Ils nous ont quittés cette année

Elie Wiesel, Shimon Peres et le Grand Rabbin Joseph Haim Sitruk

PAR ANNIE OUSSET-KRIEF

Annie Ousset-Krief

Annie Ousset-Krief

Annie Ousset-Krief est Maître de conférences en civilisation américaine à l’Université Sorbonne Nouvelle à Paris. 


 

 

 

ELIE WIESEL (1928-2016) : une grande voix s’est tue. Elie Wiesel s’est éteint à New York le 2 juillet 2016. Avec lui disparaît l’un des derniers témoins du mal absolu que furent le nazisme et son univers concentrationnaire.

Elie Wiesel était né le 30 septembre 1928 à Sighet, petite ville de Roumanie, dans une famille orthodoxe (son grand-père maternel était un Hassid). Il n’avait que 15 ans lorsqu’il fut déporté à Auschwitz, en avril 1944, avec ses trois sœurs et ses parents. Sa mère et sa petite sœur furent immédiatement assassinées dans les chambres à gaz. Le jeune Elie et son père furent déportés à Buchenwald quelques mois plus tard, en janvier 1945. Son père mourut sous les coups des SS quelques semaines à peine avant que le camp soit libéré le 11 avril 1945. L’adolescent fut recueilli par l’OSE (Œuvre de Secours aux Enfants) et hébergé dans un orphelinat en Normandie. Il y fut plus tard réuni avec ses sœurs aînées qui avaient, elles aussi, survécu. Elie Wiesel poursuit alors des études de philosophie à la Sorbonne, devient écrivain et journaliste. Mais il lui faudra dix ans pour pouvoir écrire sur l’horreur des camps : « Si pénible était ma peine que je fis un vœu : ne pas parler, ne pas toucher à l’essentiel pour au moins dix ans […] Assez longtemps pour regagner la possession de ma mémoire. Assez longtemps pour unir le langage des hommes avec le silence des morts ». C’est donc en 1955 qu’il écrit son récit  sur la Shoah en yiddish, Un di Velt Hot Geshvign (Et le monde se taisait). Ce premier ouvrage sera traduit et adapté trois ans plus tard en français et publié sous le titre La Nuit.

Il s’installa aux États-Unis en 1955, enseigna à l’université de Boston, écrivit une soixantaine d’ouvrages (romans, pièces de théâtre, essais), et porta inlassablement à travers le monde son message contre l’oubli.

Elie Wiesel est celui qui a dit l’indicible, qui a redonné une voix aux six millions de Juifs assassinés pendant la Shoah. La culpabilité d’avoir survécu lui enjoignait de témoigner, encore et toujours : « Ayant survécu », écrit-il dans la préface de La Nuit, « il m’incombe de conférer un sens à ma survie ».

Elie Wiesel était la mémoire, celui qui pouvait empêcher l’histoire d’être oubliée : « Pour le survivant qui se veut témoin, le problème reste simple : son devoir est de déposer pour les morts autant que pour les vivants, et surtout pour les générations futures. Nous n’avons pas le droit de les priver d’un passé qui appartient à la mémoire commune. L’oubli signifierait danger et insulte. Oublier les morts serait les tuer une deuxième fois » 1, écrit-il.

Barack Obama a salué « un mémorial vivant », « une des grandes voix morales de notre temps et, à bien des égards, la conscience du monde ». Car Elie Wiesel ne cessa de dénoncer, tout au cours de sa vie, les massacres perpétrés dans le monde, que ce soit au Cambodge, au Rwanda, au Darfour, ou au Kosovo. Son action fut reconnue et célébrée par le comité Nobel, qui lui décerna le Nobel de la paix en 1986.

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, qu’Elie Wiesel avait toujours soutenu, a rendu hommage au  « maître des mots », à un homme  devenu  « un faisceau de lumière, et un exemple d’humanité ». « Se souvenir est devenu un devoir sacré », avait déclaré Elie Wiesel au Président Barack Obama, lors de leur visite de Buchenwald en 2009. Elie Wiesel aura consacré sa vie tout entière à la perpétuation de la mémoire de la Shoah. Sa voix nous manquera.

 

SHIMON PERES (1923-2016)
Mort du dernier Père fondateur de l’État d’Israël
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Shimon Peres s’est éteint le 28 septembre 2016, à l’âge de 93 ans. Avec sa disparition s’achève « l’ère des géants », déclare le président israélien Reuven Rivlin. Shimon Peres était en effet un géant, un homme exceptionnel dont la vie se confondait avec toute l’histoire d’Israël. « Je suis l’enfant d’une génération qui a perdu un monde et s’est attachée à en bâtir un autre », écrivait-il. Cette génération pétrie d’idéal, qui a su redonner un pays au peuple juif.

Shimon Peres (son nom de naissance était Szymon Perski) est né dans le petit village polonais de Wiszniewo (Vishnyeva, aujourd’hui en Biélorussie). Sa famille émigra en 1934 à Tel Aviv – la Palestine était alors sous mandat britannique –  lorsqu’il n’avait que 11 ans. Il étudie l’agriculture à Ben Shemen 2. Il fondera quelques années plus tard le kibboutz Alumot en Galilée, pour concrétiser un grand rêve : « bâtir une nouvelle société égalitaire, qui ennoblirait chacun de ses membres » 3. Il milite dans des organisations sionistes de gauche et s’engage dans la Haganah 4 en 1947. Ben Gourion lui confie la responsabilité de l’approvisionnement en armes. Après l’indépendance d’Israël, Il deviendra en 1949 chef de la délégation du ministère de la Défense aux États-Unis. Ce sera le premier poste officiel d’une longue carrière au service de l’État d’Israël.

