Un vent de changement à la Bibliothèque publique juive
Par Virginie Soffer
Fort d’une riche expérience dans le secteur culturel et artistique à but non lucratif, Alain Dancyger a dirigé durant vingt-trois ans les Grands Ballets Canadiens de Montréal, où il a favorisé une approche inclusive et humaniste. Sous sa direction, l’institution a connu un essor marqué avec la création d’un Centre de danse-thérapie et d’initiatives sociales, comme le Marché Casse-noisette. Son engagement lui a valu en 2018 le titre d’Officier de l’Ordre du mérite décerné par la France.
Depuis un an à la tête de la Bibliothèque publique juive de Montréal (BPJ), il y insuffle un renouveau : l’accès y est devenu gratuit, le nombre d’abonnés a augmenté de 60% et la programmation a été entièrement repensée.
La Voix sépharade l’a rencontré pour en discuter.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler à la Bibliothèque publique juive ?
Certaines personnes s’étonnent de mon passage des Grands Ballets Canadiens à la BPJ, mais pour moi, la question est ailleurs : qu’est-ce qui vous motive? Réinventer une bibliothèque publique juive est un défi magnifique. J’ai également trouvé l’équipe très attachante, et ce rôle me permet de renouer avec ma judaïcité tout en partageant ma vision, qui se veut peut-être différente, entre modernité et tradition.
Quelle vision avez-vous pour la BPJ ?
Je me suis inspiré des meilleures pratiques des bibliothèques modernes, qui ont réussi à devenir des destinations incontournables et qui sont bien plus que des lieux de lecture. Ces bibliothèques bâtissent des communautés autour de centres d’intérêt variés et déghettoïsent leurs contenus et leurs disciplines. Mon objectif est de créer une expérience enrichissante et distinctive pour le public, tout en insufflant une identité juive subtile, mais significative.
Pour insuffler cette identité juive, je me suis inspiré des excellentes recommandations de la European Commission on Racism and Intolerance : pour lutter contre l’antisémitisme et l’intolérance, il faut promouvoir l’esprit critique ainsi que la substantielle contribution des Juifs à l’avancement et l’enrichissement de la société. Je pense que le danger après le 7 octobre 2023, c’est qu’il y ait un repli sur soi de la communauté juive.
Dès mon arrivée, j’ai actualisé la vision de la BPJ, en consultation avec les équipes, les différents comités ainsi que le conseil d’administration, puis j’ai élaboré un plan stratégique. Après un an, les premiers changements sont perceptibles, notamment dans la programmation.
Pouvez-vous nous parler de la nouvelle programmation que vous avez mise en place ?
Notre ambition est d’explorer des thématiques variées et de créer des expériences immersives et multidisciplinaires qui touchent les gens dans leur quotidien. L’idée est de connecter le passé – notamment à travers nos archives ou celles d’autres institutions – aux enjeux contemporains.
Plutôt que de simplement mettre en avant le dernier livre d’un auteur, nous construisons des « thèmes intégrés », pour offrir des événements uniques. Par exemple, notre événement consacré au philosophe Baruch Spinoza a combiné une discussion avec quatre experts, dont un jésuite, qui a analysé l’influence de Spinoza sur le christianisme, un concert de musique baroque et une scénographie inspirée de Rembrandt. Ce type d’approche plonge le public dans un univers immersif et ouvre des réflexions plus larges sur les grandes questions de société.
Le 25 mars dernier, nous avons célébré l’acquisition des archives officielles du Centre Aleph de la CSUQ, qui représentent un immense pan de la pensée sépharade. Il est en effet essentiel de faire valoir que la BPJ est la bibliothèque de toutes les cultures juives.
Pour aller encore plus loin, nous proposons des activités dans différents lieux de Montréal, pour rencontrer les communautés là où elles se trouvent, et veillons à ce que nos programmations reflètent une diversité de cultures. Un point essentiel est d’offrir des formats où différentes voix s’expriment sur un même thème. Cela favorise l’esprit critique et le dialogue, en s’éloignant des visions monolithiques.
Enfin, nous avons élargi nos offres pour soutenir le développement personnel et professionnel, avec des cours pratiques comme ceux de gestion RH ou de lecture de bilans financiers pour entrepreneurs, en partenariat avec PME Hub.
Pouvez-vous nous parler de vos différents partenariats ?
La BPJ collabore aujourd’hui avec plus de dix-huit partenaires, à la fois issus de la communauté juive et d’ailleurs, comme des synagogues, le Dialogue judéo-chrétien, les Grands Ballets Canadiens ou le Festival littéraire Metropolis bleu. Nous travaillons également avec la CSUQ qui joue un rôle central dans la promotion des cultures judéo-arabes, judéo-espagnoles et des événements en langue française.
Ces partenariats vont au-delà de simples collaborations ou promotions croisées. L’objectif est de développer des programmations communes et de les diffuser collectivement pour mieux répondre aux besoins d’une clientèle diversifiée. En effet, la majorité des membres de la communauté juive ne sont affiliés à aucun organisme. L’enjeu est donc d’attirer ces personnes, notamment dans le contexte post-7 octobre, en proposant des programmes suffisamment riches et engageants pour les encourager à redécouvrir leur judaïcité.
Quels défis voyez-vous pour l’avenir de la BPJ ?
Notre défi principal sera d’avoir les moyens de nos ambitions dans un contexte financier assez difficile. Il faut également diversifier, accroître et rajeunir notre clientèle.
Si vous souhaitez aider la BPJ, nous avons lancé le « Cercle de leadership », un programme qui vous invite à devenir « amis » de la bibliothèque. En adhérant, vous recevez bien sûr un reçu fiscal, mais aussi des invitations personnalisées et un accès gratuit à tous nos événements. Voilà une manière de vous faire plaisir tout en soutenant la nouvelle vision de notre bibliothèque!
Crédit photo : © BPJ