Deux écoles juives au temps du confinement : Maïmonide et Yavné

PAR Emmanuelle Yaël Belliard

 

 

 

 

 

 

Le 12 mars dernier, au début de la pandémie, les autorités locales ont pris des mesures de fermeture de tous les lieux d’enseignement à Montréal. Les écoles juives n’ont pas échappé à la règle et parmi elles, Maïmonide et Yavné, francophones et sépharades, ont su gérer cette urgence de manière remarquable, mettant toujours le bien-être des élèves au centre de leurs préoccupations. 

« Nous nous sommes réunis dès le vendredi 13 mars, explique Laurence Fhima, directrice exécutive de Maïmonide, avec Eric Méchaly, directeur du secondaire, Yamin Benaroch, directeur des études juives,Catherine Lakine, coordonnatrice pédagogique, et toute l’équipe d’enseignants. Nous avons travaillé dimanche et lundi pour que les élèves puissent avoir leurs cours en ligne dès le mardi 16 mars », explique-t-elle. 

À Maïmonide, la plupart des élèves de 6e année et du secondaire suivaient déjà des cours sur leurs tablettes, néanmoins l’adaptation n’a pas été si évidente et facile : « Nous avons dû créer un nouvel horaire, explique Eric Mechaly, et quantifier le nombre de périodes en fonction de ce que l’élève peut prendre. Nous avons opté pour quatre périodes par jour, un modèle efficace copié par d’autre écoles, et placé des activités interactives non obligatoires en fin de journée pour soulager parents et élèves », dit-il. L’équipe administrative a également décidé d’y aller avec la plateforme Google Meet, un outil éducatif parfaitement adapté aux besoins de l’école. « Le plus beau de l’histoire, poursuit-il, c’est le remarquable travail d’équipe qui s’est opéré entre enseignants, parents et direction. Cette cohésion a largement contribué à la réussite de l’école pendant le confinement », précise-il. 

Du côté de Yavné, la réactivité a été tout aussi grande à l’annonce de la fermeture des écoles, mais l’enseignement étant plus traditionnel, sans tablettes ni internet, il a fallu partir de zéro. « Au départ, explique le Rav Sidney Saadia Elhadad, fondateur et président de Yavné, mes rabbins et certains enseignants étaient récalcitrants à l’idée de faire cours en ligne. Mais ils ont fait contre mauvaise fortune bon coeur, ont relevé le défi avec brio et sont tombés amoureux de la formule. Nous avons su tirer le positif de ces technologies et toute l’équipe de Yavné a vécu la magie d’un enseignement à distance où les élèves se sont rapprochés de leurs enseignants et vice-versa », souligne-t-il. Yavné s’est servi de Zoom pour faire les cours à distance et de Google Classroom pour mettre les documents numérisés, déposer les textes et les corrigés. L’école a choisi d’aérer le programme et de garder un ratio de soixante pour cent de la charge normale. « Malgré cet allègement, explique le Rav Elhadad, tous les enseignants, enseignantes et rabbins ont terminé leur programme, et tous les élèves ont reçu l’aide et le soutien nécessaire pour réussir » dit-il. Les élèves qui éprouvaient certaines difficultés ont été pris en main par des orthopédagogues et grâce à ça ils n’ont jamais manqué un seul Zoom. Les cours en ligne ont calmé certains élèves, habituellement stressés par l’école, et d’autres sont sortis de leur bulle pour prendre la parole et s’épanouir. Lorsque les enseignants sentaient la fatigue s’installer vers la fin de la semaine, c’était le moment de faire de la pâtisserie ou des challot pains de shabbat pour honorer les tables de shabbat, ou bien d’organiser des débats pour permettre aux élèves d’extérioriser leur angoisse du virus. « Aucun mot n’est assez fort, dit le Rav Elhadad, pour remercier tout le corps enseignant de sa générosité pour les heures fournies en dehors des cours et tout le travail incommensurable qu’ils ont su donner. Cette complicité par l’entremise d’écrans tient du véritable miracle! » souligne-t-il 

Le triangle école-enseignant-maison renforcé 

Pendant le confinement, le triangle école-enseignant-maison s’est formé de façon exponentielle. L’enfant est devenu davantage le centre d’intérêt en classe et à la maison, où les parents étaient plus présents et jouaient le rôle d’assistant autant auprès des enfants que des professeurs. « C’était un apprentissage dans l’amour, explique le Rav Elhadad. En éducation c’est connu, le levier principal pour faire avancer les enfants c’est l’attention, celle des professeurs et des parents », dit-il. 

Il faut insister sur le travail colossal fourni par l’ensemble du corps enseignant qui s’est investi corps et âme pendant ce confinement. « Pour donner une période de cours en ligne, explique Catherine Lakine professeur de français de 6e année à Maïmonide, j’ai dû préparer beaucoup plus de contenus éducatifs. Tout était mis par écrit et numérisé. Chaque dimanche j’envoyais une feuille de route avec toutes les sessions planifiées et tous les documents à imprimer pour la semaine. Il y avait une grande communication avec les parents et ça permettait de suivre plus d’élèves individuellement » dit-elle. Dans le cas des deux écoles, les professeurs et les parents avaient créé des groupes sur WhatsApp pour échanger idées et commentaires et maintenir une plus grande synergie. Cette approche personnalisée avec chaque enfant et parent est l’une des raisons du succès de l’école confinée. 

