Une définition de l’antisémitisme comme outil de combat contre la haine des Juifs

PAR Eta Yudin

Eta Yudin

 

 

 

 

 

Le 26 mai 2016, l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) adopte une définition opérationnelle de l’antisémitisme. Cette définition non contraignante décrit l’antisémitisme comme « une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard » et dirigée contre « des individus juifs ou non juifs et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte 1. »
Cette définition est adoptée par l’IHRA après que l’agence antiraciste de l’Union européenne eut supprimé un texte similaire de son site Internet, car des militants propalestiniens considéraient que cette définition brimait la liberté de pouvoir critiquer Israël. La fin des années 90 et le début des années 2000 ont vu en effet l’émergence d’un nouvel antisémitisme prenant pour cible les Juifs en raison de leur soutien réel ou supposé à Israël accusé de tous les maux. Et c’est donc une des illustrations de l’antisémitisme que vient énoncer la définition : « L’antisémitisme peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme. L’antisémitisme consiste souvent à accuser les Juifs de conspirer contre l’humanité et, ce faisant, à les tenir responsables de « tous les problèmes du monde » […] » (nous soulignons).
Il n’est donc en aucun cas fait interdiction de critiquer Israël et ses politiques.
Mais cet argument est celui qui nous est renvoyé, avec une certaine mauvaise foi, lorsque nous expliquons à nos interlocuteurs que les attaques systématiques remettant en cause l’existence et la légitimité de l’État d’Israël et ceux qui le soutiennent sont la forme nouvelle de l’antisémitisme moderne.
Au fil de l’histoire, l’antisémitisme s’est constamment adapté en accusant les Juifs des maux contemporains (épidémies, famines, guerres, instabilités économiques), que soit combattu le communisme ou le capitalisme, plaçant toujours le Juif comme responsable et instigateur. Israël a permis à certains de déplacer le vieil antisémitisme sur un plan national en fustigeant la « collectivité de Juifs » responsable des maux les plus décriés de notre temps que sont le racisme, le colonialisme et l’apartheid.
Comme l’a si bien dit l’Honorable Irwin Cotler, envoyé spécial du Canada pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme, l’antisémitisme traditionnel cherchait à marginaliser et à ostraciser l’individu juif et à lui refuser une place dans la société. L’antisémitisme moderne cherche à marginaliser et à diaboliser le collectif juif, la nation juive, l’État d’Israël, et à lui refuser sa place dans la Société des Nations.
C’est pourquoi nous avons soutenu les efforts de Lionel Perez, chef de l’Opposition officielle à la Ville de Montréal visant à faire adopter cette définition. En janvier 2020, une motion visant à faire adopter la définition, à l’occasion des commémorations mondiales de l’holocauste, est ainsi soumise par l’opposition officielle à la Ville de Montréal, mais retirée à la suite d’un mouvement d’opposition 2. Une nouvelle tentative est faite lors d’une réunion du conseil municipal le 22 mars 2021, mais se solde également par un échec. Avec l’équipe du CIJA, la Fédération CJA et Jacques Saada, président de la CSUQ, nous avons maintes fois porté ce message auprès de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, en expliquant la nécessité de se munir de cet outil, somme toute adopté par plus de 35 pays et de nombreuses grandes villes.
Mais l’inaction de la Ville sur cet enjeu inquiète alors au plus haut point. Et nous ignorions à l’époque qu’une vague d’antisémitisme va déferler sur Montréal à l’occasion du conflit entre le Hamas et Israël en mai 2021, illustrant à la perfection la nécessité de se doter de cet outil non contraignant.
Le 7 juin 2021, Lionel Perez soumet une motion au conseil de l’arrondissement de Côte-des-Neiges– Notre-Dame-de-Grâce visant à dénoncer l’antisémitisme, les menaces et actes de haine et de violence dirigés envers les personnes juives à Montréal. Cette motion qui sera adoptée prévoit que le conseil municipal dénoncera toute forme d’antisémitisme et assurera la sécurité des Juifs. Le 14 juin 2021, le Conseil municipal de la Ville de Montréal adoptera finalement une motion visant à dénoncer l’antisémitisme, les menaces et violences contre les Juifs à Montréal. Cette motion ne reprend pas la définition de l’IHRA, mais mandate le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence « pour produire un rapport sur la montée de l’antisémitisme en lien avec le sujet du conflit israélo-palestinien ».
Ces deux motions font suite à une condamnation unanime de l’antisémitisme par l’Assemblée nationale du Québec et à l’adoption par le gouvernement du Québec de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA.
Au CIJA, nous continuerons de suivre l’évolution de ce dossier critique.

 

Notes:

  1. Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), « La définition opérationnelle de l’an-tisémitisme utilisée par l’IHRA », en ligne : https://www.holocaustremembrance.com/fr/resources/work-ing-definitions-charters/la-definition-operationnelle-de-lantisemitisme-utilisee-par
  2. Bien qu’il s’agisse de la définition la plus universellement acceptée de l’antisémitisme, certains groupes rejetant cette définition avaient organisé une manifestation devant l’hôtel de ville et fait des pressions sur la Ville. Valérie Plante avait alors dit que puisque le sujet est sensible et que la définition est complexe, elle proposait que la commission de la Présidence de la Ville de Montréal étudie cette définition. L’opposition officielle avait alors préféré retirer la motion.
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