« Notre communauté traverse une période très éprouvante ».
Entrevue avec Steve Sebag, président de la Fédération CJA
Par Elias Levy
La communauté juive de Montréal a traversé des mois de grandes turbulences.
Le point avec Steve Sebag, président du conseil d’administration de la Fédération CJA, qui achèvera son mandat début septembre.
Depuis le 7 octobre 2023, notre communauté vit une période très difficile. Quel bilan en tirez-vous ?
Une période très éprouvante, marquée par une recrudescence effrayante des actes antisémites. Je tiens à remercier tous nos partenaires communautaires, dont la CSUQ, qui se sont mobilisés à nos côtés d’une manière exceptionnelle pour affronter cette situation très ardue.
Des partenaires modèles qui ont très vite compris les enjeux énormes auxquels nous faisons face : aider nos frères et sœurs en Israël et sécuriser les institutions juives de Montréal.
Une coordination très étroite s’est instaurée.
Notre communauté a été très sensible à nos appels, elle s’est mobilisée rapidement. Nos donateurs ont contribué généreusement à nos campagnes d’aide à Israël, confronté à une guerre très rude que les terroristes du Hamas lui ont imposée, et pour sécuriser nos institutions communautaires.
Le renforcement de la protection des synagogues, des écoles et des institutions juives a coûté quelque 3 millions de dollars. Notre campagne de soutien à Israël a engrangé 28 millions de dollars en un court laps de temps. Per capita, la communauté juive de Montréal a été l’une des plus généreuses en Amérique du Nord.
Les étudiants juifs sont la cible de campagnes haineuses sur les campus universitaires montréalais. La Fédération CJA les appuie inconditionnellement.
Absolument. Nos étudiants ont un esprit de résilience et un courage incroyables. Ils sont en première ligne dans la lutte contre l’antisémitisme. Le climat qui règne sur les campus, ici et ailleurs, est toxique. Ils sont quotidiennement victimes de harcèlement, d’intimidation et d’attaques antisémites. Il n’y a pas une semaine où les campus ne sont pas aux prises avec des motions étudiantes prônant le BDS – boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël. Ce climat délétère s’est installé bien avant les événements tragiques du 7 octobre.
Les administrations des universités montréalaises n’ont pas fait preuve de fermeté face à cette déferlante de haine contre les étudiants juifs. Des professeurs propalestiniens utilisent leur statut et leur tribune pour diffuser leurs opinions personnelles farouchement anti-israéliennes.
Nous avons le plus grand respect pour nos étudiants. La Fédération CJA les appuiera toujours dans le noble combat qu’ils mènent tous les jours sur les campus pour défendre l’honneur des Juifs et la cause très légitime d’Israël.
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et les pouvoirs publics n’ont-ils pas été laxistes face à des hordes de manifestants propalestiniens survoltés ?
Nous avons de très bonnes relations avec le SPVM et le gouvernement du Québec. Depuis le 7 octobre, ce dernier nous a réitéré à maintes reprises sa solidarité et sa détermination à lutter contre l’antisémitisme. Nous aurions aimé voir des actions plus concrètes de la part du gouvernement du Canada et des instances municipales de Montréal. Une plus grande fermeté face à ces centaines de manifestants, dont certains sont violents.
Quels sont les principaux défis de la Fédération CJA ?
Le défi le plus évident réside dans la recrudescence de l’antisémitisme. Ce fléau est mondial. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la situation morose que les Juifs vivent aujourd’hui est semblable à celle qui prévalait dans l’Allemagne nazie des années 30. Je ne suis pas non plus d’accord avec un article du journal New York Post qui affirmait que Montréal est la ville la plus antisémite du monde. Je ne le vois pas, je ne le sens pas.
Cependant, nous ne pouvons pas minimiser le climat d’hostilité envers notre communauté qui règne à Montréal depuis le 7 octobre 2023. Des coups de feu ont été tirés sur des écoles juives, des institutions juives ont été vandalisées ou attaquées avec des cocktails Molotov, des Juifs sont intimidés ou attaqués physiquement et des manifestations clairement antisémites sont monnaie courante.
