« La Mémoire sépharade continue de hanter le Portugal »

UNE ENTREVUE AVEC LE CÉLÈBRE JOURNALISTE ET ROMANCIER PORTUGAIS JOSÉ RODRIGUES DOS SANTOS PAR ELIAS LEVY

Elias Levy

Elias Levy

Avant de déambuler dans les artères envoûtantes de Lisbonne et de découvrir hébété les monuments historiques majestueux de cette cité magnifique baignant dans une lumière exceptionnelle, j’ai dévoré le roman magistral et haletant de José Rodrigues Dos Santos, Codex 632. Le Secret de Christophe Colomb (Éditions Hervé Chopin).

Ce thriller mystico-historique passionnant nous fait sillonner des sites et des rues emblématiques de la capitale lusitanienne toujours hantés par la Mémoire sépharade : le Monastère dos Jeronimos, édifié par le Roi Manuel Ier (1496-1521) en 1501 pour célébrer les exploits maritimes du grand navigateur portugais Vasco de Gama; le lacis des ruelles de l’ancienne Juderia – Juiverie (quartier juif) – menant à l’imposant Castelo de Sao Jorge, une forteresse bâtie par les Musulmans vers le milieu du XIe siècle; la magnifique Tour de Belém, construite sur les bords du Tage dans la Freguesia – municipalité – de Santa Maria de Belém entre 1515 et 1521 par le Roi Manuel Ier pour défendre l’entrée du port de Lisbonne…

José Rodrigues Dos Santos

José Rodrigues Dos Santos

Codex 632 nous plonge dans les dédales nébuleux de l’une des plus fascinantes énigmes historiques non élucidées à ce jour : la vraie identité de Christophe Colomb et la véritable histoire des grandes Découvertes du XVe siècle.

Quels rapports secrets Christophe Colomb entretenait-il avec le Judaïsme?

À travers l’insaisissable personnage du découvreur du Nouveau Monde, José Rodrigues Dos Santos relate avec brio un chapitre cardinal, mais fort mal connu, de l’Histoire du Séphardisme: le combat homérique mené par les Sépharades chassés de l’Espagne inquisitoriale et ayant trouvé refuge au Portugal pour préserver, contre vents et marées, leur identité juive très menacée.

Journaliste, ancien reporter de guerre et présentateur vedette du Téléjournal de 20 h au Portugal, José Rodrigues Dos Santos s’est imposé comme l’un des plus grands auteurs contemporains de thrillers historiques.

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La Clé de Salomon

Ses romans historiques et de vulgarisation scientifique, La Formule de Dieu, L’ultime Secret du Christ – ce roman historique magistral sur les origines juives de Jésus suscita lors de sa parution une grande polémique au Portugal –, La Clé de Salomon… ont connu un grand succès mondial.

Traduits en dix-sept langues, les romans de José Rodrigues Dos Santos – traduits en français par les Éditions Hervé Chopin – se sont écoulés à plus de 8 millions d’exemplaires.

S’appuyant sur des thèses historiques ou scientifiques avérées, José Rodrigues Dos Santos parvient à nous faire comprendre avec une facilité parfois déconcertante des notions philosophiques, historiques et scientifiques complexes.

Ce journaliste polyglotte, qui a une très bonne connaissance de l’hébreu, a séjourné plusieurs fois en Israël pour effectuer des recherches qui ont constitué le matériau de base de plusieurs de ses romans, notamment Codex 632. Le Secret de Christophe Colomb et L’ultime Secret du Christ.

Rencontre avec un brillant romancier-enquêteur obsédé par la vérité historique.

LVS : Selon vous, Christophe Colomb était un Sépharade portugais et non un Génois catholique, comme l’affirment encore avec assurance de nombreux historiens. La signature du célèbre navigateur recèlerait même des symboles hébraïques consignés dans la Kabbale.