De retour en Israël en 1952, il va alors occuper les postes les plus importants au sein du gouvernement et sera élu député du parti Mapai (le futur parti travailliste) à la Knesset en 1959, où il siègera jusqu’en 2007. Il sera, à diverses périodes, ministre de la Défense, ministre des Finances, des transports, trois fois ministre des Affaires étrangères, vice-premier ministre et deux fois premier ministre, et, ce qui sera l’apogée de sa vie et sa carrière, il sera élu par la Knesset, président de l’État d’Israël le 15 juillet 2007.

Ce fut un parcours politique exceptionnel, impressionnant, qui lui confèrera un prestige international inégalé. Il était « l’homme indispensable d’Israël  », a écrit à son sujet, l’ancien premier ministre canadien Stephen Harper.

Shimon Peres, c’est aussi l’homme des accords d’Oslo de 1993, pour lesquels il reçut l’année suivante, avec Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, le prix Nobel de la paix.

Cet homme qui, enfant, voulait devenir « le poète des étoiles » avait gardé son optimisme et ses rêves de paix. C’est le message qu’il adresse aux Israéliens lorsqu’il devient président 5 : « Permettez-moi de demeurer optimiste. Permettez-moi d’être un rêveur. Permettez-moi de montrer le côté ensoleillé de notre État. Et si parfois l’atmosphère est automnale, et si aujourd’hui, la journée semble devenir soudain sombre, le président qu’Israël a choisi ne se lassera jamais d’encourager, de réveiller et de rappeler – car le printemps nous attend. Le printemps viendra assurément ».

Des milliers de personnes se sont rassemblées sur le Mont Herzl pour assister à ses funérailles. Chefs d’États présents et passés, têtes couronnées, des représentants du monde entier étaient présents pour honorer la mémoire de Shimon Peres. Le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, était là, lui aussi –un hommage à l’homme d’espoir et de paix qu’était Shimon Peres.

 

JOSEPH HAIM SITRUK (1944-2016)
Une grande figure du judaïsme français disparaît.

« Le rabbin est un allumeur de réverbères. Il y a, chez les jeunes surtout, d’immenses besoins de spiritualité, et je porte la flamme là où elle est le plus nécessaire. »

L’ancien Grand Rabbin Joseph Haim Sitruk est décédé à Paris, le 25 septembre 2016. Des milliers de personnes ont assisté à ses funérailles sur le Mont des Oliviers à Jérusalem, rendant ainsi hommage à celui qui, pendant des décennies, fut le leader spirituel de la communauté juive française.

Joseph Sitruk (le prénom Haim, « la vie », a été rajouté après son attaque cérébrale en 2001) est né à Tunis, le 16 octobre 1944. Sa famille s’installe à Nice en 1958. L’adolescent s’engage avec passion chez les Éclaireurs israélites, et renoue avec une forme orthodoxe du judaïsme. Après ses études au Séminaire israélite, il devient rabbin à Strasbourg en 1970. Cinq ans plus tard, il devient le Grand Rabbin de Marseille, puis sera élu Grand Rabbin de France en 1987, réélu en 1994 et une nouvelle fois en 2001.

Joseph Sitruk voulait « rejudaïser » les Juifs français, en les ramenant dans les synagogues. C’était un homme habité par la conviction qu’il pouvait redynamiser la communauté juive de France, consolider la foi et restaurer la pratique religieuse. Avant d’accepter la charge du Grand Rabbinat, il avait demandé l’avis de ses maîtres spirituels en Israël, qui l’avaient encouragé à accepter : « Pour le rav Schach 6, il était important qu’un rabbin si proche du monde des yeshivot (écoles talmudiques) devienne grand-rabbin… Il pensait que le message de la Torah pouvait enfin «passer» dans le grand public » 7.

Il avait lancé « Yom Hatorah », le Jour de la Torah, en 1993, une grande fête du judaïsme français, qui attirait des milliers de personnes.

« La foi qu’il nous a transmise a été permanente. Il a aimé profondément sa communauté… L’élan qu’il a donné à la communauté reste avec nous, et c’est sur cet élan qu’on construit aujourd’hui », a déclaré le Grand Rabbin de France, Haim Korsia. « Il nous laisse un héritage d’éducation, de transmission et de joie ».

 

 

 

 

 

Notes:

  1. La Nuit, préface (les éditions de Minuit,1958/2007)
  2. Kfar Hanoar Ben Shemen, Le village des jeunes Ben Shemen,  a été créé en 1927 pour donner à la fois une éducation sioniste et une formation en agriculture.
  3. Kfar Hanoar Ben Shemen, Le village des jeunes Ben Shemen,  a été créé en 1927 pour donner à la fois une éducation sioniste et une formation en agriculture.
  4. La Haganah était l’organisation de défense clandestine juive en Palestine mandataire de 1920 à 1948. Elle devint l’Armée de Défense d’Israël à la proclamation de l’indépendance de l’État.
  5. Discours d’investiture prononcé devant la Knesset, 15 juillet 2007, Haaretz.com
  6. Le rabbin Elazar Schar (1899- 2001) a été en Israël, l’un des leaders les plus importants du monde « haredi » (ultra orthodoxe) de tendance non hassidique (ndr).
  7. Entretien avec Claude Askolovitch, 1997.
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