Deux écoles généreuses et techno 

Maïmonide comme Yavné n’ont reçu aucune aide gouvernementale ni de la communauté pour pallier les difficultés techniques des premières semaines. Les deux établissements ont acheté ou collecté tablettes et laptops pour les distribuer aux familles nombreuses et aux enseignants peu ou pas équipés. Tout a été pensé pour faciliter le bien-être de l’élève, des parents et des enseignants. « Au début, explique Odette Ohayon, maman de Yair en 4e année à Yavné, c’était très difficile pour moi. Nous sommes une famille très orthodoxe avec cinq enfants scolarisés. Nous n’avions pas accès à toute cette technologie. Mon fils a des difficultés à l’école et il n’arrivait pas à suivre. Son enseignante, Mme Timsit, a demandé à Yavné de nous livrer un laptop. Quand Yair l’a reçu et qu’il a su que c’était pour lui, il s’est senti responsable. Par la suite, il a été très assidu et s’est assis devant son écran quinze minutes avant chaque début de cours! », précise-t-elle. 

Apprendre selon les voies de l’enfant 

« Le roi Salomon, explique le Rav Elhadad, a dit : la base de l’éducation juive consiste à enseigner à l’enfant selon ses voies à lui. La Torah a donné aux parents le rôle d’enseigner aux enfants parce qu’ils savent exactement quoi enseigner et comment doser. Aujourd’hui personne n’a le temps et l’éducation se fait par procuration par l’école », explique-t-il. Or le danger de l’école c’est de mettre tout le monde à la même enseigne. L’enseignement sur Zoom aura permis de revenir un peu à la base de l’éducation juive : adapter le contenu au niveau de chaque élève. C’est comme si on avait cassé la barrière formelle de l’école pour rentrer dans une bulle plus personnelle entre l’enseignant et l’enfant. « Le Roi David a dit : De tous mes élèves j’ai appris, souligne le Rav Elhadad. Avec les cours en ligne, l’enseignant s’est mis avec humilité au niveau de l’élève et il a beaucoup appris en retour. En effectuant ce mouvement du haut vers le bas, le professeur a, sans le savoir, déclenché un relais de lumière divine qui est descendue sur lui et sur l’élève, et tout le monde est sorti gagnant! » souligne-t-il. 

Une fin d’année différente 

Les enfants, semble-t-il, ont adoré se lever plus tard, ne pas vivre le stress de courir à l’école, ne pas porter d’uniforme et avoir leurs après-midis de libre. Dans l’ensemble, les cours à distance ont eu un effet positif sur tous, même si vers la fin une certaine lassitude s’est installée. 

Pour les élèves en dernière année du primaire ou du secondaire, la fin de l’année n’a pas été comme ils l’imaginaient. Rafaelle Bohadana, élève de 6e année à Maïmonide explique : « Je me suis bien adapté et j’ai aimé les cours en ligne, je n’en ai manqué aucun, mais je préfère les cours en présentiel au sein de l’école » dit-elle. Le social, la camaraderie, les échanges en classe, les interactions entre élèves et professeurs ont énormément manqué aux élèves. « Ma bat mitzvah 1 a été reportée à l’année prochaine, explique Rafaelle, mon voyage de fin d’étude en Israël ainsi qu’un shabbaton 2 dans le nord ont été annulés et ça m’a vraiment démoralisée », dit-elle. Sous l’initiative et les efforts de Mme Fhima et M. Mechaly, Maïmonide a réalisé le fameux Maïmo Show 2020 en vidéo, ainsi qu’une remise de diplômes au parc avec ballons, cadeaux et photographe et une fête surprise de graduation dans la cour arrière de l’école. À Yavné, les remises de diplômes ont eu lieu devant l’école avec messages des diplômés, remises de cadeaux et posters, prises de photos. Malgré la distanciation sociale, les diplômés des deux écoles étaient très heureux de se retrouver et ces événements leurs ont largement remonté le moral! 

Les deux écoles envisagent une rentrée normale avec un plan B en cas de nouvelle pandémie. Elles considèrent que leurs élèves sont prêts. « Nos élèves de 5e secondaire, précise Mme Fhima, ont suivi des cours intensifs de préparation au Cégep et nos élèves de 6e année ont été préparés pour la transition au nouveau secondaire mise en place pour l’année prochaine et dans lequel ils seront regroupés par cycle sur chacun des campus », dit-elle. 

De son côté, Yavné prépare sa rentrée comme si de rien n’était. « S’il devait y avoir une autre vague, précise le Rav Elhadad, nous avons déjà toute la technologie en place. Certains enseignants souhaitent garder ces nouveaux outils de travail pour faire des renforcements avec leurs élèves » souligne-t-il. À la demande des parents, dont certains suivirent les cours, les deux écoles auront des Zoom cet été : comme quoi, il n’y a pas d’âge pour apprendre!

 

Notes:

  1. Cérémonie marquant la majorité religieuse à 12 ans pour une fille. 
  2. Shabbat organisé pour des jeunes.
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