Codex 632: Le Secret de Christophe Colomb

Codex 632: Le Secret de Christophe Colomb

José Rodrigues Dos Santos : J’ai rencontré à Jérusalem un éminent Kabbaliste, ancien Grand Rabbin de Lisbonne, qui vit aujourd’hui en Israël. Il m’a démontré, en appuyant son raisonnement sur plusieurs Traités kabbalistiques, que la signature de Christophe Colomb est kabbalistique. Dans la signature de Colomb apparaissent le mot Xpo, qui signifie en grec « Christ », et le mot Ferens, qui est une forme du verbe latin fero, qui signifie « porter ». Xpoferens est Christoferens, appellation signifiant « celui qui porte le Christ ». « Christ » est à la base des noms Cristovao, Cristobal et Cristoforo. C’est un nom qu’aucun Juif n’utiliserait. Personne en Israël n’appellerait son enfant ainsi, m’a expliqué ce Grand Rabbin Kabbaliste. Comment Colomb s’il était Juif aurait-il pu avoir comme prénom Cristovao ou Cristobal et signer Cristoferens? D’après mon interlocuteur israélien, un seul type de Juif est capable de faire ça, un Juif voulant à tout prix se faire passer pour un Chrétien, mais qui professe toujours sa foi juive en secret. Un tel homme aurait pu prendre « Christ » comme prénom. Mais pour se réconcilier avec Dieu, il a inclu dans sa signature kabbalistique un terme subtil exprimant le rejet catégorique du nom de Jésus, effaçant ainsi ce patronyme et son souvenir. Christophe Colomb était, selon toute probabilité, un Sépharade né sous un autre nom qui demeure inconnu. Il a caché sa vraie religion sous un manteau chrétien, mais n’est jamais devenu un nouveau Chrétien. Il était ce qu’on appelle un « Marrano ». Colomb était fort probablement le fils illégitime d’un noble portugais et d’une femme Juive sépharade. Ce qui à cette époque n’était pas rare au Portugal.

LVS : Avez-vous trouvé au cours de vos recherches d’autres indices de la Judéité de Christophe Colomb?

J.R.D.S. : Oui. Dans son Journal, toutes les citations de la Bible proviennent de l’Ancien Testament et non du Nouveau Testament. Très étonnant pour un supposé Catholique méconnaissant totalement le Judaïsme. Un autre indice de sa probable Judéité : Colomb a embarqué sur le navire Santa Maria au port de Palos, à Cadix, le 3 août 1492, le jour même où la Loi d’expulsion des Juifs fut promulguée en Espagne, pas le lendemain.

LVS : L’identité réelle de Christophe Colomb est une énigme historique très complexe qui n’a jamais été dénouée?

J.R.D.S. : La figure alambiquée de Christophe Colomb nourrit depuis plusieurs siècles une intrigue lancinante fondée sur un grand malentendu. Deux hommes aux patronymes très proches ont vécu au XVe siècle: l’un, appelé Colombo, un plébéien illettré né à Gênes, devenu marin à l’âge de 14 ans, et l’autre, appelé Colon, un amiral et érudit marié à une femme de la noblesse apparentée à la famille royale portugaise. Depuis le début du XIXe siècle, des historiens, notamment italiens, se sont escrimés à nous faire croire qu’il s’agit d’un seul et même homme. La longue enquête que j’ai menée pour écrire Codex 632 met en charpie la thèse selon laquelle Christophe Colomb était Génois. Je démontre que tous les documents tendant à corroborer cette thèse établie, mais très lacunaire, sont des faux. En effet, il est difficile de croire que le fils d’un humble tisserand de Gênes aurait pu pénétrer dans le monde très secret et très sélect des navigateurs. À cette époque, seuls des individus appartenant à la noblesse pouvaient acquérir les connaissances et la formation marine nécessaires pour mener à bien une ambitieuse expédition maritime. Par ailleurs, quand Colomb a eu besoin de se procurer la carte conçue par le célèbre géographe Toscanelli qui, en se basant sur la sphéricité de la terre, préconisait la découverte de l’Orient en mettant le cap sur l’Occident, la lettre qu’il écrivit à ce dernier était rédigée en portugais. Le nom de Colomb n’apparaît dans aucun document de cette époque. Il n’a jamais signé « Colombo » dans aucun document connu, ni mentionné la version latine de son nom. Dans les Archives maritimes de Gênes, pas un seul document ne mentionne non plus un navigateur portant ce nom.

Le Monastère dos Jeronimos, Lisbonne (Photo: Elias Levy)

Le Monastère dos Jeronimos, Lisbonne (Photo: Elias Levy)

LVS : Toutes vos recherches historiques ont été lues et analysées par des spécialistes renommés de Christophe Colomb et de l’Histoire du royaume du Portugal de l’époque des grandes expéditions maritimes qui débouchèrent sur la découverte des Amériques.

