« Quand les Palestiniens parlent d’espoir, c’est l’espoir de la destruction de l’État juif »
par Bernard Bohbot, doctorant en histoire à l’UQAM
Ancienne députée à la Knesset du Parti travailliste et du Parti Indépendance, fondé par Ehoud Barak en 2011, détentrice d’un Doctorat en sciences politiques de l’Université de Cambridge (Grande-Bretagne), Einat Wilf est une figure intellectuelle marquante d’Israël.
Elle est la coautrice, avec Adi Schwartz, du livre The War of return. How the Western indulgence of the palestinian dream has obstructed the path of peace (All Points Books, New York, 2020)
Einat Wilf a livré ses vues sur le conflit israélo-palestinien et sa vision de la paix à notre collaborateur Bernard Bohbot, qui l’a interviewée à Tel-Aviv.
Que répondez-vous à l’intelligentsia occidentale qui affirme que ce qui se passe aujourd’hui à Gaza est une conséquence regrettable de la politique d’occupation militaire d’Israël ?
Ma réponse : écouter les Palestiniens. Accordez-leur le respect de les prendre au mot.
Il n’y a pas d’occupation israélienne dans la bande de Gaza. En 2005, j’étais avec Ariel Sharon quand il a décidé le désengagement de Gaza. Je travaillais alors avec Shimon Peres. Je me souviens du moment où Sharon a pris la décision de quitter le Corridor de Philadelphie, situé à la frontière avec l’Égypte, parce que nous ne voulions laisser aucune excuse aux Palestiniens. Israël a évacué complètement Gaza, jusqu’au dernier centimètre. Sharon a sous-estimé la capacité des Palestiniens à continuer à parler d’occupation, alors que la chose fondamentale qui définit une occupation d’un territoire est le contrôle effectif de celui-ci, c’est-à-dire la présence d’une armée. Comme nous l’avons vu le 7 octobre 2023, Israël n’exerce aucun contrôle effectif sur Gaza.
Quelle est votre réponse à ceux qui affirment que les massacres du 7 octobre perpétrés par le Hamas méritaient une réponse militaire, mais que celle-ci est disproportionnée, au point où on accuse Israël de « génocide » ?
Mon collègue, le politologue Dr Shany Mor, a écrit dans la revue Mosaic un excellent article intitulé A Special Dictionary for Israel. Il explique que certains mots sont dénaturés de leur sens originel lorsqu’il s’agit d’Israël. Je lui ai demandé sur quels critères, selon la Convention internationale sur le génocide, la guerre qui fait rage à Gaza peut être considérée comme un génocide? Sa réponse : un seul critère, les Juifs.
Quant à la proportionnalité, c’est un terme très spécifique utilisé dans le contexte militaire pour déterminer si une action militaire est disproportionnée par rapport à la menace. Sur ce point, Israël passe le test, car au niveau le plus élémentaire, la menace pour Israël est de nature existentielle.
Que répondez-vous à l’intelligentsia occidentale qui clame que la seule façon de vaincre le Hamas, c’est d’exaucer le vœu des Palestiniens : avoir leur propre État.
Quand les Occidentaux parlent d’espoir, ils pensent à l’espoir de l’autodétermination du peuple palestinien, qu’ils aient un État. Quand les Palestiniens parlent d’espoir, c’est l’espoir de la destruction de l’État juif. Nous devons donc être très clairs sur le type d’espoir dont nous parlons. L’espoir de détruire Israël doit être enrayé, vaincu. Tant que les Palestiniens continueront d’avoir l’espoir qu’Israël sera un jour anéanti, ils continueront à se battre.
En ce moment, très rares sont ceux dans l’Autorité palestinienne et à Gaza qui reconnaissent publiquement et ouvertement le droit des Juifs à l’autodétermination dans leur patrie historique.
Plusieurs constatent que vous vous êtes devenue plus « faucon » depuis les deux dernières décennies. L’hostilité envers Israël des élites occidentales semble avoir contribué à votre durcissement politique. Comment expliquez-vous cette détestation d’Israël au sein de l’intelligentsia occidentale ?
