du récit de la Haggadah, de Pessah 2.
L’occasion de revenir sur ce personnage central du livre de’Exode, Myriam, sœur de Moise et d’Aaron.
Myriam la prophétesse, l’une des guides du peuple hébreu
La coupe d’eau souligne l’importance de Myriam dans l’histoire de la libération des Hébreux, d’Egypte, et au cours de la traversée du désert, en faisant allusion, bien sûr, au « puits de Myriam » grâce à qui, selon la tradition juive, le peuple juif put se désaltérer durant presque quarante ans 3. Au-delà de la dimension vitale que représente l’eau, ici dispensée grâce au mérite d’une femme, le puits revêt un aspect mystique dans l’exégèse rabbinique et kabbalistique. Les sources cachées d’une connaissance mise à jour. D’ailleurs, Myriam, la prophétesse, nommée en tant que telle dans la Bible est recensée dans le Talmud comme l’une des sept prophétesses 4 du peuple d’Israël.
Sage-femme, elle refuse, avec sa mère Yocheved, d’exécuter l’ordre infâme du Pharaon, c’est à dire de tuer les nouveaux nés mâles des Hébreux. Elle est, selon la tradition orale du Midrach, celle qui adjure son père Amram, leader de sa génération, de retourner vers son épouse alors qu’il s’en était détourné de peur d’engendrer un garçon. Elle lui fait remarquer que son attitude est encore plus meurtrière que celle du souverain d’Egypte puisqu’il refuserait même d’engendrer des filles. Par là, elle signifiait aussi que l’espérance et la confiance du peuple juif doivent transcender les décrets antisémites… Elle prédit d’ailleurs, alors qu’elle n’était que la sœur d’Aaron, « que sa mère enfanterait un fils qui sauvera Israël ». En quelque sorte Moise lui doit sa naissance…Elle est aussi celle qui, guettant la nacelle où Moise a été déposé dans le Nil, se précipite lorsque Bitya, la fille de Pharaon le trouve et l’adopte. Elle propose alors à cette dernière de trouver une nourrice pour l’enfant qui ne sera nulle autre que la mère de Moise 5.
Au moment de la sortie d’Egypte, après la traversée de la mer rouge : « Myriam, la prophétesse, la sœur d’Aaron, prit le tambourin dans sa main, toutes les femmes sortirent derrière elle avec des tambourins et des danses » (Exode 15 ; 20). D’où avaient-elles des tambourins, elles qui comme les autres ont du quitter l’Egypte, behipazon, dans la précipitation ?! « Les femmes justes de cette génération, assurées que le Saint Béni-Soit-Il allait accomplir des miracles, avaient emporté d’Egypte des tambourins » énonce le Midrash. Cette confiance, émouna, en hébreu, confine à la prophétie puisque … « Ce qu’une simple servante a vu à la mer Rouge, les prophètes ne l’ont pas vu » affirme encore le Midrach. Et le Talmud d’insister : « c’est par le mérite de ces femmes vertueuses que nos ancêtres furent délivrés d’Egypte » 6.
Myriam enseigne également la Torah aux femmes d’Israël 7. Et elle est considérée avec ses frères Moise et Aaron, comme l’une des guides (parnassim en hébreu) de sa génération 8.
Ainsi au-delà de Myriam, cette coupe rappelle l’engagement et le mérite des femmes, autant celles de cette génération de la sortie d’Egypte que des générations suivantes, dans le quotidien et l’espérance du peuple juif.
Notes:
- Voir Rabbin Dov Issachar Rubin, « Les quatre coupes de Pessah » sur le site Lamed http://www.lamed.fr/index.php?id=1&art=801 ↩
- Pour plus de détails à ce sujet, voir Sonia Sarah Lipsyc, « La coupe de Myriam au cours du rituel de la fête de Pessah ». http://judaismes.canalblog.com/archives/2014/04/22/29719301.html ↩
- Voir Nombres 20 ; 1 et 2 et le commentaire de Rachi (1040-1105) rapportant le traité Taanit 9a du T.B. ↩
- Pour Myriam la prophétesse voir Exode 15 ; 20 et le traité Meguila 14b du T.B. ↩
- Pour l’ensemble de ce paragraphe nous renvoyons au début livre de l’Exode et au traité Sota 11b-13a du T.B. ↩
- Pour l’ensemble de ce sujet, voir Midrach Mekhilta sur Exode 15 ; 2 et 20 également rapporté par Rachi Parfois la citation inclut le prophète Ezéchiel : « Ce qu’une simple servante a vu à la mer Rouge, le prophète Ezéchiel (6ème siècle avant l’ère vulgaire) ne l’a pas vu au cours de toute sa prophétie ». Voir aussi le traité Sotah 11b du T.B ↩
- Voir Midrach Yalkout Chimoni paragraphe 747 sur Nombres 12 ;12. ↩
- Voir le traité Moèd Kattan 28a du T.B. Durant ses pérégrinations à travers le désert, le peuple hébreu se vit octroyer la manne grâce au mérite de Moché, l es colonnes de nuée grâce à Aaron et l’eau grâce à Myriam (Midrach Lévitique Raba 27, 6). ↩
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