J.R.D.S. : Absolument. Chaque fois que j’écris un livre, je sollicite l’avis de spécialistes reconnus des sujets que je traite, à qui je soumets mes hypothèses pour une évaluation critique. Tous les documents, livres d’Histoire et autres sources historiques cités dans mon roman sont authentiques. Tous les résultats de mes investigations ont été passés au crible par de grands historiens et spécialistes de Christophe Colomb et du Portugal des XIVe et XVe siècles. Le plus éminent historien portugais des grandes Découvertes maritimes m’a confié avoir revu sa position sur cette question après avoir lu mon enquête et pris acte de la crédibilité des ouvrages que j’ai lus et des sources historiques que j’ai utilisées pour mener à
bien celle-ci.

LVS : Pourtant, la thèse affirmant que Christophe Colomb était Génois prédomine toujours dans les cénacles d’historiens.

J.R.D.S. : Oui, regrettablement. Ce sont des historiens italiens du XIXe siècle qui se sont échinés à conférer une crédibilité à l’hypothèse selon laquelle Christophe Colomb était Génois. Au moment de l’unification de leur pays, les Italiens avaient impérativement besoin d’un héros national. Ces historiens transalpins n’ont pas fait de l’Histoire, mais de la politique. Cette hypothèse historique, qui n’a jamais été corroborée scientifiquement, a été reprise par d’autres historiens. Ainsi, la politique la plus idéologique a fini par prendre le dessus sur la vérité historique.

LVS : Beaucoup de Sépharades fuyant l’Inquisition instaurée par les Rois Catholiques d’Espagne, qui prônaient la pureté du sang, ont trouvé refuge au Portugal, où ils ont bénéficié pendant plusieurs années de la protection royale et de nombreuses prérogatives.

J.R.D.S. : L’Inquisition fut instituée en Espagne une décennie avant l’expulsion des Juifs de cette contrée. À cette époque sombre, les Juifs du Portugal jouissaient encore de la protection royale. Le Roi Alphonse (1432-1481) leur permettait de vivre hors des Juderias et de ne pas porter des signes ni des habits distinctifs. Au moment de l’expulsion des Juifs d’Espagne, les Juifs du Portugal appartenaient aux classes les plus favorisées de la société. Malgré la promulgation de lois répressives, ces derniers jouissaient encore d’un énorme prestige. De nombreux Juifs portugais occupaient des postes officiels de la plus haute importance. Bon nombre d’entre eux étaient détenteurs de grosses fortunes. La contribution des Juifs au Trésor royal portugais était considérable. En 1497, peu avant la conversion forcée des Juifs, les Juderias payaient des impôts très élevés. Les Juifs ont grandement contribué à l’essor économique et social du royaume du Portugal du XVe siècle. Les plus éminents médecins, mathématiciens, cartographes, marins, historiens, pionniers de l’imprimerie… portugais étaient Juifs. Le plus célèbre des astronomes et des mathématiciens du XVIe siècle fut certainement Pedro Nunes (1502-1578), un nouveau Chrétien né dans la cité portugaise d’Alcacer do Sal.

La Tour de Bélem, Lisbonne. (Photo: Elias Levy)

La Tour de Bélem, Lisbonne. (Photo: Elias Levy)

LVS : Le Portugal finira par instituer une politique inquisitoriale impitoyable pour obliger les Juifs à se convertir au Christianisme.

J.R.D.S. : S’il est vrai que le Portugal a accueilli la plupart des exilés sépharades expulsés d’Espagne, cinq ans plus tard, la majorité d’entre eux furent convertis de force au Catholicisme, devenant ainsi des nouveaux Chrétiens. La violence du Roi Manuel Ier contre ses sujets Juifs fut la résultante de ses intérêts politiques vis-à-vis de l’Espagne voisine. Le cousin et successeur du Roi Jean II souhaitait ardemment placer le royaume d’Espagne sous la couronne du Portugal. Pour atteindre cet objectif ambitieux, il se devait d’épouser la princesse Isabel, fille des Rois Catholiques. Mais avant de lui accorder la main de leur fille, les Rois Ferdinand et Isabel imposèrent au Roi Manuel Ier une condition incontournable : l’expulsion de tous les infidèles au Catholicisme, Juifs et Maures. En décembre 1496, le Roi Manuel Ier signa la clause du mariage qui obligeait tous les infidèles, Juifs et Maures, à quitter le Portugal dans un délai de dix mois, sous peine de mort et de confiscation de tous leurs biens. Ce fut le début de l’époque la plus sinistre de l’Histoire du Portugal.