Je continue à me considérer comme une militante de la paix. Mon objectif reste la paix. La seule chose qui a changé, c’est ma compréhension de ce qui se dresse entre nous et la paix. Vous me qualifiez de « faucon », je me considère simplement réaliste.
J’avais une hypothèse, que beaucoup de gens partageaient aussi dans le camp de la paix en Israël : la lutte que mènent les Palestiniens est contre l’occupation, pour un État, contre les colonies. Et puis, dans les années 90 et durant la première décennie de ce siècle, Israël a mis cette hypothèse à exécution. On a offert aux Palestiniens un État, sans colonies, sans occupation. Ils ont refusé et enchaîné avec une campagne de massacres. Israël est ensuite sorti de la bande de Gaza unilatéralement. Les Israéliens ont essayé de mettre en œuvre cette hypothèse, en vain, ce fut une grande déception pour les militants de la paix. Donc, à un moment donné, on a commencé à remettre en question cette hypothèse. C’est ce que je fais.
Ma seule recommandation, c’est d’écouter les Palestiniens. Ils sont très cohérents depuis un siècle. Ils nous disent que leur objectif est qu’il n’y ait pas d’État juif. Parfois, ils le disent en termes durs comme le Hamas, parfois en termes doux comme l’Autorité palestinienne, mais ils ne s’écartent jamais de cet objectif. Ils appellent cela « la justice » et « les droits ». Pour les Palestiniens, la justice signifie défaire l’injustice que représente à leurs yeux l’État d’Israël.
Que répondez-vous à ceux qui disent que l’exigence d’un droit au retour n’est qu’un enjeu symbolique ?
Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle cette question est une monnaie d’échange, revenons à l’élément empirique. Dans les années 90, c’était une hypothèse légitime : le jour où Israël offrira aux Palestiniens un territoire souverain, ils renonceront au « droit au retour », qu’ils revendiquent ardemment depuis 1948, afin d’obtenir ce qu’ils veulent vraiment : un État indépendant.
L’hypothèse a été testée deux fois en 2000 et 2008. Alors, maintenant, empiriquement, nous savons que le « droit au retour » revendiqué par les Palestiniens n’est pas une monnaie d’échange.
Mais il y a des gens en Israël qui disent qu’il faut faire une distinction entre le « droit au retour » et le retour lui-même, que les Palestiniens sont prêts à négocier en imposant des quotas de réfugiés qui seront autorisés à retourner en Israël.
Il n’y a pas de « droit de retour ». Même la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies sur laquelle se basent les Palestiniens n’accorde pas un tel droit. Maintenant, une fois que vous comprenez qu’il n’y a pas de « droit au retour », vous comprenez combien il est dangereux pour Israël de reconnaître ce droit. Si Israël le reconnaissait dans un traité bilatéral, il créerait un droit qui n’existe pas. Cela deviendrait dangereux, car un droit est un droit.
Êtes-vous optimiste pour le futur ?
Il n’y a qu’une seule vision de la paix : l’acceptation arabe que l’État moderne d’Israël est l’incarnation et le reflet du lien historique entre le peuple juif et sa Terre ancestrale.
Première étape pour y arriver : mettre fin à tout ce qui alimente l’espoir palestinien de détruire l’État juif. Nous devrons donc lancer une grande campagne pour supprimer le financement de l’Autorité palestinienne par l’UNRWA et le Qatar. Nous n’allons laisser aucun pays financer l’Autorité palestinienne tant que celle-ci n’aura pas clairement indiqué qu’elle va mettre fin à sa guerre de Cent ans contre Israël.
Nous ne fermons pas nos portes. Nous accueillerons toute voix arabe ou musulmane qui veut aider les Palestiniens à poursuivre une vision qui ne soit pas antisioniste, qui souhaite vivre à côté de l’État juif plutôt qu’à sa place. Peu importe le temps que cela prendra.