Du surf au Zohar

Michael Sebban

Michael Sebban

Né à Bordeaux d’origine juive algérienne, Michael Sebban a été professeur de philosophie dans les banlieues, en zone d’éducation prioritaire, et romancier à succès avant de se consacrer à l’étude, la traduction en français et la diffusion de la tradition kabbaliste.

Le surf a toujours été l’une de vos passions et elle est présente dans vos romans. Est-ce toujours le cas?

Je m’occupe depuis plus de vingt ans de la charmante communauté balnéaire de Biarritz dont je suis le délégué rabbinique. J’ai enseigné le surf et organisé des stages de surf pour la Fédération israélienne de surf. L’océan, l’eau, c’est l’énergie qui purifie. Le mikvé (bain rituel ndr), de la nature. Le surf est une très bonne discipline sportive, solitaire et exigeante même si la vie à Paris en rend l’exercice difficile.

Étudiez-vous déjà le Talmud lorsque vous avez commencé à écrire vos romans comme La terre promise pas encore (Ramsay 2002), Kotel California (Hachette Littératures, 2006)?

J’ai eu très jeune une grande attirance pour les textes juifs et j’essayais toujours d’organiser et de participer à des cercles d’études. Je suivais les cours du Séminaire israélite de France en 1990, oui bien avant d’écrire des romans.

En Israël, où vous avez séjourné, vous avez été également secrétaire à Jérusalem du philosophe juif Benny Levy (1943-2005), l’ancien secrétaire de Sartre et le fondateur avec Bernard-Henri Levy et Alain Finkelkraut de l’Institut d’études lévinassiennes?

Ma rencontre avec Benny Lévy (zal) a été déterminante, en 1999. Nous avons monté ensemble à Jérusalem en 1998 l’institut de philosophie et de littérature de l’Université Paris 7 qui est devenu ensuite l’institut d’études lévinassiennes. J’ai vécu à ses côtés pendant ces années et elles m’ont pour ainsi dire éveillé sur la philosophie, le judaïsme, l’étude, le monde. Je suis rentré en France en 2000 et je suis devenu le délégué de l’institut à Paris jusqu’à la disparition de Benny Lévy, pendant la fête de Souccot, en 2003.

De retour en France, depuis quelques années vous vous consacrez notamment à la traduction du Zohar, l’un des textes fondamentaux de la Kabbale et à l’enseignement. Comment vous êtes-vous initié à cette dimension ésotérique du judaïsme?

L’étude du Zohar s’est imposée à moi après ma rencontre avec Benny. J’étais déjà attiré par ce texte d’une infinie puissance mais disons que je n’étais pas encore en contact permanent avec ce livre. Je participais déjà à Paris, à Jérusalem, à Nice à des cercles d’études de la Kabbale mais l’étude du Zohar c’est un monde en soi et il a fallu des années et il m’en faudra encore beaucoup pour effleurer les profondeurs du plus haut des livres comme le décrit le kabbaliste Rabbi Moshé
Cordovéro (1522-1570). Il faut trouver des maîtres, des compagnons d’études mais surtout des livres. En effet, les livres qui permettent l’étude du Zohar sont très rares et ça a toujours été là le point fondamental dans l’histoire de l’étude du Zohar; des dictionnaires, des commentaires, des éditions rares.

Quelles sont exactement les traductions sur lesquelles vous travaillez et vos publications à ce sujet?

J’ai fondé avec quelques amis l’association Beit Hazohar en 2011 pour diffuser et promouvoir l’étude du Zohar qui est malheureusement très marginale aujourd’hui. Une partie de ce travail consiste en des publications : traductions bilingues, outils d’études, dictionnaire en hébreu et en français. J’ai commencé une série de traductions du Zohar à partir de la sélection de textes de l’ouvrage connu sous le nom de Hoq lé Israël. C’est une bonne approche pour s’initier à l’étude du Zohar avant d’aborder les parties plus complexes. Le troisième volume portant sur Wayqra (Lévitique), le 3e livre de la Torah, est en cours. Le premier tome de la traduction des Tiqqouney Hazohar (appendice fondamental du Zohar ndr) paraîtra en mars 2016. Les Tiqqouney Hazohar n’ont jamais été traduits dans aucune langue à part l’hébreu. Cette traduction a été faite en collaboration avec Mr Nissim Sebban qui travaille sur ce texte depuis 25 ans. D’autres ouvrages sont en cours en hébreu et en français et nous accueillons volontiers les personnes et les moyens qui veulent s’associer à notre travail.

