Arieh Azoulay : «  Jeunesse dans la tourmente »

Les mouvements de jeunesse juifs au Maroc 1944-1964

PAR ELIE BENCHETRIT

Elie Benchetrit

Elie Benchetrit

Elie Benchetrit, journaliste et consultant en traductions.

Cet ouvrage au titre évocateur, en hébreu, Noar béséara, traduit justement par « Jeunesse dans la tourmente », est en fait le récit d’une longue aventure de près de 300 pages fortement documentées et qui relatent une histoire, une épopée héroïque, racontant une jeunesse juive marocaine qui, par son engagement dans les mouvements sionistes ou scouts, et par ses sacrifices a grandement contribué à l’édification de l’État d’Israël que nous connaissons aujourd’hui.

Ancien maire d’Ashdod, originaire de Fès au Maroc, l’auteur qui a fait son aliyah, sa montée ou immigration en Israël, en 1955, a fait partie comme beaucoup d’entre nous ici à Montréal, du mouvement scout, les EIF (Eclaireurs Israélites de France au Maroc) puis les EIM (Eclaireurs Israélites du Maroc) avant de s’engager dans la mouvance sioniste au sein de la jeunesse pionnière Habonim dont il a été le secrétaire général.

Ce livre, est préfacé par nul autre qu’ Avraham Douvdévani, Président actuel de l’Organisation Sioniste Mondiale qui écrit : « Ce livre, non seulement immortalise l’action héroïque des mouvements de jeunesse, mais parvient à nous transmettre une partie de la grande tradition du judaïsme marocain tout au long des siècles ».

C’est un effet une description réalisée avec minutie et une remarquable méthodologie historique des mouvements de jeunesse juifs au Maroc, qu’ils aient été d’obédience scout ou sioniste au cours de l’avant guerre, sous le protectorat français, puis lors de l’avènement de l’indépendance du Maroc. Au cours de cette lecture, nous irons à la rencontre de groupes ou d’associations actives au Maroc animés par le désir de participer à l’édification du nouvel État d’Israël en allant s’y installer afin d’y bâtir une société aux valeurs pionnières. On retrouve le mouvement Habonim dont a fait partie l’auteur, l’Ihoud Hanoar Hahaloutsi, Le Dror, l’Hachomer Hatsaïr, Hanoar Hatsioni, Bné Akiva et le Bétar sans oublier toutefois le rôle joué par le mouvement scout juif. Le lecteur qui se souvient de cette époque, découvrira avec nostalgie des photos inédites des participants aux camps légendaires des E.I (Eclaireurs Israélites), comme celui Ain-Kahla parmi d’autres, de même que les noms des figures légendaires reliées aux EI.

J’ai parcouru avec curiosité, puis avec enthousiasme chaque page de cet ouvrage. Je suis convaincu que beaucoup d’anciens et surtout certains cadres actuels de notre communauté sépharade, s’y reconnaîtront.

En effet le rôle majeur des EIF devenu par la suite EIM, et de l’incontournable DEJJ  (Département Éducatif de la jeunesse Juive),
des Unités populaires, est omniprésent dans le récit. Les figures emblématiques de leaders comme Robert Gamzon (Castor Soucieux de son totem) et bien entendu Edgar Guedj (Lynx Clairvoyant) plus connu sous son totem Lynclair, se retrouvent souvent dans cette saga tissée de moments heureux et également dramatiques qui ont précédé l’aliyah massive des Juifs marocains dans les années 60.

L’épisode peu connu et pourtant déterminant dans la prise de conscience de Guedj de la précarité des classes juives pauvres lors du pogrome d’Oujda  et de Djérada qui fit 37 morts et des dizaines de blessés le 7 juin 1948, c’est-à-dire quelques semaines après la naissance de l’État  d’Israël marque le début d’une prise de conscience quant à l’avenir du judaïsme marocain pris en quelque sorte en étau entre le colonisateur français, le nationalisme marocain et l’espoir naissant que projette le nouvel État Juif.

Pour revenir à l’activité des mouvements sionistes au Maroc et  de son interaction avec le mouvement des Éclaireurs Israélites, j’ai été particulièrement intéressé par les révélations apportées par Edgar Guedj, Lynclair, dans une entrevue accordée à l’auteur. Il s’avère que le mouvement des Éclaireurs Israélites de France comme mouvement religieux et apolitique « jouissait du respect et de l’estime à la fois de l’administration française et des chefs du mouvement nationaliste marocain, dont nombre avait poussé dans les rangs des scouts musulmans. Tous appréciaient son professionnalisme et son haut niveau technique dans le scoutisme. Pour première mesure, le mouvement avait, avant même le retour du Sultan, changé son appellation de E.I.F en E.I.M : Éclaireurs Israélites du Maroc. » Il convient également de souligner, comme le fait l’auteur, que les mouvements de jeunesse qu’il décrit « transmettaient aux jeunes un message pessimiste, qui concluait à l’absence d’avenir pour la vie juive au Maroc. ».  D’un autre côté, ces jeunes, mis à part les membres des Bné Akiva, étaient aux antipodes de la tradition religieuse pourtant bien ancrée au Maroc, soulevant ainsi l’ire des rabbins locaux qui n’hésitaient pas à condamner, jusqu’à s’en plaindre auprès des instances communautaires, les tendances « athées et marxisantes », des mouvements de jeunesse sionistes qui mettaient surtout en avant l’idéal kibboutzique.

Pour conclure, l’auteur met en avant le fait que, malgré les dissensions, voire les critiques qui ont pu être adressées à l’encontre de ces mouvements de jeunesse : « Ils ont été la réponse aux besoins fondamentaux de la jeunesse juive marocaine, en une période décisive ». Espérons que la lecture de ce récit contribuera à enrichir la mémoire historique de celles et ceux qui ont été les contemporains de cette époque et qu’elle rappellera également aux nouvelles générations juives, d’origine marocaine, le rôle primordial de leurs aînés dans  l’épopée sioniste.

 

Top