Le guide des traditions et coutumes sépharades
ENTRETIEN AVEC ILAN ACOCA PAR SONIA SARAH LIPSYC
Le rabbin Ilan Acoca est né en Israël en 1970, de parents originaires du Maroc et d’ancêtres sépharades venus d’Espagne. Après sa bar-mitsvah (majorité religieuse à 13 ans), il a quitté Israël avec ses parents pour s’installer à Montréal. Au cours de ses études secondaires, encouragé par l’un de ses professeurs à explorer davantage le judaïsme, il a étudié à la yeshiva (école talmudique) et est devenu rabbin exauçant ainsi le souhait de son grand-père, feu Rabbin Eyad Acoca qui voulait qu’un de ces descendants s’engage dans cette voie. En 1999, le rabbin Acoca est devenu rabbin de la congrégation sépharade Beth Hamidrash à Vancouver où il a servi sa communauté pendant dix-sept ans. En 2016, Ilan Acoca est devenu rabbin de la communauté sépharade de Fort Lee et de l’école Ben Porat Yosef à Paramus, New Jersey (É.-U.). Dr Sonia Sarah Lipsyc est rédactrice en chef du LVS et directrice de Aleph – Centre d’études juives contemporaines.
Pourquoi avez-vous eu envie d’écrire ce guide sur les traditions et coutumes sépharades ? Vous semblaient-elles oubliées du monde sépharade ? Inconnues des autres traditions ? Ou souhaitiez-vous apporter un éclairage particulier ?
Je voudrais premièrement vous remercier de me donner l’opportunité de faire connaître à vos lecteurs mon livre et de m’avoir invité à donner une conférence au Festival Sefarad. J’ai eu l’idée d’écrire le livre après avoir été à un mariage où le rabbin officiant se servait d’un guide pour des rabbins Loubavitch (groupe hassidique). J’ai pensé alors rédiger un guide pour les rabbins sépharades, mais après avoir partagé cette idée avec un ami publiciste, il m’a suggéré d’écrire un livre qui servirait tout le monde juif et peut être aussi le monde non juif intéressé à en savoir plus sur les coutumes sépharades. Le même jour où j’ai eu cette conversation avec cet ami, j’ai reçu le courriel d’une maison d’édition qui me proposait de publier un livre avec eux. Pour moi, c’était un signe clair de D. qu’il fallait que j’écrive ce livre. La raison principale était que, durant de nombreuses années, des personnes d’origine sépharade et ashkénaze me posaient des questions sur les sources des coutumes sépharades. D’après mon expérience, les coutumes sépharades ont été oubliés dans certaines régions du monde simplement parce que les Sépharades étaient une minorité et ont appris des ashkénazes en fréquentant leurs synagogues et leurs yeshivot (académies talmudiques). Je soutiens la diversité et souhaite que chacun suive la coutume de ses ancêtres, tradition qui malheureusement tend à se perdre simplement parce que si quelqu’un veut faire partie d’un groupe, il se doit de suivre leurs coutumes et lois. C’est un phénomène qui n’existait pas autrefois dans la tradition sépharade. C’est pourquoi ce livre me semble nécessaire afin de donner des points de repère d’une voie sépharade pour celles ou ceux qui l’ont quelque peu perdue.
Comment avez-vous conçu votre ouvrage ?
J’ai écrit ce guide d’une façon très simple pour qu’il soit facile à lire et il semblerait que ce soit le cas si j’en crois les réactions des premiers lecteurs. Le livre est divisé en cinq chapitres. Le premier couvre les offices quotidiens, le deuxième le shabbat et les fêtes, le troisième les cycles de la vie, le quatrième la culture sépharade, et le cinquième chapitre comporte différents articles au sujet du judaïsme sépharade comme la préoccupation du judaïsme sépharade de n’être jamais extrême, la pureté et la simplicité de ce judaïsme, la forte croyance en nos ancêtres, l’importance d’éduquer nos futures générations à la tradition sépharade, la tolérance et la sensibilité.
Vous avez choisi la modalité des questions-réponses. Pouvez-nous donner quelques exemples de ces questions et de quelques-unes de vos réponses ?
Prenons quelques exemples, principalement dans le cadre de la prière. Pourquoi les Sépharades s’assoient-ils pour la prière du kaddich alors que les Ashkénazes se lèvent ? Réponse : les Juifs sépharades suivent souvent les indications du grand kabbaliste, le rabbin Yitshak Luria, connu sous le nom de Ari Zal (16e siècle, Safed) qui enseigne que, d’après la kabbale, il n’y a aucune nécessité pour l’assemblée de se lever pour le kaddich (mais non point pour celui ou ceux qui le récitent ndr).
