Les non-dits du conflit entre Israël et les Palestiniens
Né à Marrakech (Maroc), docteur d’État en mathématiques, écrivain, psychanalyste et philosophe, auteur de 50 livres, Daniel Sibony, parfait arabisant, est un fin connaisseur des textes coraniques.
Dans son livre Les non-dits d’un conflit. Le Proche-Orient après le 7 octobre (éditions Intervalles, 2025), il s’appuie sur les textes bibliques et coraniques pour montrer éloquemment que le conflit qui oppose Israël aux Palestiniens puise ses racines dans une haine vieille de treize siècles.
Un essai brillant, érudit et iconoclaste qui déboulonne les principales idées reçues sur le sempiternel contentieux israélo-arabe.
Daniel Sibony a répondu aux questions de La Voix sépharade.

Était-il important pour vous d’écrire ce livre après les événements tragiques du 7 octobre 2023 ?
J’ai écrit 50 livres, et pour chacun d’eux, il m’a semblé important de le faire. Chaque fois, j’étais stimulé par un ou plusieurs chocs que je recevais et auxquels je répondais par la pensée et par l’écriture.
Dans le cas des Non-dits d’un conflit. Le Proche-Orient après le 7 octobre, j’ai été certes stimulé par le choc de l’événement – notamment par la colère suscitée par l’impréparation des Juifs –, mais surtout par la cacophonie d’interprétations tendancieuses et mal fondées, qui noyaient le problème dans l’horreur des faits. Or ce problème existe depuis treize siècles et n’est pas près d’être résolu. Il m’importait de fournir des outils et un cadre pour penser cet événement.
Selon vous, le terme « pogrom » n’est pas le plus approprié pour qualifier les massacres perpétrés par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023. Vous préférez utiliser le qualificatif de djihad, une guerre sainte prescrite par le Coran à ses fidèles les plus zélés. Expliquez-nous pourquoi ?
Un pogrom est un massacre de Juifs, perpétré dans le cadre de leur statut de minorité persécutée, que ce soit en Russie, en Europe ou dans le monde islamique. C’est une célébration meurtrière de leur impuissance, incluant viols, pillages et tueries.
Le 7 octobre 2023, il ne s’agissait pas d’une attaque contre une minorité persécutée, mais d’une attaque contre un État juif souverain, dans un cadre codifié par le Coran comme celui d’une guerre sainte (djihad) contre les infidèles. Voyez les sourates 4 et 9.
Le mot djihad n’apparaît pas sous cette forme dans le Coran, ce qui permet à des islamologues propagandistes de prétendre que le djihad n’existe pas dans le Coran. Mais le verbe « faire le djihad » y figure bien.
Les Juifs y sont désignés comme les infidèles par excellence, puisqu’ils sont les premiers à avoir reçu le message divin et l’ont, selon le Coran, trahi en ne devenant pas musulmans comme Abraham, Moïse, David, etc., qui sont, dans le Coran, considérés comme musulmans.
J’ajoute que les Juifs, dans le monde islamique, étaient « protégés » par le statut humiliant de dhimmis, statut arraché à Mohammed par les survivants de Khaybar, qu’il avait massacrés.
Malgré des massacres sporadiques, ce statut a permis aux Juifs de survivre en terre d’islam, au prix de cette humiliation. C’est à la fois sinistre et grotesque quand on y pense : « Vous serez humiliés, vous paierez un impôt spécial, et en échange on vous protège. » De quoi ? « De notre propre désir de vous faire disparaître, si vous ne vous soumettez pas. »
Vous pointez la singularité de la haine portée à Israël par le Hamas : celui-ci veut non seulement éliminer les Juifs, mais cette haine se base sur le postulat fallacieux que ces derniers n’ont jamais existé. Selon vous, cette haine vient de loin, elle est exprimée explicitement dans les textes coraniques. La guerre que les Palestiniens mènent aujourd’hui contre Israël serait-elle de nature religieuse plutôt que nationaliste ou territorialiste ?
La guerre que mène le Hamas contre Israël est une guerre identitaire. Les combattants du Hamas se sentent mandatés par l’identité islamique – celle de l’umma – pour combattre une identité perverse, celle des Juifs, tels qu’ils sont souvent désignés dans la doxa islamique et dans le Coran.
Les membres du Hamas sont les héritiers des Frères musulmans, eux-mêmes porteurs d’un idéal de fraternité censé régner dans l’umma, et qui fonde la communauté des vrais croyants.
J’ai souvent montré que la dimension religieuse est intégrée dans une dimension identitaire plus large, même si, dans le cas de l’islam, les deux sont souvent indissociables.
Cela dit, je ne crois pas que les djihadistes veuillent supprimer les Juifs au motif qu’ils n’auraient jamais existé. S’ils les combattent, c’est précisément parce qu’ils existent trop, qu’ils sont trop enracinés dans les origines mêmes de l’islam, lequel emprunte au message hébraïque l’essentiel de sa substance.