Nous avons été contraints d’embaucher des gardes de sécurité supplémentaires pour assurer la protection de 80 institutions juives lors de cette sinistre journée du Djihad mondial.
Nous prenons très au sérieux ces menaces. Nous connaissons ces jours-ci une accalmie. Mais nous demeurons très vigilants.
Un autre défi de taille : assurer le leadership futur, tant professionnel que bénévole. C’est primordial. Nous avons des objectifs importants, il faut des gens compétents et passionnés pour les atteindre.Travailler pour la communauté, c’est une profession noble et stimulante. J’espère que plus de jeunes envisageront cette option.
Êtes-vous optimiste pour l’avenir de notre communauté ?
Oui, très optimiste, et tout particulièrement pour ce qui est de l’avenir de l’identité de la communauté juive de Montréal. Nos synagogues sont remplies, nos jeunes fréquentent les écoles et les camps juifs dans des proportions plus élevées qu’ailleurs, nos jeunes sont de plus en plus engagés au sein de notre communauté.
S’il y a un côté positif dans la situation difficile que nous traversons depuis le 7 octobre 2023, c’est cette soif d’engagement de la jeunesse juive montréalaise. Aujourd’hui, beaucoup de nos coreligionnaires ont envie de s’impliquer dans leur communauté. C’est cette fierté d’être juifs et solidaires d’Israël qui caractérise la communauté juive de Montréal.
Depuis le 7 octobre 2023, la Fédération CJA s’est pleinement mobilisée aux côtés d’Israël.
Oui. Les yeux et le cœur des membres de notre communauté sont rivés sur Israël. Depuis le pogrom du 7 octobre, la mobilisation et l’appui à l’égard de nos frères et sœurs israéliens sont énormes.
Le leadership de la Fédération CJA a effectué plusieurs missions de solidarité en Israël. Nous sommes allés dire aux courageux citoyens et soldats d’Israël qu’ils ne sont pas seuls dans la très dure épreuve qu’ils affrontent. Nous avons rencontré des Israéliens très reconnaissants de ce que les Juifs de la diaspora font pour eux. Nous les avons aussi remerciés pour ce qu’ils font pour nous. C’est grâce à eux que nous pouvons aujourd’hui marcher la tête haute. Les soldats de Tsahal paient l’ultime prix pour défendre vaillamment leur pays.
Nous sommes allés voir aussi sur le terrain comment les fonds que nous amassons sont alloués à divers projets et institutions. Les besoins en temps de guerre sont très grands. Beer-Sheva est la ville sœur de Montréal. Les liens entre nos deux communautés sont très forts.
Vous finirez votre mandat dans six mois. Quitterez-vous votre fonction avec le sentiment du devoir accompli ?
Ces dix-huit mois de présidence se sont avérés être l’expérience la plus significative de ma vie. Je suis entré en fonction deux semaines avant le 7 octobre 2023, j’ai donc vécu mon mandat quasiment entièrement en situation de crise. J’ai bon espoir que les prochains mois seront plus apaisés et qu’Israël connaîtra aussi une période d’accalmie. C’est un mandat qui me comble complètement. Quand des membres de ta communauté te remercient pour ton engagement, c’est quelque chose de très fort qui m’émeut profondément.
J’ai vu à quel point notre communauté est forte, son amour pour Israël est incroyable. Celle-ci est dirigée par une équipe de professionnels et de bénévoles extraordinaires et très dévoués. Le président et chef de la direction de la Fédération CJA, Yair Szlak, épaulé par une équipe directionnelle forte, est un professionnel remarquable impliqué à tous les niveaux.
Nous avons tant accompli au cours des dix-huit derniers mois. Assurer le maintien des services offerts aux personnes les plus démunies tout en répondant aux besoins émergents critiques est quelque chose dont notre communauté peut être très fière. Je sais que mon successeur, Patrick Essiminy, travaillera d’arrache-pied pour s’assurer que nous continuerons d’avoir l’impact que notre communauté attend de nous.
Hag Pessah Kashere.
Crédit photo : © Fédération CJA