Pourquoi la hagbaha, ce lever du rouleau de la Torah pour montrer son écriture à l’assemblée, se fait-elle avant la lecture de la Torah et non après comme chez les Ashkénazes ? Cette loi est basée sur les écrits du rabbin Yosef Karo (16e siècle, Safed). Rav Haim Benveniste (17e siècle, Turquie), explique que dans les pays ashkénazes, il y’avait un groupe de Juifs qui pensaient que la hagbahah était plus importante que la lecture de la Torah parce qu’elle se déroulait avant la lecture de la Torah. Quand les rabbins ashkénazes ont vu ça, ils ont institué que la hagbahah se ferait après la lecture de la Torah pour montrer que celle-ci est plus importante que la hagbahah. Pourquoi les garçons sépharades lisent-ils la haftarah (passages tirés des prophètes bibliques) dès l’âge de sept ans ? Cette loi est basée sur les écrits du rabbin Yosef Karo qui écrit que le garçon étant capable de lire et de comprendre l’idée de la haftarah, il faut lui enseigner un haftarah d’une part, car c’est une obligation des parents et d’autre part, c’est une préparation pour la bar-mitzvah ! Pourquoi certaines communautés sépharades mangent-elles du riz à Pessah ? Cette loi est également basée sur les écrits du rabbin Yosef Karo et le Talmud qui avancent que le riz n’est pas hametz (impropre à la consommation durant Pessah), puisque le riz ne fait pas partie des cinq graines interdites par la Torah. Cependant la communauté ashkénaze et certaines communautés sépharades ont pris la coutume de ne pas consommer de riz à Pessah pour différentes raisons.
Diriez-vous que le monde sépharade est homogène ou avez-vous rendu compte des différentes coutumes selon les communautés d’origines géographiques et linguistiques différentes ?
Le monde sépharade et juif, en général, est loin d’être homogène. Il y a un vieux cliché qui dit « un Juif, deux opinions ». C’est vrai qu’il y a notre maître et guide le rabbin Yosef Karo (16e siècle), auteur du Shoulhan Aroukh (recueil référentiel des lois juives) mais il y a aussi beaucoup de coutumes différentes. Par exemple, au Maroc il y avait deux communautés : l’une se nommait les toshavim, les résidents qui ont vécu au Maroc depuis la destruction du Premier Temple (7e siècle avant l’ère vulgaire) et il y avait les megorashim qui sont arrives au Maroc après l’expulsion d’Espagne en 1492. Ces deux communautés n’étaient pas d’accord sur certaines lois et coutumes par exemple les lois de shehita (abattage rituel) et les lois de la ketouba (acte de mariage). D’ailleurs, dans la ketouba des megorashim, ils écrivaient « keminhag megurashe castillia », littéralement « comme la coutume des rescapés de Castille » pour se distinguer des toshavim. À part ça, chaque ville au Maroc avait sa propre coutume. Un deuxième exemple de cette diversité peut s’illustrer par l’évocation de la communauté de Kochin en Inde où des Juifs habitaient depuis des siècles, depuis le temps du Roi Salomon… ou la communauté irakienne qui est arrivée au 19e siècle à Mumbai et à Calcutta. Dans le livre, j’ai écrit surtout sur les coutumes en général mais, de temps en temps, je mentionne les coutumes particulières de certaines communautés.
Vous avez un passage à la fin de votre livre concernant le futur du monde sépharade. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Je suis très passionné par mon histoire et l’histoire de mes ancêtres. Je crois que c’est la responsabilité de chaque rabbin et leader sépharade de faire de grands efforts pour explorer notre passé, le vivre au présent et l’enseigner à la future génération simplement parce que c’est notre héritage et nous n’avons pas le droit de le perdre. Je suis très optimiste à ce sujet. Je trouve que dans notre génération, les gens posent des questions. Ils veulent être éduqués. C’est à nous de relever ces défis et d’enseigner. Je suis fier d’écrire qu’en ce moment, il y a deux de mes collègues ashkénazes qui ont demandé mon aide pour donner mon avis sur des ketoubot (actes de mariage) sépharades qu’ils doivent utiliser pour des mariages qu’ils vont célébrer. S’ils demandent mon avis, c’est premièrement parce que le couple qui se marie lui a demandé et parce que j’essaye d’être actif et de créer avec mes collègues sépharades une voie pour la future génération.
Craignez-vous une radicalisation du monde sépharade, car dans votre ouvrage, comme dans la conférence que vous avez donnée dans le cadre du Festival Sefarad, vous insistez sur l’esprit du juste milieu qui l’a toujours caractérisé ?
Je crois qu’en général le monde est devenu très extrémiste que ça soit l’extrême droite ou l’extrême gauche, chose qui n’a jamais existé au sein du monde sépharade. Chez nos frères et sœurs ashkénazes, ils n’avaient le choix que d’être plus extrêmes et rigides à cause du mouvement réformiste. Chez les Sépharades, ils n’avaient pas ça. Tout Juif faisait partie de la communauté. D’ailleurs, quand les gens me demandent si je suis haredi (ultra-orthodoxe), orthodoxe moderne, à droite ou à gauche, je leur réponds : « je suis un Juif sépharade » ce qui veut dire quelqu’un qui vit son judaïsme avec le juste milieu sans aucun extrême.
Je voudrais conclure en disant que la meilleure façon de réaliser cette vision du juste milieu est par l’éducation. La meilleure éducation se transmet par la manière dont on vit et se conduit. Je prie que D. me donne la santé pour continuer à propager ce message. Je vous remercie encore et souhaite un joyeux Pessah à tous les lecteurs de LVS.
Comment peut-on se procurer votre guide ?
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