LVS : Le « marranisme » a laissé des traces indélébiles dans la société portugaise.

J.R.D.S. : Sans aucun doute. La conversion forcée des Juifs portugais au Catholicisme engendra une nouvelle religion: la « religion marrane ». Celle-ci s’adapta et se modela selon les régions et les conditions sociales locales. Les adeptes du « marranisme » portugais conservèrent quelques pratiques de base de la religion juive : l’observance du Shabbat; le jeûne du Yom Kippour – qu’on appelle en portugais Dia Grande; la célébration de la fête de la Reine Esther (Pourim); la célébration de la Pâque juive avec la préparation du pain enzyme. Par contre, la pratique de la circoncision, acte religieux juif sévèrement condamné par l’Église catholique, fut abandonnée, sauf dans quelques cas très rares. Ces traditions juives, transmises oralement, survécurent pendant plus de trois siècles dans l’empire portugais. Ces nouveaux Chrétiens, qui abhorraient le Catholicisme, connaissaient de manière très confuse les traditions du Judaïsme orthodoxe. N’étant ni Juifs, ni Chrétiens, ces nouveaux Chrétiens assumaient pleinement le stigmate du Judaïsme dans leur identité. On peut classer les nouveaux Chrétiens en trois catégories : les Chrétiens fidèles à la religion de Jésus-Christ; les « Crypto-Juifs », qui pratiquaient en catimini les traditions religieuses juives et résistèrent pendant des siècles au modèle religieux dominant imposé par l’Église catholique, et les « mécréants », qui rejetaient toute forme de religion révélée. Chose certaine, l’apport des nouveaux Chrétiens à la société portugaise fut très important. Les traces du « marranisme » sont toujours ostensibles dans la trame identitaire et la Mémoire historique du Portugal.

LVS : Quel regard portez-vous sur la communauté juive du Portugal d’aujourd’hui?

J.R.D.S. : Au fil du temps, la communauté juive portugaise s’est réduite comme une peau de chagrin. En 1536, alors que l’Inquisition instaurée par les monarques portugais battait son plein, quelque 400 000 Juifs furent expulsés du Portugal ou massacrés dans les colonies sous la férule du royaume portugais. Les Juifs qui restèrent furent contraints de se convertir au Christianisme. Aujourd’hui, la communauté juive du Portugal ne compte plus qu’environ 1 500 personnes. C’est une communauté qui s’est lentement vidée. Le gouvernement portugais a adopté en 2015 une Loi visant à redonner la nationalité portugaise aux descendants des Sépharades qui ont été bannis du pays au XVe siècle quand l’Inquisition fut instaurée. C’est une mesure symbolique très juste, mais qui pour beaucoup de Juifs arrive trop tard. Mais, il ne faut pas oublier que le Portugal compte dans sa population des milliers de descendants des nouveaux Chrétiens qui se sont fondus dans le tissu social. Bon nombre d’entre eux, tout en étant de fervents Catholiques, connaissent leurs origines juives ou continuent de se questionner sur celles-ci. Dans les registres inquisitoriaux, on retrouve des noms de nouveaux Chrétiens que beaucoup de Portugais catholiques portent aujourd’hui : Henriques, Morao, Mendes, Pereira, Rodrigues, Silva, Souza, Mascarenhas, Matos, Pessoa, Preto… Au Portugal, les mélanges entre les populations juive et chrétienne ont été très importants. Une étude réalisée dernièrement par l’Université de Lisbonne en collaboration avec l’Université de Caroline du Sud, aux États-Unis, a montré que le patrimoine génétique des Portugais est constitué à 40 % de gènes juifs. Il est fort probable que mes ancêtres étaient Juifs. Il en de même pour Cristiano Ronaldo, joueur vedette du club de football Real Madrid. La probabilité qu’il soit demi-Juif
est élevée!

Elias Levy

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