Les Lebensborn nazis, un projet terrifiant
par Virginie Soffer
L’obsession maladive antisémite des nazis et leur dessein macabre de forger « une race humaine supérieure » ont engendré des projets terrifiants et criminels.
Dans La petite fille du Lebensborn (Éditions Pleine lune, Montréal, 2024), la romancière québécoise Annie Lavoie rend un hommage fort émouvant aux centaines de milliers d’enfants blonds aux yeux bleus séquestrés par les nazis dans le cadre de leur politique eugéniste et placés dans des maternités spéciales appelées Lebensborn.
En 1943, Annaliese a 4 ans, elle vit au Danemark avec sa famille. Cette petite fille blonde aux yeux bleus est kidnappée par des nazis et emmenée de force dans un Lebensborn. Dans cette pouponnière nazie, elle rejoint d’autres enfants qui ont été également arrachés à leur famille pour recevoir une éducation aryenne et être ensuite adoptés par des familles aryennes. Il faudra attendre bien des années pour qu’Annaliese révèle son tragique passé.
Un roman fort, poignant et enlevant qui plonge le lecteur au cœur d’un projet dément qui fut l’un des principaux piliers de l’ambition nataliste du IIIe Reich.
La Voix sépharade s’est entretenue avec Annie Lavoie.
Qu’est-ce qui vous a incitée à écrire ce livre ?
Il y a plusieurs années, mon oncle, Roger Laroche, qui est historien, m’a donné à lire le livre Au nom de la race de Marc Hillel. La femme de ce dernier, née dans un Lebensborn, y racontait tout ce qui concernait ces maternités spéciales nazies. Un chapitre parlait spécifiquement des enfants kidnappés et emmenés de force dans des Lebensborn. Mon fils avait alors quatre ans, cette lecture m’a profondément marquée. J’ai réalisé qu’on n’entendait presque jamais parler des Lebensborn. Et pourtant, selon les chiffres de Marc Hillel, entre 250 000 et 500 000 enfants blonds aux yeux bleus ont été enlevé par les nazis à travers l’Europe occidentale et centrale. J’ai alors souhaité donner de la visibilité à toutes ces victimes oubliées.
Comment vous êtes-vous documentée pour relater cette histoire pathétique ?
La recherche a été très difficile, car il existe très peu d’informations à ce sujet. Il est rare de retrouver des dossiers d’enfants conservés avec des informations sur leurs origines. Les nazis considéraient que, dès l’arrivée des enfants dans les Lebensborn, ils renaissaient en tant qu’Allemands.
J’ai fait beaucoup de recherches sur Internet et j’ai trouvé quelques archives, mais c’est mon oncle historien, Roger Laroche, qui m’a le plus aidée. Il possède une grande connaissance du sujet. Il m’a guidée tout au long de l’écriture, m’aidant à éviter certaines erreurs.
Dans votre livre, une petite fille réussit à retrouver sa famille biologique après avoir été enlevée et placée dans un Lebensborn. Beaucoup d’enfants comme elle ont-ils pu retrouver leur famille biologique
après la guerre ?
Malheureusement, très peu d’enfants parvinrent à retrouver leur famille biologique. Le pourcentage est infime, car les nazis ne se donnaient pas la peine de ramener les enfants qui n’étaient pas adoptés dans leur famille d’origine. Souvent, il était plus simple pour eux de les envoyer dans des camps de concentration.
Pourquoi avoir choisi une structure avec deux temporalités, aujourd’hui et pendant la Seconde Guerre mondiale ?
Je tenais à ce que la partie de l’histoire qui se déroule en 1943-1944 soit vue à travers les yeux d’Annaliese. Cependant, il était nécessaire d’apporter des explications sur les Lebensborn, que très peu de gens connaissent. J’ai donc imaginé Annaliese 70 ans plus tard, apportant des éclairages historiques et sociaux pour aider le lecteur à comprendre le contexte de l’époque. La deuxième raison est que je tenais beaucoup au personnage d’Annaliese. Je voulais lui offrir une belle fin de vie, malgré les épreuves qu’elle a traversées enfant.
Une partie de l’histoire se déroule à Montréal. Pourquoi ce choix ?
Je crois que c’est tout simplement parce que je suis Québécoise et que c’était plus simple ainsi pour moi. Je voulais aussi établir un lien entre le Québec et les événements de la Seconde Guerre mondiale, car même ici, la guerre a eu un grand impact, notamment avec l’arrivée de nombreux réfugiés. Cela permet de montrer que ces événements ont touché le monde entier, dont le Québec, et pas seulement l’Europe.
Vous êtes-vous inspirée d’une histoire vraie pour construire ce récit ?
Non, mon histoire est fictive, je n’ai pas trouvé des archives confirmant des enlèvements d’enfants à Skagen, au Danemark. Face au manque de documentation, j’ai choisi de situer l’action dans une ville où les faits n’étaient pas confirmés, afin de pouvoir mêler fiction et réalité.
Comment avez-vous construit le personnage d’Annaliese que l’on suit tout au long de votre roman ?
Lorsque j’écris, la personnalité de mes personnages s’impose souvent d’elle-même, en fonction de ce qu’ils vivent. Les réactions viennent spontanément, en lien avec leur parcours et leurs expériences, et le personnage se construit ainsi peu à peu. Je n’avais pas forcément l’intention de faire d’Annaliese une personne lumineuse, sereine ou particulièrement profonde. Mais en écrivant sur sa période dans les Lebensborn, j’ai réalisé qu’elle observait beaucoup et tirait des leçons de ce qu’elle vivait. C’est ainsi que son personnage a pris forme.
Pourquoi l’histoire des Lebensborn est-elle si peu connue aujourd’hui ?
Je me pose souvent cette question. Cela concerne un grand nombre d’enfants, non seulement ceux qui ont été enlevés, mais aussi ceux nés ou abandonnés dans les Lebensborn. J’aimerais avoir la réponse, mais je ne sais pas pourquoi cette partie de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale est si peu connue. J’espère que d’autres romans viendront apporter de la visibilité à ces événements sinistres. Avant de commencer mes recherches, je n’avais moi-même jamais entendu parler des Lebensborn.
Crédit photo : © Éditions Pleine lune