J’ai dit que cet emprunt – ou ce plagiat – fait que le Coran, qui se prétend la version première et véridique du message divin, voudrait que les Juifs n’aient jamais existé, pour s’assurer d’être le premier. Ce qui trahit une insécurité fondamentale.
Un dialogue constructif entre l’islam et le judaïsme, à l’instar du dialogue entre le judaïsme et la chrétienté amorcé après le concile de Vatican II, à la fin des années 60, est-il possible ?
Un dialogue est toujours possible, à condition que les deux parties partent du principe qu’aucune ne veut effacer l’autre, et qu’aucune ne transmette de haine envers l’autre.
Je parle ici de symétrie apparente, car en réalité, c’est surtout l’islam qui, dans ses textes fondamentaux, transmet la haine des Juifs et porte un programme de soumission ou d’effacement à leur encontre, programme dont l’outil est le djihad, pacifique ou violent.
Sous condition d’un double renoncement – à la haine et à la volonté d’effacement – rien ne s’oppose à un dialogue.
Sous cette même condition, rien ne s’oppose à la cohabitation entre Juifs et musulmans, y compris en Israël et en Judée-Samarie.
Que répondez-vous à ceux qui aujourd’hui accusent Israël de « génocide » auprès de la Cour de justice internationale (CJI) de l’ONU ?
Les accusateurs d’Israël en ont le droit. Mais Israël ne manquera pas de prouver qu’il n’y a pas de génocide. Il y a peut-être des bavures, comme dans toutes les guerres, mais aucun projet d’élimination d’une population.
Israël pourra montrer son souci pour les civils palestiniens, même si ces derniers ont, dans leur grande majorité, soutenu le Hamas.
Un simple exemple : après plus d’un an et demi de guerre, Israël a mis en place un système d’aide humanitaire qui ne profite pas au Hamas. Résultat : le Hamas tire sur ses employés et diffuse des messages prétendant qu’Israël attire la population avec de la nourriture pour ensuite leur tirer dessus.
Le mensonge joue ici un rôle central pour faire condamner Israël par le plus grand nombre. Et même si ce sont des gens naïfs qui se laissent berner, cela suffit à créer l’illusion d’une haine globale contre Israël, ce qui ne reflète pas la réalité des peuples.
Quel regard portez-vous sur la recrudescence de l’antisémitisme que les pays occidentaux connaissent depuis le 7 octobre 2023 ?
Il ne faut pas se leurrer : l’antisémitisme est produit en continu dans la mouvance islamique, qui en est à la fois le cœur et la racine. Il est relayé par ceux qui fraternisent avec elle, par désir de « vivre ensemble » ou par calcul politique, pour séduire cette masse en tant qu’électorat. Ce désir de plaire contribue à enfermer cette population dans une tradition médiévale dont elle peut vouloir s’affranchir. C’est ainsi qu’en voulant faire plaisir à des gens, on leur cause un tort profond. Mais je ne crois pas que l’antisémitisme ait gagné les élites et les masses populaires de façon radicale. Si cette impression existe parfois, c’est que les milieux gauchisants – qui contrôlent les médias occidentaux – font beaucoup de bruit. C’est eux qui ont le micro, et le contrôle de l’image.
Aujourd’hui, quiconque veut faire briller sa morale condamne les « horreurs de Gaza », tout en taisant le pourquoi et le comment, les auteurs et leurs objectifs.
Ce mensonge par omission crée une apparence étrange : celle d’un monde entier qui condamnerait Israël. Mais ce n’est qu’une apparence. Faites l’expérience vous-même : demandez autour de vous ou bien cherchez qui vous a rejeté pour votre soutien à Israël. Pour ma part, j’ai perdu quelques amis juifs purement indignés par les « horreurs de Gaza », parce que je n’ai pas voulu les suivre sur ce terrain.
Dans les médias et la doxa téléguidée, on glisse habilement de « tout le monde condamne les horreurs de la guerre » à « tout le monde condamne Israël ».
De ce point de vue, il faut reconnaître et admirer la stratégie du Hamas : 1-Faire une énorme provocation le 7 octobre 2023 ; 2 -Attirer les Israéliens avec en outre l’appât des otages ; 3-Miser sur les horreurs ordinaires de la guerre pour faire condamner Israël par toute la terre humaniste et pacifiste, et 4-Faire glisser cette condamnation sur Israël, et si possible sur les Juifs. On compte aussi que la foule n’entrera pas dans les détails et les nuances, trop pressée de communier dans l’indignation.
Comment envisagez-vous les perspectives des relations entre Israël et les Palestiniens ?
Ces relations peuvent être viables si les Palestiniens renoncent au djihad.
Mais ce sera difficile : les pays musulmans les ont subtilement mandatés pour maintenir vivant cet aspect médiéval de l’islam.
Jusqu’à présent, c’est toujours par le djihad qu’ils ont tenté de se faire entendre. De ce point de vue, leur offrir un État palestinien en ce moment, ne répond certainement pas à leur problème : leur mot d’ordre était « tuez les Juifs » et non pas avoir un État. C’est loin d’être mûr.
Crédit photo : © Éditions Intervalles