Vous enseignez dans votre propre Beit Hamidrach, maison d’études, que vous avez créé qui se nomme Beit Hazohar. Qui assistent à vos cours?

Le Beit Hamidrach du centre Edmond Fleg, dans le 6e arrondissement de Paris, est un Beit hamidrach ouvert à tous, aux hommes et aux femmes. Aux étudiants qui fréquentent ce centre mais aussi aux fidèles de la synagogue et à tous ceux qui sont intéressés par l’étude des textes. Des cours de Torah, Talmud, pensée juive et bien sûr de Zohar y ont lieu toutes les semaines. Nous organisons aussi des journées d’études tous les trimestres. Le thème de cette année est le Pur et le Saint. Les journées d’études ainsi que la plupart de mes cours sont en ligne sur Akadem ou sur YouTube, Beit Hazohar.

Quel est justement l’impact d’internet et des médias sociaux que vous utilisez beaucoup ainsi que l’envoi de votre bulletin de nouvelles?

Il y a une véritable communauté mondiale de gens intéressés par l’étude et c’est l’intérêt d’Internet de permettre à ce savoir d’être diffusé. Il y a une communauté des textes et les outils digitaux que tout le monde utilise aujourd’hui devraient d’abord servir à cela. Même les maîtres juifs du XIe siècle et ceux d’avant avaient des contacts et des échanges avec leurs semblables aux quatre coins du monde.

Comment considérez-vous l’apport des maîtres sépharades à la pensée juive, notamment kabbalistique?

N’oublions pas que la Kabbale a été florissante en Espagne, au Portugal, en Italie, et dans tout le Maghreb. La Kabbale sépharade a une longue et riche histoire. L’étude du Zohar a toujours été une tradition dans le monde sépharade et on n’imagine pas combien le Zohar est au cœur du judaïsme sépharade. Il existe de nombreux commentaires sur le Zohar et majoritairement, il s’agit de commentaires sépharades dont certains n’ont jamais été publiés. J’ai quelques idées sur le pourquoi de la chose mais ce serait très long à expliquer dans le cadre de cet entretien. L’approche sépharade de la Kabbale est aussi bien différente de celle des maîtres ashkénazes bien qu’évidemment, il y eut des échanges entre ces maîtres, dont certains sont savoureux comme celui entre Rabbi Shalom Bouzaglo (1700-1780) et Rabbi Yonathan Eibeshutz (1690-1784). Bref, des tas de raisons, historiques, politiques mais aussi sur l’approche même de la Kabbale, ont fait que les maîtres sépharades ont excellé dans ce domaine et que malheureusement le monde sépharade contemporain fait peu ou pas grand chose pour les étudier, les diffuser, les imprimer, etc. C’est aussi l’une des raisons pour laquelle j’ai créé Beit Hazohar. Beit Hazohar est le nom de la Hevra (confrérie) d’étude du Zohar qui existait à Constantine à la fin du XIXe siècle.

Comment vous sentez-vous actuellement comme Juif de France?

Le constat est plus celui de la situation de la société française elle-même que celle des Juifs de France. Pour les Juifs l’antisémitisme est un très vieux monstre que nous connaissons assez bien mais qui revêt à chaque époque des habits nouveaux. Mon expérience de prof de philosophie dans les banlieues parisiennes m’a poussé à écrire mon roman Léhaïm et j’ai vu telle une évidence l’état de la France et son malaise le plus profond. Et comme à chaque époque, l’antisémitisme est aussi un symptôme d’une crise de civilisation. Le constat que j’ai fait dans Léhaïm en 2004 n’a malheureusement pas été contredit par les faits, bien au contraire, et je n’ai rien à y ajouter. Je ne participe plus depuis cette époque aux débats publics sur cette question parce que pour moi l’heure de tous ces discours est terminée depuis longtemps.

Sonia Sarah Lipsyc

Top